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EAN : 9782815951418
224 pages
Éditions de l’Aube (06/01/2023)
3.77/5   22 notes
Résumé :
Dans la tente de prospecteur dressée derrière la maison, à l’orée de la Massawippi, sous les pruches menacées par les haies de cèdres et les tondeuses à gazon, Guillaume peut déjà entendre les autos au loin. L’autoroute projetée passera à quelques kilomètres de la ferme. Couché sous la toile, pendant que les gens travaillent pour mettre du gaz dans leur char, il sait ce qu’il va faire de sa sabbatique : il racontera des histoires aux enfants. Il leur dira le nom de ... >Voir plus
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Clément Bénech dans son roman Un vrai dépaysement convie son lecteur à l'installation d'un jeune professeur qui débarque en Auvergne alors qu'il avait pensé enseigner en Guyane, cette fois ce sont les tribulations de l'enseignant Guillaume ,parachuté au Nunavik, que Jean-Pierre Létourneau relate en flashback. le glissement du « tu », au « il », selon la temporalité , peut dérouter. Tantôt il s'adresse à celui qu'il était, tantôt à celui qu'il est.
L'auteur nous offre une immersion parmi les Inuits de Kuujjuaq , sur les berges de la rivière Koksoak. Beaucoup de mots en italiques ou typiquement canadiens, ou termes de hockey, parsèment le récit ( puck, bannique et confiture de chicoutés, un pays drette, drave, des uluit…) sans que cela fasse obstacle à la compréhension. On est juste dépaysé.
Par exemple, on réchauffe les repas sur une truie ( petit poêle).
Une carte au début du livre permet de visualiser le trajet effectué en avion
par le protagoniste, du Sud au Nord du Québec.

Beaucoup d'Inuits sont trilingues. Leur quotidien bégaie souvent en trois langues , mais lui, le professeur ne connaît ni leur langue maternelle, l'inuktitut, ni leurs coutumes.
Le dépaysement est immédiat : comment ne pas « massacrer »  le patronyme des élèves, en les prononçant?! Il lui faut s'adapter, apprendre à décrypter le langage de leurs yeux : ils disent oui en ouvrant les yeux et les ferment pour le non.
On sent le malaise du prof le jour de la rentrée devant sa classe, un groupe de douze ados, en capuchon, qui ressemblent plus à «  un troupeau de boeufs musqués ». On devine sa frustration d'enseigner «  dans le vide » et il devient source de risée auprès de ses élèves, n'ayant pas les codes des autochtones

De même, l'ennui, la solitude pèsent sur Guillaume qui aimerait boire une bière avec des potes : « mais où sont les hommes ? » s'interroge-t-il ?
La peur de se perdre dans la toundra le confine à son appartement, devant la télé. Mais pratiquant le hockey, il se hasarde un jour à l'aréna, et ne manquant pas de talent, réussit à se faire adopter par les joueurs et même à intégrer même une équipe locale.
Un membre de l'équipe, Thomassie, l'entraîne à la chasse au caribou.

L'auteur déroule l'expérience de ses trois années dans le Nord , son plaisir de coucher dehors dans des « sleepings » qui sentent le bois, ainsi que ses années d'étudiant consacrées au «  planting ». Il joue sur les mots : « la momie a du millage » !

L'année sabbatique qu'il s'octroie va lui permettre de partager son vécu avec ses propres enfants. Ceux-ci vivent au contact avec la nature, font des sorties en raquettes, moto-neige, n'aiment pas entendre la nuit les hurlements de coyottes.
Ils sont biberonnés aux récits d'aventures, savent observer la faune ( loutres..), les oiseaux, les arbres. Ils questionnent sans cesse, avides de savoir le sens des mots , comme par exemple « sentimental » !
Le père se livre aux confidences telle sa rencontre avec leur mère dans le Nord :
«  c'était ma voisine. Un soir, je suis allé lui porter un bol de bleuets cueilllis dans la toundra. Avec le sirop d'érable de grand-papa. Et vous voilà. »
Il se souvient du moment où sa femme Caroline attendait leur premier enfant qui porte le prénom de la mère défunte de Guillaume, comme dans la tradition des Inuits.

Il revit une chasse au dindon au cours de laquelle il n'a pas tué d'animal, mais est revenu les yeux éblouis par sa rencontre avec le piranga écarlate, aux plumes vermeilles.

Guillaume ressuscite également ses souvenirs avec son père, dresse son portrait pour ses enfants : « un ramassseux » et lui rend hommage au moment de vider la maison en bois typiquement canadienne. La lettre que son père lui a laissée est poignante.

