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André Maugé (Traducteur)
EAN : 9782070715114
200 pages
Gallimard (04/04/1989)
4.5/5   107 notes
Résumé :
"C'est arrivé et tout cela peut arriver de nouveau : c'est le noyau de ce que nous avons à dire."
Primo Levi (1919-1987) n'examine pas son expérience des camps nazis comme un accident de l'histoire, mais comme un événement exemplaire qui permet de comprendre jusqu'où peut aller l'homme dans le rôle du bourreau ou dans celui de la victime. Quelles sont les structures d'un système autoritaire et quelles sont les techniques pour anéantir la personnalité d'un in... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (10) Voir plus Ajouter une critique
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Ecrit 40 ans après Auschwitz, c'est un livre qui se veut une réflexion sur les conséquences psychiques et physiques de l'internement en camp d'extermination des individus qui y ont survécu, ainsi que le produit d'une analyse approfondie des mécanismes humains qui ont conduit et réalisé dans le temps, cette abomination. Survivant de la shoah, le suicide de Primo Levi en 1987 reste cependant controversé. Pour un ingénieur chimiste, une chute dans un escalier semble peu appropriée pour cet acte volontaire. Rien ni personne n'y apportera de réponse.
- Longuement, il démontre la « zone grise », celle où il est impossible de classer l'individu non pathologique impliqué dans un contexte trop difficile à contrôler, et qui par tous les moyens tentera de sauver sa peau, oubliant l'essence de son humanité. D'où la dérive parfois de corruption et de collaboration avec le tyran. Dans ses exemples, il conte l'aventure de Chaim Rumkowski dans le ghetto de Lodz. Aux ordres des nazis, il devient lui-même tyran pour ses coreligionnaires. « Qui est Rumkowski ? Ce n'est pas un monstre. Ce n'est pas non plus un homme comme tous les autres ; c'est un homme comme beaucoup d'autres, comme beaucoup de frustrés qui goûtent au pouvoir et s'en enivrent ». A la liquidation du ghetto en aout 1944, il sera déporté et gazé à Auschwitz.
Dans la « zone grise », exclure les hommes des Sonderkommandos, tous juifs, qui ont été choisis et condamnés à une mort certaine après quelques mois de service, afin de neutraliser tous les témoins de cette immense machinerie de destruction humaine.
- Dès l'arrivée dans l'enfer, le premier obstacle à la survie était la non connaissance de la langue, ou plutôt une déformation en jargon de Yiddish, d'allemand et de polonais, vociféré, qu'il définit comme une « incommunicabilité radicale », car chaque incompréhension ou interprétation était motif à châtiment. En plus des conditions de vie inhumaines dans les lager, il fallait se soumettre à l'humiliation quotidienne, au traumatisme de l'impudeur, à la blessure de l'indignité humaine.
- Il explique le sentiment de honte ressenti par beaucoup de déportés survivants (pourquoi eux et pas les autres), dont la parole était peu entendue à leur retour, associé à celui de culpabilité d'avoir parfois failli à la générosité envers un autre détenu (p79).
- Il consacre tout un chapitre à la biographie d'un autre célèbre détenu qu'il a rencontré dans le camp : le philosophe Autrichien Hans Maïer, alias Jean Améry (qui se suicidera en 1978), et observe les probabilités de survie des intellectuels dans la barbarie, inexplicable, injustifiable, illogique et immorale. L'exercice de remémorisation de ses savoirs culturels a pu aider certains à un minimum d'éclat dans cette obscurité dévastatrice.
- Il répond aux questions posées par des interlocuteurs plus jeunes, écoliers et étudiants : pourquoi ne pas avoir fui avant l'invasion, pourquoi ne pas s'être rebellés dans les camps, pourquoi ne pas s'être évadés ? Un seul rescapé des sondercommandos, Filip Müller (véritable miraculé), témoignera dans le film Shoah de Jacques Lanzman et dans un livre : 3 ans dans une chambre à gaz, de la réalité démoniaque de ses années d'enfer.
En 1960 « Si c'est un homme » fut traduit en allemand. Primo Levi en a scrupuleusement supervisé la traduction afin que l'intensité de son récit soit fidèlement retranscrite. Il achève ainsi son essai en reproduisant les copies de courriers échangés avec des Allemands, plus jeunes, dont certains, découvraient l'horreur absolue de ces années de camps de concentration.
En post-scriptum p27 : Louis Darquier de Pellepoix, français, ancien commissaire aux affaires juives du gouvernement de Vichy, responsable de la déportation de 70 000 juifs, avait déclaré ne pas connaitre leur destination, et que l'usage des chambres à gaz était destiné à tuer les poux. Une précision de haute importance ! En 1945, ce monsieur a fui en Espagne franquiste (car bien que condamné par contumace en France), il y a fini ses jours à 82 ans sans jamais avoir été inquiété.
Sans commentaire !
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Dans cet ouvrage composé de réflexions essentielles, Primo Levi nous plonge dans une introspection du sentiment de « survivance », après avoir été victime et témoin d'effroyables actes de barbaries psychologiques et physiques.

