Mars 1886. Hyde attend la fin, mourant. Poole, le fidèle domestique de Jekyll lui apporte à manger chaque jour sans le voir. Il se dit qu'il finira bien par comprendre. Patientant, il tente de mettre de l'ordre dans ses souvenirs et raconte l'expérience telle qu'il l'a vécue. Ses souvenirs sont hachés, décousus (et difficilement compréhensibles pour qui n'aurait pas lu l'oeuvre originale de
Stevenson) mais ce qu'il met en avant c'est cette liberté d'être en laquelle il a cru.
Dr Jekyll est un précurseur du psychiatre moderne et, on le sait, il fait sur lui-même l'expérience du dédoublement de personnalité. Ce qui est un peu perturbant ici, c'est que Hyde n'est pas présenté comme la partie sombre du Dr Jekyll. Il reste la création de l'éminent docteur mais
Daniel Levine nous propose un Hyde personnage à part entière, que Jekyll manipule, agent confus des désirs secrets du médecin. Ce dernier a accès à ses pensées, il le télécommande de l'intérieur alors que lui doit sans cesse deviner ce que Jekyll attend de lui. Comme le jour où il reçoit 5000 livres sur son compte personnel. Qu'était-il censé en faire ? Il s'achète une maison et s'organise une vie sans être vraiment sûr qu'il fait bien. Mais il en a besoin pour se sentir libre et « se transformer en une vraie personne », « être un être humain légitime ». Il est Mr Edward Hyde de Ghyll Road.
Hyde n'est pas non plus le mal absolu que l'on reconnait à sa difformité répugnante. Une fois vêtu correctement, il est un homme ordinaire. Il ne ressemble pas à l'être maléfique et sans remord décrit par
Stevenson. Hyde m'a touchée et m'est apparu sympathique dans le début de ce récit. Lévine nous le rend même attachant et bonhomme. Cela ne durera pas. On sait qu'il commet des actes horribles. Mais en a-t-il vraiment le contrôle ? Les violents maux de têtes qu'il ressent sont-ils dus aux pensées que Jekyll insuffle en lui ou à autre chose ?
Le récit de Lévine est dense et parfois obscure, confus comme les pensées d'un Hyde en fin de vie. Certains personnages apparus au début ne refont plus surface comme Mrs Deaker, la domestique, ou
Verlaine. Je pense que
Daniel Lévine, qui connait bien le récit de
Stevenson, a voulu trop bien faire et son récit souffre de longueurs. (Notons que l'oeuvre originale ne compte que 85 pages et celle-ci plus du triple) J'ai aussi trouvé le rythme lent et j'avoue qu'il met arrivé de sauter des paragraphes descriptifs de ce roman exigeant et complexe. le choix de Lévine de garder le même style d'écriture que
Stevenson pourrait maintenir certains à distance par son côté trop formel. Les descriptions sanglantes, à l'inverse, sont bien plus fortes et gores que dans le roman initial.
Adroitement imaginé cependant, il mêle diverses réflexions sur l'origine du mal, le déséquilibre psychologique du Dr Jekyll, l'hypocrisie de la société, la liberté d'être qui on est... au récit fantastique de
Stevenson. Ne vous attendez donc pas à lire un thriller, comme je m'y attendais au départ.
Le travail qui sous-tend ce premier roman est remarquable mais je persiste à penser que l'auteur a voulu trop bien faire. Dommage.