Quand nous commettons l'erreur de croire le sauvage exclusivement gouverné par ses besoins organiques ou économiques, nous ne prenons pas garde qu'il nous adresse le même reproche, et qu'à lui son propre désir de savoir paraît mieux équilibré que le nôtre.
Est-il vrai que toute œuvre d'art consiste dans une intégration de la structure et de l'évènement ?
L’histoire mène à tout, mais à condition d’en sortir.
« D’ailleurs, une forme d’activité subsiste parmi nous qui, sur le plan technique, permet assez bien de concevoir ce que, sur le plan de la spéculation, put être une science que nous préférons appeler « première » plutôt que primitive : c’est celle communément désignée par le terme de bricolage. (…) La comparaison vaut d’être approfondie, car elle fait mieux accéder aux rapports réels entre les deux types de connaissance scientifique (sciences du concret ; sciences exactes et naturelles) que nous avons distingués. Le bricoleur est apte à exécuter un grand nombre de tâches diversifiées ; mais, à la différence de l’ingénieur, il ne subordonne pas chacune d’elles à l’obtention de matières premières et d’outils conçus et procurés à la mesure de son projet : son univers instrumental est clos, et la règle de son jeu est toujours de s’arranger avec les « moyens du bord », c'est-à-dire un ensemble à chaque instant fini d’outils et de matériaux, hétéroclites au surplus, parce que la composition de l’ensemble n’est pas en rapport avec le projet du moment, ni d’ailleurs avec aucun projet particulier, mais est le résultat contingent de toutes les occasions qui se sont présentées de renouveler ou d’enrichir le stock, ou de l’entretenir avec les résidus de constructions et de destructions antérieures. »
Comme dans les langues de métier, la prolifération conceptuelle correspond à une attention plus soutenue envers les propriétés du réel, à un intérêt mieux en éveil pour les distinctions qu'on peut y introduire. Cet appétit de connaissance objective constitue un des aspects les plus négligés de la pensée de ceux que nous nommons "primitifs". S'il est rarement dirigé vers des réalités du même niveau que celles auxquelles s'attache la science moderne, il implique des démarches intellectuelles et des méthodes d'observatiions comparables. Dans les deux cas, l'univers est objet de pensée, au moins autant que moyen de satisfaire des besoins
Il suffit donc que l'histoire s'éloigne de nous dans la durée, ou que nous nous éloignions d'elle par la pensée, pour qu'elle cesse d'être intériorisable et perde son intelligibilité, illusion qui s'attache à une intériorité provisoire. Mais qu'on ne nous fasse pas dire que l'homme peut ou doit se dégager de cette intériorité provisoire. Il n'est pas en son pouvoir de le faire, et la sagesse consiste pour lui à se regarder la vivre, tout en sachant (mais dans un autre registre) que ce qu'il vît si complètement et intensément est un mythe, qui apparaîtra tel aux hommes d'un siècle prochain, , qui lui apparaîtra tel à lui-même, peut-être, d'ici quelques années, et qui, aux hommes d'un prochain millénaire, n'apparaîtra plus du tout.
L'erreur de l'école de Mannhardt et de l'école naturaliste fut de croire que les phénomènes naturels sont ce que les mythes cherchent à expliquer : alors qu'ils sont plutôt ce au moyen de quoi les mythes cherchent à expliquer des réalités qui ne sont pas elles-mêmes d'ordre naturel, mais logique.
Les produits naturels utilisés par ls peuples sibériens à des fins médicinales illustrent, par leur définition précise et la valeur spécifique qu'on leur prête, le soin, l'ingéniosité, l'attention au détail, le souci des distictins, qu'ont dû mettre en oeuvre les observateurs et les théoriciens dans les sociétés de ce type : araignées et vers blancs avalés (Itelène et Iakoute, stérilité) ; graisse de scarabée noir (Ossète, hydrophobie) ; cafard écrasé, fiel de poule (Russes de Sourgout, abcès et hernie) ; vers rouges macérés (Iakoute, rhumatisme) ; fiel de brochet (Bouriate, maladies d'yeux) ; loche, écrevisse avalées vivantes (Russes de Sibérie, épilepsie et toutes maladies) ; attouchement avec un bec de pic, du sang de pic, insufflation nasale de poudre de pic momifié, oeuf gobé de l'oiseau koukcha (Iakoute, contre maux de dents, écrouelles, maladies de chevaux, et turbeculose, respectivement) ; sang de perdrix, sueur de cheval (Oïrote, hernies et verrues) ; bouillon de pigeon (Bouriate, toux) ; poudre de pattes broyées de l'oiseau tilégous (Kazak, morsures de chien enragé) ; chauve-souris desséchée pendue au cou (Russes de l'Altaï, fièvre) ; instillation d'eau provenant d'un glaçon suspendu au nid de l'oiseau remiz (Oïrotes, maladies des yeux).
Nous acceptons le qualificatif d'esthète, pour autant que nous croyons que le but dernier des sciences humaines n'est pas de constituer l'homme, mais de le dissoudre.
Les êtres divins primitifs étaient informes, sans membres, et fondus ensemble, jusqu'à ce que survînt le dieu Mangarkunkerkunja (le lézard gobe-mouche) qui entreprit de les séparer les uns les autres et de les façonner individuellement.