Quasiment tous les « grands » bourreaux Nazis comme : Adolf Eichmann et Rudolf Hoess essayèrent de se disculper lors de leur procès, en reportant leurs responsabilités sur la hiérarchie du IIIème Reich et considérèrent qu'ils n'étaient « que » des exécutants. Mais justement, c'était bien ce qui leur était reproché, d'avoir exécuté ces ordres monstrueux : c'est-à-dire de ne pas avoir dit NON, de ne pas avoir refusé d'appliquer : l'Immoral, l'Inhumain…, bref, la barbarie !

Eichmann et Hoess ont adhéré au régime Nazi et peu importe leur degré d' »enthousiasme » dans cette démarche, ils ont fait ce choix en TOUTE CONSCIENCE. Et lorsqu'ils se sont retrouvés à des postes à responsabilités, comme par exemple Rudolf Hoess, en tant que Commandant d'Auschwitz, alors, ils ont oeuvré consciencieusement à leur immonde mission : l'extermination de masse.

La perfidie du National-Socialisme (Nazisme) alla jusqu'à inclure dans le processus d'extermination : les « équipes spéciales« , appelées : Sonderkommandos.
Ces Sonderkommandos (composés principalement de Juifs) étaient FORCES (sous peine d'être immédiatement exécutés) et chargés par les Nazis de participer à la déshumanisation de leurs « compatriotes » en les faisant : se déshabiller, les « accompagnant » dans les chambres à gaz et disparaître à jamais dans les fours crématoires.
Puis, venait le jour où ces Sonderkommandos étaient décimés à leurs tours, afin de ne laisser aucuns témoins de cette horreur… et ainsi de suite…
Cette perversité est ce que Primo Levi nomme la « zone grise », le fait que le régime Totalitaire Nazi, à l'intérieur des camps de concentration ait OBLIGE les victimes, malgré elles, à assister pour les rendre complices, à la déshumanisation et à la barbarie.

Primo Levi décrit les différentes facettes que revêt le sentiment de honte, étrangement ressenti par la plupart des déportés survivants. La honte liée au sentiment de culpabilité, notamment, d'être encore vivant, alors que tant d'êtres humains ont été tués et que cela aurait dû être aussi le cas, pour les survivants.
Cette honte a souvent conduit au suicide de plusieurs de ces rescapés, rarement pendant leurs périodes de détention (car ils étaient concentrés sur leur survie) mais durant les années suivantes, après « maturation » de cette honte.
Rappelons que Primo Levi, lui-même, s'est suicidé en 1987, un an après avoir écrit ce dernier ouvrage.
La raison de ce suicide ?
Elle n'appartient qu'à lui, mais est sans nulle doute en rapport avec sa tragique « expérience » en camp de concentration…

Dans les camps de concentration, la cruauté et l'humiliation allaient jusqu'à la déshumanisation totale de l'être humain.
Primo Levi nous en livre un exemple parmi tant d'autres, page 111 :