Une autre lettre tourneboule le protagoniste, c'est son vibrant message d'adieu destiné à ses élèves ( lettre qu'il n'a jamais postée), elle émeut doublement le lecteur en raison du dénouement. On éprouve de l'empathie pour cette famille qui a vu partir en fumée cette
«  tente prospecteur » (1) qui a nourri tant de rêves et a abrité tant de moments privilégiés.

L'écrivain restitue , au point de nous transir de froid, la vie d'antan durant les hivers rigoureux: le travail des femmes, l'esprit de fête dans la communauté immobilisée par la période de neige, de gel.
Il montre comment le paysage subit le déboisement pour faire arriver une autoroute, troublant la sérénité des lieux pour ses enfants. Guillaume commente le reportage d'un journaliste qui évoque la tragédie Inuite : «  tout ce qui est écrit est terriblement vrai, exact », «  la beauté d'un jour d'hiver se dépose en eux comme un flocon sur la langue. » Les splendeurs du ciel émerveillent : «  aurores vertes et rouges ».
Ce premier roman convoque celui de Claudie Hunzinger pour cette proximité, cette osmose sensuelle avec la nature. Tous deux savent la décrire avec des phrases merveilleuses.
La poésie s'invite amplement dans les descriptions des lieux où les aurores boréales sont fréquentes : « le vent fait danser les cristaux de glace entre les branches. »

Ce roman s'inscrit dans la lignée de l'écrivain , « nature writer », Rick Bass,(2) auteur que Jean-François Létourneau lit et cite en début de l'ouvrage. Comme lui, il a tenu un journal dont il partage des pages. On ressent l'ensauvagement du décor dans « la prucheraie ».
Le lecteur sensible à la « perfusion » des paysages qu'offre cet ouvrage sera comblé.

(1) Tente construite des mains du protagoniste, qui lui a permis de vivre davantage en osmose avec la nature.
« A l'origine, la tente prospecteur était utilisée par les indiens montagnais prospecteurs des contrées nord-amérindiennes puis par les chercheurs d'or. Nouvelle tendance du tourisme de plein air et véritable art de vivre, cet hébergement atypique réconcilie la nature, le confort et l'authenticité. »


(2) le journal des cinq saisons de Rick Bass.
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Il fut un temps où les Inuits chassaient le caribou sur des traineaux avec leurs chiens, mais les motoneiges les ont remplacés et les peuples du Nord canadien ont du s'adapter aux transformations que leur a imposées le monde moderne.
Guillaume, jeune professeur de français, choisit d'aller exercer pour son premier poste à Kuujjuaq, en pays Inuit, et le dépaysement dépasse de loin tout ce qu'il avait imaginé.
Pourtant, il réussit son intégration grâce au hockey et parvient à se faire apprécier par ce « peuple du soleil levant » et à aimer passionnément ce village loin de tout, pendant les trois années où il y vivra.
Mais lorsque sa femme Caroline, rencontrée dans ce territoire sauvage, tombe enceinte, ils choisissent de revenir vivre auprès des leurs, dans le Sud.
Happé par le passé, Guillaume se souvient de son père qui vivait en osmose avec la nature et lui transmettait une sagesse faite de connaissances ancestrales. Face à la transformation du monde qui l'entoure, il regrette ces jours heureux passés dans la toundra, sous le vent et les aurores boréales et se dit que ses enfants eux, vont devoir « apprendre à tout perdre ».
Un premier roman rythmé par la nostalgie et le regret du temps passé qui m'a semblé bien pessimiste quant à l'avenir de notre Planète et de ses régions encore sauvages.
J'ai regretté cette vision très négative d'un monde qui va inexorablement changer et il me semble que la seule façon de ne pas le regarder disparaître, c'est d'avancer avec lui et de l'accompagner vers ce qui peut être positif pour demain.
Si le vocabulaire et les expressions canadiens ne me sont pas familiers, l'écriture poétique de Jean-François Létourneau est universelle et ce voyage vers les régions sauvages du Grand Nord est néanmoins superbe.

Merci à Babelio et aux Editions de l'Aube pour ce roman reçu dans le cadre d'une Masse Critique.
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Un jeune professeur québécois prend l'avion pour prendre son nouveau poste, dans un coin nord du Québec, le Nunavik. Ces quelques heures de vol lui font se rendre compte de sa totale ignorance des gens parmi lesquels il va vivre et qui pourtant arpentent ces terres depuis des siècles, bien avant ses ancêtres à lui.
Kuujjuak se trouve sur les berges de la Koksoak, proche de la baie d'Ungava et de l'océan Arctique.
C'est un pays de froid, de vent, de glace, sans arbres ou presque.

