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Citations sur Maintenant ou jamais (18)

Aux juifs qui désiraient une terre vraiment à eux, où ils pourraient s'organiser et vivre suivant leurs traditions, Staline avait offert une partie désolée de la Sibérie orientale, le Birobidjan : à prendre ou à laisser, que ceux qui veulent vivre en juifs aillent en Sibérie; s'il y en a qui refusent la Sibérie, cela veut dire qu'ils préfèrent être russes. Il n'y avait pas d'autres solutions. Mais que doit et peut faire un juif qui voudrait être russe, si les Russes lui ferment les portes de l'université, l'appellent "yid", l'excitent contre les fauteurs de pogroms, et signent un traité d'alliance avec Hitler? Rien, il ne peut rien faire, surtout quand c'est une femme. Line était restée à Tchernigov, les Allemands étaient arrivés et avaient enfermé les juifs dans le ghetto : elle y avait retrouvé quelques-uns de ses amis sionistes de Kiev. Avec eux, et cette fois avec aussi le concours des partisans soviétiques, elle avait acheté des armes, pas beaucoup et peu adéquates, et elle avait appris à s'en servir. Line avait peu de goût pour les théories : dans le ghetto, elle avait souffert de la faim, du froid et de la fatigue, mais elle avait senti que ses différents "moi" s'unifiaient. La femme, la juive, la sioniste et la communiste s'étaient fondues en une seule Line qui n'avait qu'un seul ennemi.
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Et si tu veux savoir comment il s'appelle, mon village, il s'appelle Strelka, comme tout un tas d'autres patelins; et si tu veux savoir où c'est, je te dirai que ce n'est pas loin d'ici, ou plutôt que "ce n'était", parce que ce Strelka-là n'existe plus. La moitié des habitants s'est égaillée dans la campagne et dans les bois, les autres sont dans une fosse, et ils n'y sont pas à l'étroit, parce que beaucoup étaient déjà morts avant d'y être jetés. Dans une fosse,oui; ils ont dû la creuser eux-mêmes, les juifs de Strelka; mais dans la fosse, il y a aussi des chrétiens, et entre-eux, maintenant, il n'y a pas tellement de différence. Il faut que tu saches que moi qui te parle, moi, Mendel l'horloger qui réparais les horloges du kolkhoze, j'avais une femme, et qu'elle est dans la fosse, elle aussi; il faut que je te dise que je m'estime heureux de ne pas avoir eu d'enfants. Il faut encore que tu saches que ce village qui n'existe plus, je l'ai maudit plus d'une fois, parce que c'était un village de canards et de chèvres, et qu'il y avait une église et une synagogue mais pas de cinéma; et maintenant, quand j'y repense, cela me semble le Paradis terrestre et je me couperais bien une main pour que le temps fasse marche arrière et que tout redevienne comme avant.
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Elle ne parlait jamais de son père. Elle se faisait raconter par Dov des histoires de chasse dans la forêt, les ruses du lynx, la stratégie des loups en bandes, les aguets du tigre en Sibérie. Au village de Dov, Mutoraï-sur-la-Toungouska, distant de trois mille kilomètres, l'hiver durait neuf mois, et à un mètre de profondeur la terre ne dégelait jamais, mais Dov en parlait avec nostalgie. Là-bas, qui n'était pas chasseur n'était pas un homme. Mutoraï était un village unique au monde. En 1908, quand il avait 10 ans, une étoile, ou un météore, ou une comète, était tombé quatre-vingt kilomètres plus loin; des savants étaient venus de toutes les parties du monde, mais personne n'avait éclairci le mystère. Il se souvenait bien de ce jour-là : le ciel était serein, mais il y avait eu une explosion, comme le grondement de cent tonnerres, la forêt avait flambé, au point que la fumée avait obscurci le soleil. Un cratère énorme s'était ouvert, et dans un rayon de soixante kilomètres tous les arbres étaient calcinés ou avaient été abattus. C'était l'été, et l'incendie s'était vraiment éteint aux portes du village.
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(...) Le lager ne devait pas être très éloigné; ils le découvrirent effectivement à trois kilomètres de là, au fond d'une sorte de cuvette. Il ne ressemblait pas aux autres enceintes barbelées qu'ils avaient déjà vues. La clôture en était double, avec un large couloir entre les deux carrés de fils barbelés; les baraques étaient peintes de couleurs qui les camouflaient : il y en avait quatre, pas très grandes, sur chacun des quatre côtés d'une sorte d'esplanade, du milieu de laquelle s'élevait une colonne de fumée noire. A l'extérieur des barbelés se dressaient deux miradors en bois et une petite villa blanche.
- Approchons-nous, dit Gédal.