« L'inutile cruauté de la pudeur violée conditionnait l'existence de tous les Lager. Les femmes de Birkenau racontent que lorsqu'elles s'étaient emparées d'une gamelle (une grande écuelle de tôle émaillée), elles devaient s'en servir pour trois usages bien distincts : toucher la soupe quotidienne, y faire leurs besoins la nuit, quand l'accès des lavabos était interdit, et se laver lorsqu'il y avait de l'eau dans ces lavabos. »

Puis, l'auteur nous présente le stade ultime de la déshumanisation, celui que l'on fait subir aux bestiaux conduits à l'abattoir, une spécificité du camp d'Auschwitz : le tatouage.

Primo Levi termine son ouvrage en nous exposant des échanges de lettres, qu'il a eu avec ses lecteurs, particulièrement suite à son premier et célèbre ouvrage qu'il a écrit après sa libération du camp d'Auschwitz : Si c'est un homme.

Le débat porte souvent (à travers ces courriers) sur le fait de tenter de « comprendre » : l'incompréhensible, ainsi que le degré de responsabilité du peuple Allemand dans cette tragédie.

D'abord, parce que Hitler fut élu en 1933, démocratiquement, alors que le peuple Allemand avait déjà la possibilité de se procurer son livre : Mein Kampf, qu'il avait publié dès 1925 – 1926. Ce livre contenait déjà toute l'Idéologie Inhumaine et Totalitaire, qu'il a appliqué stricto sensu, par la suite, pendant les douze années que dura le régime Nazi du III Reich…
Pour Primo Levi, il ne fait aucun doute qu'il y a bien eu adhésion d'une grande partie du peuple Allemand à cet infâme programme d'extermination de masse.

Ensuite, un fois cet immonde régime Totalitaire mis en place, le peuple Allemand (dans sa grande majorité) a été lâche et fautif, dans le maintien de l'Hitlérisme au Pouvoir. En effet, pour Primo Levi cette responsabilité incommensurable du peuple Allemand durant ces sinistres années, en ce qui concerne la préservation du secret sur les camps de concentration, est TOTALE. Ce qu'il exprime fort bien, pages 14 et 15 :

« Personne ne réussira jamais à établir de façon précise combien, dans l'appareil nazi, ne pouvaient pas ne pas savoir les épouvantables atrocités qui étaient commises, combien savaient quelque chose, mais étaient en mesure de feindre l'ignorance, et combien encore avaient eu la possibilité de tout savoir, mais avaient choisi le parti plus prudent de garder les yeux et les oreilles (et surtout la bouche) bien fermés. Quoi qu'il en soit, puisqu'on ne peut supposer que la majorité des Allemands ait accepté d'un coeur léger le massacre, il est certain que l'étouffement de la vérité sur les Lager constitue une des plus graves fautes collectives du peuple allemand, et la démonstration la plus évidente de la lâcheté à laquelle la terreur hitlérienne l'avait réduit ; une lâcheté entrée dans les moeurs, et assez profondément pour retenir les maris de raconter ce qu'ils voyaient à leurs femmes, et les parents à leurs enfants ; sans elle, on n'en serait pas arrivé aux pires excès, et l'Europe et le monde d'aujourd'hui seraient différents. »

Pour conclure ce commentaire voici de quelle manière, Primo Levi résume également, ce dramatique constat, page 178 :

« Je le répète : la faute véritable, collective, générale, de presque tous les Allemands, à cette époque, a été de n'avoir pas eu le courage de parler. »