L'enfer du nord n'est pas forcément le froid glacial. Ça peut être ce que vit Guillaume en débarquant. Un sentiment de décalage total. Que ce soit avec ce qu'il imaginait, ou rêvait, de la vie dans ces régions, une sorte de vision romantique et surannée ; ou avec les personnes, les Inuit, dont il ne sait rien de la culture ni de l'Histoire, et qui ne sont en rien figés dans un passé idéalisé ou dans un zoo. Ce qu'il découvre est loin de ses certitudes, de tout ce qu'il croit savoir, de ce qu'il n'a jamais appris. Son vertige est aussi inattendu qu'incommensurable.
Jusqu'au déclic qui prend la forme d'une crosse de hockey ; un monde s'ouvre, enfin. le sport se greffe dans le récit, les pages de matchs et d'après matchs sont ferventes, dures, animales.

Dans un récit parallèle on retrouve Guillaume quelques années plus tard, marié et père, vivant à proximité de la ville mais entouré, pour quelques temps encore, de bois et de forêts. Il se penche sur son passé et regarde sévèrement son présent, ce qu'il laisse derrière lui, et ce qu'il peut transmettre. Guillaume, qui est probablement d'après les pages lues deci-delà un double de l'auteur, a bien la tête dans son époque, mais son coeur est dans une autre, plus rude, plus proche de la nature.
Durant tout « Le territoire sauvage de l'âme », Jean-François Létourneau nous raconte, nous donne à voir et à sentir les oiseaux, les animaux, les paysages qu'ils soient de glace ou de bois, tente de lire les ciels selon les moments et les lieux, essaie plutôt bien que mal d'apprivoiser les gens autour de lui avec toujours un sens acéré du détail touchant ; on le sent adossé au nature writing du Rick Bass de « Winter » ou du « Journal des cinq saisons ».

Alors certes ce court roman n'a rien de révolutionnaire, ni dans le propos ni dans l'écriture, il manque peut-être de ceci ou de cela, mais J-F Létourneau nous parle, et le roman prend appui sur cette parole limpide, dense. La lecture du « Territoire sauvage de l'âme » est un vrai moment de plaisir, et je n'ai pas besoin de plus pour l'apprécier.
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Le territoire sauvage des âmes de Jean François Létourneau
Editions De l'Aube


Kuujjuap sur le bord de la rivière Koksoak, c'est là que Guillaume fera ses premiers pas en tant que professeur, « massif laurentien, le gardien de l'arrière-pays, ce que les gens de Montréal appellent le Nord. »
Heureusement, ils ne sont que douze, douze ados Inuits à le fixer en silence. Il va falloir relever la gageure, celle de se faire accepter, de parvenir à communiquer, à transmettre. Gagner la confiance de la classe, c'est gagner celle du village.
C'est lors d'un match de Hockey que cela va se produire, puis sur une partie de chasse aux caribous qui se terminera avinée, comme il se doit.
Guillaume se souvient de ces trois années dans cette terre sauvage, froide, âpre et authentique. Une leçon de vie venue du froid qui marquera à jamais l'existence de cet instituteur un peu maladroit, inexpérimenté.
Depuis, il est devenu père de famille et parfois il ressent le manque de cette vie, il pense aux ados, leurs rires, leurs gentilles moqueries et le sentiment d'abandon qu'a engendré son départ.
Avec les souvenirs, l'évocation naturaliste et poétique d'un monde en survie, se profile.
« Il a lui-même bûché une partie de la prucheraie pour y installer sa famille. Il a milité pour l'Action boréale, vu une dizaine de fois le documentaire Desjardins, planté des arbres dans le nord de l'Ontario pour payer ses études. Il sait exactement à quoi ressemble le silence d'une coupe à blanc. Et s'il donne une partie de sa paie à Greenpeace, il a sacrifié une pruche immense pour construire une maison.
Caroline lui répète qu'il s'en fait trop, qu'il ne doit pas être si dur envers lui-même. Rien à faire. Un jour, la banlieue sera dans sa cour. Et ce sera de la faute des familles comme la sienne. Des amoureux de la nature et des grands espaces. »
Un très joli premier roman à la langue poétique (et imagé, Quebec oblige) qui invite à la réflexion et à la rêverie.
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C'est un roman en deux temps.
D'abord celui d'un "tu" s'adressant à Guillaume, enseignant fraichement diplômé qui part en poste dans un endroit d'où on ne peut sortir qu'en avion, un village où il ne connait personne, là-haut dans le Nord, pays mythique, enneigé, infini, et grand terrain de jeu pour les anthropologues, les biologistes et autres ethnologues.

