Ces filles japonaises sont à l'intérieur d'une bulle invisible, elles vivent dans un monde protégé. Quand j'étais au Japon, j'ai rencontré beaucoup de jeunes filles qui semblaient toutes soucieuses de se montrer sous un jour délicieux. Elles pouffaient de rire et faisaient oooh... oooh... oooh... en sautillant dans tous les sens, des vrais modèles de vertu, et elles criaient délicatement de plaisir ou de surprise. Mais si on les prenait à part, c'étaient des jeunes femmes coriaces avec un point de vue aigu sur la vie. Certes, ce n'était pas facile, car rôdait toujours un professeur ou un mentor préoccupé de les ramener au sein de leur groupe, en sécurité parmi leurs semblables.
Un vieil homme avait le visage tourné vers le grillage de l'enclos des oiseaux. Tout en lui était jaunâtre et desséché, comme un champignon sur un vieux tronc, mais même son dos vibrait d'indignation. Dans cet enclos vivent des flamants roses et des demoiselles de Numidie, pourtant il regardait une volaille, un poulet, un coq resplendissant comme l'explosion d'un coucher de soleil, le plumage noir, or et écarlate, chatoyant, qui, posé sur un rondin luisant, ouvrait ses ailes en poussant un cri de triomphe. "Tais-toi", menaça l'homme derrière la grille. "Cocorico", riposta l'oiseau, ou peut-être : "Coquerico", et l'homme dit : "Pourquoi es-tu si content de toi ?" - et : "Crac-crac-oooo", s'écria le coq, s'élevant dans l'air de quelques centimètres pour se reposer aussitôt. "Cocorico ! -Tais-toi", répéta l'homme. Les gens paraissaient amusés et le montraient du doigt. Il s'en rendit compte et se retourna pour leur faire les gros yeux, redressant les épaules. Puis il s'éloigna parmi les arbres, une-deux, une-deux. Le coq secoua une caroncule écarlate et descendit délicatement de sa bûche.
Chaque mois, un grand nom de la littérature française contemporaine est invité par la Bibliothèque nationale de France, le Centre national du livre et France Culture à parler de sa pratique de l'écriture. Javier Cercas, auteur de Terra Alta qui lui valut en 2019 le 68e prix Planeta, est à l'honneur de cette nouvelle séance du cycle « En lisant, en écrivant ».
QUI EST JAVIER CERCAS ?
Né en 1962 à Ibahernando, dans la province de Cáceres, Javier Cercas est un écrivain et traducteur espagnol. Après des études de philologie, il enseigne la littérature à l'université de Gérone, pendant plusieurs années. En 2001, son roman Les Soldats de Salamine – sur fond de Guerre civile espagnole – remporte un succès international et reçoit les éloges, entre autres, de Mario Vargas Llosa, Doris Lessing ou Susan Sontag. Ses livres suivants, qui s'inspirent souvent d'événements historiques et de personnages ayant réellement existé, rencontrent le même accueil critique et sont couronnés de nombreux prix : Prix du livre européen (2016), Prix André Malraux (2018), Prix Planeta (2019), Prix Dialogo (2019). Son oeuvre est traduite en une vingtaine de langues.
Il est également chroniqueur pour le quotidien El País.
De Javier Cercas, Actes Sud a publié : Les Soldats de Salamine (2002), À petites foulées (2004), À la vitesse de la lumière (2006), Anatomie d'un instant (2010), Les Lois de la frontière (2014, prix Méditerranée étranger 2014), L'Imposteur (2015), le Mobile (2016), le Point aveugle (2016), et le Monarque des ombres (2018).
Son nouveau roman, Terra Alta, paraîtra en mai 2021.
En savoir plus sur les Masterclasses – En lisant, en écrivant : https://www.bnf.fr/fr/master-classes-litteraires
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