Les collines entourant le lager étaient couvertes de forêts et on pouvait avancer sans risques. Ils descendirent prudemment, tombèrent sur une clôture de barbelés rouillés, la suivirent durant un moment et virent une guérite en planches. La porte en était ouverte, et il n'y avait personne à l'intérieur.
- Rien que des mégots, dit Mottel qui avait jeté un coup d'oeil.
Il ne fut pas difficile de couper les barbelés; ils recommencèrent à descendre, mais s'immobilisèrent, pétrifiés : le vent avait tourné, la fumée venait maintenant de leur côté, et ils en sentirent tous l'odeur au même instant : une odeur de chair brûlée.
- Tout est fini, dit Gédal. On est arrivés trop tard.
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- Dans mon village, il n'y avait pas beaucoup d'horloges. Il y en avait une sur le clocher, mais elle était arrêtée depuis je ne sais combien d'années, peut-être bien depuis la révolution : moi, je ne l'ai jamais vue marcher, et mon père disait que lui non plus. Même le sonneur n'avait pas de pendule ni de montre.
- Comment il faisait alors pour sonner les cloches à l'heure juste?
- Il écoutait l'heure à la radio et il se réglait sur le soleil et sur la lune. Du reste, il ne sonnait pas toutes les heures, mais seulement celles qui étaient importantes. La corde de la cloche s'était rompue deux ans avant que la guerre n'éclate : elle s'était cassée tout en haut, le petit escalier était pourri, le sonneur était vieux et il avait peur de monter la remplacer par une neuve. Alors, depuis ce temps-là, il marquait les heures en tirant en l'air avec son fusil de chasse : un, deux, trois, quatre coups. Et ça a duré jusqu'à ce que les Allemands arrivent; ils lui ont pris son fusil et la ville est restée sans heures.
- Il tirait aussi la nuit, ton sonneur?
- Non, mais la nuit il n'avait même jamais sonné les cloches. La nuit on dormait, et il n'y avait pas besoin d'entendre les heures. Le seul qui y tenait vraiment, c'était le rabbin : lui, il devait connaître l'heure exacte pour savoir quand commençait et finissait le Sabbat. Mais il n'avait pas besoin de cloches, il avait une pendule et un réveil...
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- Nigaud, lui répondit-elle d'une voix mélodieuse, le roi qui n'a pas de royaume est le roi du jeu de cartes, et l'eau qui n'a pas de sable est celle des larmes. Plus rapide qu'une souris, c'est le chat, et plus haut qu'une maison, c'est sa cheminée. Et l'amour peut brûler sans flamme et un coeur peut pleurer sans larmes.
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Et je vais te dire une bonne chose que j'ai apprise dans les bois : les coups qui réussissent le mieux, ce sont ceux que l'ennemi ne vous croit pas capables de faire.
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Nous reconnaissez-vous ? Nous sommes les brebis du ghetto,
Tondus pour un millier d'années, résignées à l'offense.
Nous sommes les tailleurs, les copistes et les chantres flétris dans l'ombre de la Croix
Maintenant nous avons appris à connaître les sentiers de la forêt,
Nous avons appris à tirer, et nous visons juste.
Si ce n'est pas moi qui me prends en charge, qui le fera pour moi ?
Si ce n'est ainsi qu'il faut faire, quoi faire ?
Et si ce n'est maintenant, quand alors ?
Nos frères sont montés au ciel,
Par les chemins de Sobibor et de Treblinka
Et s'y sont creusé une tombe.
Nous ne sommes que quelques-uns à avoir survécu
Pour l'honneur de notre peuple englouti,
Pour le venger et témoigner.
Si ce n'est moi qui me prends en charge, qui le fera pour moi ?
Si ce n'est ainsi qu'il faut faire, quoi faire ?
Et si ce n'est maintenant, quand alors ?
Nous sommes les fils de David et les obstinés de Massada !
Chacun de nous a dans sa poche la pierre
Qui fracassa le front de Goliath.
Frères, quittons l'Europe des tombes :
Marchons ensemble vers la terre
Où nous serrons des hommes parmi les autres hommes.
Si ce n'est moi qui me prends en charge, qui le fera pour moi ?
Si ce n'est ainsi qu'il faut faire, quoi faire ?
Et si ce n'est maintenant, quand alors ?
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Il n'y a que deux moyens de vaincre le désespoir : travailler et combattre, mais ils ne suffisent pas toujours. Il y en a aussi un troisième, c'est de nous raconter des histoires, de nous mentir les uns aux autres, nous le faisons tous.
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- [...] La guerre, c'est surtout une grande confusion sur le champ de bataille et aussi dans la tête des hommes : très souvent on ne comprend même pas qui a gagné et qui a perdu, ce sont les généraux et ceux qui écrivent les livres d'histoire qui le décident après coup. C'était comme ça, la confusion totale.
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