Confer également les précieux témoignages sur le thème du Totalitarisme, de :
Alexandre Soljénitsyne (L'archipel du Goulag) ;
Alexandre Soljénitsyne (Une journée d'Ivan Denissovitch) ;
Jacques Rossi (Qu'elle était belle cette utopie !) ;
Jacques Rossi (Le manuel du Goulag) ;
Evguénia S. Guinzbourg (Le vertige Tome 1 et le ciel de la Kolyma Tome 2) ;
Margarete Buber-Neumann (Déportée en Sibérie Tome 1 et Déportée à Ravensbrück Tome 2) ;
Iouri Tchirkov (C'était ainsi… Un adolescent au Goulag) ;
Boris Chiriaev (La veilleuse des Solovki) ;
Malay Phcar (Une enfance en enfer : Cambodge, 17 avril 1975 – 8 mars 1980) ;
Sergueï Melgounov (La Terreur rouge en Russie : 1918 – 1924) ;
Zinaïda Hippius (Journal sous la Terreur) ;
Jean Pasqualini (Prisonnier de Mao) ;
Kang Chol-Hwan (Les aquariums de Pyongyang : dix ans au Goulag Nord-Coréen) ;
Aron Gabor (Le cri de la Taïga) ;
Varlam Chalamov (Récits de la Kolyma) ;
Lev Razgon (La vie sans lendemains) ;
Pin Yathay (Tu vivras, mon fils) ;
Ante Ciliga (Dix ans au pays du mensonge déconcertant) ;
Gustaw Herling (Un monde à part) ;
David Rousset (L'Univers concentrationnaire) ;
Joseph Czapski (Souvenirs de Starobielsk) ;
Barbara Skarga (Une absurde cruauté) ;
Claire Ly (Revenue de l'enfer) ;
Primo Levi (Si c'est un homme) ;
Harry Wu (LAOGAI, le goulag chinois) ;
Shlomo Venezia (Sonderkommando : Dans l'enfer des chambres à gaz) ;
Anastassia Lyssyvets (Raconte la vie heureuse… : Souvenirs d'une survivante de la Grande Famine en Ukraine) ;
François Ponchaud (Cambodge année zéro) ;
Sozerko Malsagov et Nikolaï Kisselev-Gromov (Aux origines du Goulag, récits des îles solovki : L'île de l'enfer, suivi de : Les camps de la mort en URSS) ;
François Bizot (Le Portail) ;
Marine Buissonnière et Sophie Delaunay (Je regrette d'être né là-bas : Corée du Nord : l'enfer et l'exil) ;
Juliette Morillot et Dorian Malovic (Evadés de Corée du Nord : Témoignages) ;
Barbara Demick (Vies ordinaires en Corée du Nord) ;
Vladimir Zazoubrine (Le Tchékiste. Récit sur Elle et toujours sur Elle).
Lien : https://totalitarismes.wordp..
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Lu en italien : "I sommersi e i salvati" .
Primo Levi composa cet ouvrage dans un contexte public spécifique.
le livre sortit en juin 86 et fut pour toute l'année un point de discussion publique.
"I sommersi e i salvati" est un cahier de travail dans lequel Primo Levi a synthétisé les questions cruciales qui se sont posées autour de Auschwitz.
De deux façons : d'une part, les comportements qui y sont advenus; de l'autre, ce qui en reste, et ce qui peut revenir.
"Nous ne pouvons pas le comprendre; mais nous pouvons et nous devons comprendre d'où il naît et rester sur nos gardes."
La connexion entre le système concentrationnaire comme exercice du pouvoir absolu et ce que cet exercice met à nu dans le comportement individuel et relationnel à l'intérieur du Lager est l'argument central du livre.
Enquête à travers la mémoire et le témoignage.
Le titre I sommersi e i salvati est celui d'un chapitre de "Se questo è un uomo".
Ce livre lui est complémentaire.
"Se questo è un uomo" présente la découverte de la propre spécificité à partir d'une dimension universelle; "i sommersi" représente l'inverse : c'est la propre expérience spécifique qui permet de trouver les traits universels de l'histoire des individus et de leurs possibilités de comportements.

On ne dira jamais assez la violence inutile, la destruction psychologique de l'individu avant sa destruction physique; la non-rebellions des détenus, leur manque de solidarité réciproque, la honte des survivants, le suicide de certains.
L'éternelle question: comment se comporterait chacun de nous s'il était poussé par la nécessité et, en même temps attiré par la séduction ?