C'est aussi la terre des Inuits. Pour Guillaume, un autre monde.

Les politiques de sédentarisation successives imposées à ce peuple initialement nomade l'ont fait échouer là, dans ce genre de village du bout du monde dont l'épicerie vend des Big Mac congelés, du lait et du jus d'orange à des prix exorbitants, denrées qui ont remplacé le gibier que les chiens de traineaux les aidaient à traquer jusque dans les années 1950, quand leurs bêtes furent abattus sous prétexte qu'elles étaient malades et menaçaient la sécurité des villageois (en réalité le meilleur moyen de forcer ces populations à l'immobilité). Les enfants du Nunavik sont scolarisés en inuktitut jusqu'en quatrième année de primaire, leurs parents devant ensuite choisir l'anglais ou le français. le taux de décrochage scolaire témoigne d'un système qui répond plus aux besoins du sud qu'à la réalité du Nord.

L'apprivoisement est progressif. Les élèves se moquent de Guillaume, de ses réflexes inadaptés de gars du sud. Lui est incapable de prononcer leurs noms de famille, a du mal à comprendre leur humour rigolard. C'est grâce au sport qu'il finit par trouver sa place dans la petite communauté. Ses talents de hockeyeur lui permettent d'intégrer l'équipe locale. En patinant avec les oncles, les pères, les cousins de ses élèves, il apprend les codes, se familiarise avec la langue, accompagne ses nouveaux concitoyens à la chasse au caribou. L'absentéisme scolaire diminue.

Au-delà des analyses psychologiques, anthropologiques, des cris d'alarme des travailleurs sociaux, des fantasmes romantiques de la littérature, Guillaume découvre l'esprit du nord dans le rire de ses élèves.

Mais si, avec le recul, cette expérience lui fera remettre en question le récit de ses propres origines -c'est-à-dire celui d'ancêtres qu'ils voient dorénavant davantage comme des colons brutaux que comme de fiers aventuriers-, il sait malgré tout qu'il lui manquera toujours quelque chose pour vraiment saisir ce que signifie vivre et surtout grandir dans le Nord.

Le second temps est celui d'un "il" qui nous fait retrouver Guillaume quelques années plus tard. Il est dorénavant marié, père de deux enfants. Il a pris "une sabbatique", pour prendre le temps justement, celui de raconter des histoires à ses enfants, comme l'a toujours fait son père, homme malcommode qui faisait son bois de chauffage et ne sortait jamais sans sa carabine, mais qui surtout racontait des tas d'histoires qui ont nourri et émerveillé son enfance. Ça coulait comme un poème, faisant surgir les images, naître des sensations…

Il leur parle de leurs grands-parents, de sa mère qu'il n'a pas connue, de l'amour de leur grand-père pour le bois, de ses anciens élèves de Kuujjuaq, de la beauté violente du froid extrême. Il le fait dans la tente de prospecteur qu'il a montée sur leur terrain où il a fait construire la maison familiale, dans les bois mais pas trop loin de la ville.

Dormir dans une tente avec ses enfants, les abreuver d'histoires qui disent en filigrane ce qui a été perdu avec la modernité, la vitesse et la frénésie consumériste… il a imaginé que c'était là l'ultime moyen de se reconnecter à la vie, à l'énergie sauvage des origines, quand on pistait les animaux, qu'on savait identifier le chant des oiseaux. Mais n'est-ce pas vain, quand on constate l'inéluctabilité du progrès de la destruction, les bois rasés et les étangs à grenouilles comblés au profit de nouvelles routes et de nouvelles habitations ? Et n'est-ce pas hypocrite, quand on se dit amoureux de la nature et des grands espaces, mais que l'on veut y vivre dans le confort, participant ainsi soi-même à l'étalement urbain ? Il sera en partie responsable de la perte que subiront ses enfants, et n'aura à opposer à leur tristesse et incompréhension que le silence du Nord et le souvenir de la tente sous la prucheraie*.

