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Critique de Kirzy


De la littérature québécoise, autant dire que je ne connais rien. Juste une incursion, délirante, en compagnie d'Aliss de Patrick Sénécal.
Avec Nirliit , direction le Grand Nord, le Nunavik, le village de Salluit, 1483 habitants.

Ce qui m'a le plus surprise, c'est le travail formel sur la langue. Une écriture organique, paradoxale : apaisée, emplie de poésie pour décrire la toundra, les fjords, puis soudain les mots s'entrechoquent, rythmés par une ponctuation très vivante, se répètent jusqu'à s'exténuer.

En fait, on sent battre le coeur de l'auteure à chaque phrase, un coeur qui vibre d'amour pour le peuple inuit, mais vibre aussi de rage à le voir sombrer dans l'assistanat, l'infantilisation, la violence et l'alcoolisme.
Juliana Léveillé-Trudel s'est crée un double de fiction pour incarner ce cri d'amour et de rage : la narratrice, blanche, pleure son ami autochtone, Eva, jetée dans un fjord par un ancien amant.
Eva a disparu mais son âme, son visage semble flotter partout dans la toundra grâce au regard et aux mots de son amie.

A travers une riche galeries de portraits, on découvre un monde inuit authentique, loin de tout cliché, sans aucun mythe folklorique qui pourrait éloigner l'auteur de son propos. On découvre le drame vécu par les jeunes, surtout les femmes, «  prises comme des sculptures en pierre en savon, un joli souvenir », séduites, rejetées, violées, battues, enceintes très jeunes, abandonnant leurs études très tôt, alcooliques … leurs beautés majestueuses fanées à vingt ans, leurs existences abimées.

" Et moi, Eva, je refuse qu'on te salisse, je refuse qu'on crache sur ta beauté, je refuse qu'on te condamne pour avoir aimé le mari d'une autre. Je refuse qu'on écrase brutalement ceux qui sont trop lumineux pour le reste du monde, je refuse qu'on empêche les étoiles de briller, je refuse qu'on force les comètes à ralentir pour ne pas faire de jaloux. Je refuse que certains trouvent que c'est bien fait pour toi, je veux te porter comme un drapeau dans les rues de Salluit, à bout de bras, je veux te jeter au visage des bien-pensants et leur hurler qu'ils ont tort, je veux que tu reviennes, Eva. "

Cela fait quinze jours que j'ai refermé Nirliit, et sa beauté rude crépite encore en moi.

Merci à Léa du Picabo River Book Club pour cette magnifique découverte.
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