C'est donc un témoignage du Lager et aussi une analyse des comportements sociaux.
J'en recommande la lecture.
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Voilà quarante ans que Primo Levi est revenu du lager, qu'il a repris une vie ayant un semblant de normalité. Celui-ci nous livre un roman rempli d'interrogations, de réflexions personnelles, de rétrospection aussi. On retrouve donc tout un tas de questionnement au sujet des bourreaux - j'ai particulièrement aimé le chapitre où l'auteur explique qu'il a reçu un bon nombre de lettres d'Allemands après la publication de Si c'est un homme en Allemagne. Cette "exploration" et ces tentatives d'explications ne sont pas réellement satisfaisantes, même si l'on comprend qu'il faut s'en contenter, car il n'y en aura pas d'autres.
J'ai aimé aussi le chapitre au sujet des Sonderkommandos, ces commandos chargés de sortir les morts des douches, de les mettre dans les crématoires, etc. Ce chapitre fait énormément réfléchir sur la culpabilité de ces hommes. D'un côté, ils acceptaient de "participer" au massacre, d'un autre, c'était ça ou la mort, mais il faut savoir que dans tous les cas, la mort leur était destinée puisque chaque membre de ces commandos étaient remplacés tous les quatre mois environ.
Il y a aussi tout une réflexion sur l'oubli, sur les souvenirs qui ne sont peut-être pas toujours très fiables surtout après un certain nombre d'années.

Une fois encore, Primo Levi s'interroge sur l'humanité en tant que tel, sur la cruauté sans nom présente dans les camps. Néanmoins, à la fin de cette lecture, une question subsiste : lui qui voyait le lager comme une expérience "pédagogique", lui qui a survécu quarante ans après sa libération, pourquoi décider de mourir maintenant ?

Contrairement à d'autres récits de témoignage (pas forcément sur la WWII) qui sont désespérés et dégoutés de la vie, Primo Levi choisi le parti de l'optimisme - si je puis dire - pour finalement s'ôter la vie, non, vraiment, l'incompréhension demeure.

Mon avis en intégralité :
Lien : http://allaroundthecorner.bl..
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Comprendre ce qui s'est passé pour que cela ne se reproduise pas. Se souvenir pour ne pas oublier, même si bon nombre de négationnistes ou de fanatiques de l'oubli tentent désespéremment de faire croire que tout cela n'était pas important.
Ce livre est un morceau de mémoire, issue d'un homme qui a vécu l'horreur. Loin d'appeler à la haine contre ceux qui l'ont oppressé, il cherche à nous montrer qu'ils n'étaient pas des êtres exceptionnels et que de tels comportements peuvent encore resurgir.
Entre système autoritaire et obéissance aveugle, Primo nous guide au coeur des camps et nousen dévoile toute l'horreur.
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Citations et extraits (26) Voir plus Ajouter une citation
C'est avec le sourire que je me rappelle l'aventure qui m'est arrivée il y a quelques années dans une cinquième élémentaire où j'avais été invité à commenter mes livres et à répondre aux questions des élèves. Un gamin à l'air éveillé, apparemment le premier de la classe, m'adressa la question rituelle: "Mais pourquoi ne vous êtes-vous pas échappé?" Je lui exposai brièvement ce que j'ai écrit ici; lui, peu convaincu, me demanda de tracer au tableau un plan schématique du camp, en indiquant l'emplacement des miradors, des portes, des réseaux de barbelés et de la centrale électrique. Je fis de mon mieux, sous trente paires d'yeux attentifs. Mon interlocuteur étudia le plan pendant quelques instants, me demanda quelques explications supplémentaires, puis m'exposa le plan qu'il avait imaginé: ici, de nuit, il fallait étrangler la sentinelle, ensuite, revêtir son uniforme, aussitôt courir à la centrale et couper le courant électrique: les projecteurs se seraient alors éteints et le réseau de fils électriques à haute tension mis hors de service, après quoi, j'aurais pu partir tranquillement. Il ajouta très sérieux: "Si cela devait vous arriver une autre fois, faites comme je vous l'ai dit, vous verrez que ça réussira."
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Le meilleur moyen de se défendre contre l'invasion des souvenirs accablants est d'empêcher leur entrée, d'élever un barrage sanitaire le long de la frontière. Il est plus aisé d'interdire à un souvenir d'entrer que de s'en délivrer après qu'il a été enregistré. C'est à cela que servaient principalement nombre d'expédients imaginés par les commandements nazis pour protéger les consciences des hommes commis aux plus sales besognes et s'assurer des services qui étaient désagréables même aux scélérats les plus endurcis. Afin que le massacre fût embrumé par l'ivresse, on distribuait de l'alcool à volonté aux Einsatzkommandos chargés, à l'arrière du front russe, de mitrailler les civils au bord des fosses communes que les victimes avaient été forcées de creuser elles-mêmes. Les euphémismes bien connus (« solution finale », « traitement spécial », le terme même d'Einsatzkommando, qui signifiait littéralement « unité d'intervention », mais masquait une réalité effrayante) ne servaient pas seulement à égarer les victimes et à prévenir des réactions de défense, ils visaient encore, dans la limite du possible, à empêcher l'opinion publique, ainsi que les unités de l'armée non directement impliquées, de prendre connaissance de ce qui était commis dans tous les territoires occupés par le IIIème Reich.