Un très beau texte, empreint d'une mélancolie et d'une poésie qui émanent spontanément de l'évocation à la fois enchantée et douloureuse de ce qui est en train de disparaitre.
Lien : https://bookin-ingannmic.blo..
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Citations et extraits (8) Voir plus Ajouter une citation
Devant les restes de la tente, à l’orée du sous-bois, il dégage la souche de la pruche sous la neige noire. Il s’assoit devant la forêt, sous un ciel de fin d’hiver. Son esprit dérive, vingt minutes passent. Et dans le silence d’après catastrophe, il entend le Nord se disloquer comme la banquise au dégel, il entend le Nord fondre sur le reste du monde.

Note du copiste : la pruche du canada est un arbre de type conifère qui ne supporte ni la sécheresse, ni la chaleur, ni la pollution…
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L’avion entame sa descente. Par le hublot, tu aperçois le village, déposé comme un jouet d’enfant sur les berges d’une immense rivière. A travers la grisaille, le crachin et le roc, les maisons colorées, typiques des villages du Nunavik, essaient d’égayer le paysage morne. Tu distingues l’aréna, ce que tu imagines être l’école, le centre communautaire. Des camionnettes et des quatre-roues en modèle réduit circulent dans les rues de gravier.
Sur la carte du Nunavik imprimée au dos de la revue, tu suis du doigt le cours de la rivière Koksoak. Elle se jette dans la baie d’Ungava, plus loin au nord. Dans ta tête, tu essaies de prononcer les noms des quatorze communautés inuit : Kangiqsualujjuaq, Kuujjuaq, Tasiujaq, Aupaluk, Kangirsuk, Quaqtaq, Kangiqsujuaq, Salluit, Ivujivik, Akulivik, Puvirnituq, Inukjuak, Umiujaq, Kuujjuarapik… Que faire de tous ces « Q », de tous ces « K » ? Quelles histoires racontent ces toponymes ?
Malgré tes diplômes universitaires, tu ignores que le gouvernement québécois de Jean Lesage, celui dont ton père a été si fier, celui qui était maître chez lui, a rebaptisé les villages inuit dans les années 1960. Port-Nouveau-Québec, Notre-Dame-de-Maricourt,Notre-Dame-de-Quaqtaq, Saglouc, Port-Lapérouse, Poste-de-la-Baleine… Quelle histoire raconte-t-on ici ? Tu n’en sais rien. Mais demain, tu enseigneras les règles des participes passés à des adolescents de Kuujjuaq.
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Il a lui-même bûché une partie de la prucheraie pour y installer sa famille. Il a milité pour l’Action boréale, vu une dizaine de fois le documentaire Desjardins, planté des arbres dans le nord de l’Ontario pour payer ses études. Il sait exactement à quoi ressemble le silence d’une coupe à blanc. Et s’il donne une partie de sa paie à Greenpeace, il a sacrifié une pruche immense pour construire une maison.
Caroline lui répète qu’il s’en fait trop, qu’il ne doit pas être si dur envers lui-même. Rien à faire. Un jour, la banlieue sera dans sa cour. Et ce sera de la faute des familles comme la sienne. Des amoureux de la nature et des grands espaces.
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De là, la vue sur la rivière est magnifique. Tu aurais aimé t'arrêter, prendre le temps de contempler l'endroit où tu venais d'atterir, où tu allais passer la prochaine année scolaire. Le ciel était immense ; un sentiment de claustrophobie t'a envahi et tu n'as rien demandé. De toute façon, tu n'étais plus certain que tes jambes allaient supporter ton corps si vous sortiez de la camionnette. Toute cette année, dans ce village d'où on ne peut sortir qu'en avion. Toute une année, dans ce village où tu ne connais personne. Toute une année, dans ce village... dans ce village.
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Le monde sera beau jusqu’à la fin. Du moins, c’est ce que Guillaume a dit à ses enfants en les mettant au monde. C’est la promesse silencieuse et naïve qu’il leur a faite. A la merci de l’avenir, ils sont nés. Prolongeant la lignée, l’écho des chants. Jusqu’à quand ?
Couche sous la toile, Guillaume sait ce qu’il va faire de sa sabbatique : il racontera des histoires aux enfants. Il leur parlera de leurs grands-parents. De la mère qu’il n’a pas connue. De l’amour du bois de son père. Il leur dira les noms de ses anciens élèves de Kuujjuaq, leur décrira les levers de lune sur la rivière Koksoak.
Entre l’instinct du fils et la puissance des filles, il ne sait pas trop encore comment, mais il veut transmettre l’histoire d’un silence qui s’est fait, entre le Nord et ici, entre la toundra et cette prucheraie où, pas très loin de la ville, la tente se dresse.
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