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Critique de topocl


« Et raconter, vous le savez bien, vous me l'avez même dit, c'est une des joies de la vie. »


Deux types rencontrent leurs solitudes temporaires à l'occasion de missions professionnelles, dans la cantine d'un hôtel au fin fond de l'URSS. Dans leurs heures de désoeuvrement , Faussone raconte son métier (monteur en structures métalliques) qui le passionne, qui est le nerf d'une vie faite d'espace, de mouvement et de liberté,où l'excellence est une victoire au quotidien. Et raconter son métier, au dela des précisions techniques qu'il ne nous épargne pas, c'est se raconter lui-même, ses espoirs, ses amours, ses choix, ses opinions, ses manques, toute sa vie, quoi.

« En écoutant Faussone, une ébauche d'hypothèse se formait en moi, que je n'ai pas travaillée par la suite que je soumets ici au lecteur : le terme «liberté» a notoirement beaucoup d'acceptions, mais peut-être que le genre de liberté le plus accessible, le plus goûté subjectivement et le plus utile à l'homme, coïncide avec le fait d'être compétent dans son propre travail, et donc avec le fait de l'exécuter avec plaisir. »


Primo Levi, car c'est lui, l'écoute, savourant ses digressions car «interrompre, arrêter un récit de Faussone, c'est comme arrêter la progression de la marée . » Il demande des explications, fait préciser tel détail, distrait des sombres horizons soviétiques par la découverte de cet homme ordinaire, primaire en apparence, mais hors du commun (comme tout un chacun).

« En fait, ainsi qu'il existe un art de conter solidement codifié par des milliers d'essais et d'erreurs, il existe également un art d'écouter, tout aussi ancien et estimable, duquel toutefois, pour autant que je sache, les règles n'ont jamais été définies. Pourtant, toute personne qui parle ou raconte sait par expérience que l'auditeur apporte une contribution décisive à ce qu'elle lui dit : un public distrait ou hostile affaiblit n'importe quelle conférence ou leçon, alors qu'un public amical les vivifie. Mais même l'auditeur, en tant qu'individu, à une part de responsabilité dans cette « oeuvre d'art », qu'est tout récit. »

Puis, contrepartie, Primo Levi raconte ce qu'est être chimiste, avec une même passion pour le travail aimé et bien fait, qui contribue à construire une vie, et là encore, comme c'est souvent le cas quand on parle de ses passions, il emporte une adhésion du lecteur à travers un récit qu'on suit comme une aventure burlesque.

Il s'interroge aussi , et ils échangent, sur le parallèle entre ces métiers matérialistes et son second métier, celui d'écrivain, car à travers ces activités si diverses, ces hommes construisent et transmettent quelque chose qui donne un sens à leurs vies.

« Nous sommes tombés d'accord sur ce que nous avons de bon en commun. Sur l'avantage de pouvoir connaître ce que nous valons sans avoir besoin que d'autres nous le disent, sur celui aussi de nous refléter dans nos oeuvres. Sur le plaisir qu'il y a de voir grandir notre « enfant », plaque de fer après plaque de fer, boulon après boulon, solide, nécessaire, symétrique, bien adapté à son objet. Et une fois achevé, on le regarde de nouveau et on se dit qu'il vivra peut-être plus longtemps que nous et qu'il servira peut-être à quelqu'un qu'on ne connaît pas, et qui ne nous connaît pas. »


C'est un bouquin qui paraît a priori totalement inintéressant - deux types, l'un monteur de structures métalliques, l'autre chimiste qui parlent de leur travail – et qui, au fil des pages, se révèle plein de une malice, de tendresse, de profondeur, et vous scotche.
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