Du reste, l'histoire entière du « Reich millénaire » peut être relue comme une guerre contre la mémoire, une falsification de la mémoire à la Orwell, une négation de la réalité allant jusqu’à la fuite définitive hors de la réalité. Toutes les biographies de Hitler, divergeant sur l'interprétation à donner de la vie de cet homme tellement difficile à classer, sont d'accord sur cette fuite de la réalité qui a marqué ses dernières années, surtout à partir du premier hiver russe. Il avait interdit et refusé à ses sujets l'accès à la vérité en empoisonnant leur morale et leur mémoire, mais, dans une mesure croissante jusqu'à la paranoïa du Bunker, il s'était barré aussi à lui-même le chemin de la vérité. Comme tous les joueurs de hasard, il avait construit autour de lui une scène de théâtre faite de mensonges superstitieux à laquelle il avait fini par croire avec la même foi fanatique qu'il exigeait de chaque Allemand. Son effondrement final n’a pas été seulement une délivrance pour le genre humain mais aussi une démonstration du prix à payer lorsqu’on manipule la vérité.
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Nous, les survivants, ne sommes pas les vrais témoins. C'est là une notion qui dérange, dont j'ai pris conscience peu à peu, en lisant les souvenirs des autres et en relisant les miens à plusieurs années de distance. Nous, les survivants, nous sommes une minorité non seulement exiguë, mais anormale : nous sommes ceux qui, grâce à la prévarication, l'habileté ou la chance, n'ont pas touché le fond. Ceux qui l'ont fait, qui ont vu la Gorgone, ne sont pas revenus pour raconter, ou sont revenus muets, mais ce sont eux, les "musulmans", les engloutis, les témoins intégraux, ceux dont la déposition aurait eu une signification générale. Eux sont la règle, nous, l'exception.
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De plus, jusqu'au moment où j'écris, et malgré l'horreur de Hiroshima et de Nagasaki, la honte des goulags, l'inutile et sanglante campagne du Viêt-nam, l'autogénocide cambodgien, les disparus d'Argentine, et toutes les guerres atroces et stupides auxquelles nous avons assisté ensuite, le système concentrationnaire nazi demeure une chose unique, tant par les dimensions que par la qualité. Dans aucun autre lieu ni temps on n'a assisté à un phénomène aussi soudain et aussi complexe : jamais autant de vies humaines n'ont été éteintes en aussi peu de temps, et avec une combinaison pareillement lucide d'intelligence technique, de fanatisme et de cruauté.
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Il faut donc nous méfier de ceux qui cherchent à nous convaincre par d'autres voix que celle de la raison.
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