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Critique de YvesParis


A la demande du magazine Atlantic Monthly, BHL s'est lancé sur les pas d'Alexis de Tocqueville pour dresser l'état des lieux de l'Amérique. Parcourant plus de 20.000 km, BHL a sillonné l'Amérique, cet « autre qui nous parle de nous » (p. 353), et y a multiplié les rencontres : de Sharon Stone à Francis Fukuyama en passant par Warren Beatty, Jim Harrison, Woody Allen, Norman Mailer ou Samuel Huntington. Ses chroniques, publiées au fil des mois dans le mensuel américain, ont été rassemblées dans un ouvrage, d'abord publié aux Etats-Unis chez Random House puis en France chez Grasset.
Des deux côtés de l'Atlantique son livre a provoqué un joyeux tohu-bohu médiatique. Les critiques américaines ont été les plus cinglantes. La faute en incombe peut-être à un sous-titre trop ambitieux. En annonçant un voyage américain « sur les pas de Tocqueville » (Traveling America in the Footspeps of Tocqueville) BHL courait le risque d'être comparé à son illustre prédécesseur. Et quand on sait combien Tocqueville est vénéré outre-Atlantique, la comparaison ne pouvait tourner qu'au désavantage de l'auteur de L'idéologie française. « Tocqueville était un juriste imprégné de pragmatisme et d'idéaux moraux. M. Lévy est un intellectuel à paillettes, beau parleur, un peu snob » tranche le Los Angeles Times.
Les Américains n'ont pas eu tort de se moquer de ce dandy philosophe auquel plusieurs enquêtes fort critiques viennent d'être consacrées en France : le B.A.Ba du BHL chez La Découverte (2004), BHL une biographie chez Fayard (2005) et Une imposture française aux Arènes (2006). Car, comme dans tous ses autres livres,ce livre de BHL traite au moins autant de son sujet que de son auteur. Ce qui intéresse BHL, ce n'est pas l'Amérique, mais ce que lui, BHL, en pense.

Ce narcissisme revendiqué est exaspérant, d'autant que BHL se laisse aller à la facilité.
Sur la forme. Il ne fait pas l'effort de construire une réflexion sur l'Amérique mais se borne à livrer, au fil de son voyage, quatre-vingts « billets » de 5.000 caractères. le format en est si bref que la réflexion n'a pas le temps de s'approfondir. On aimerait pourtant réfléchir aux questions, souvent pertinents, qui sont posées : pourquoi cette « obsession du drapeau » ? que se cache derrière la hantise de l'obésité ? que nous révèle le safe sex pratiqué dans les bordels du Nevada ? comment comprendre le rapport singulier des Américains à la nature ? Autant de questions à peine esquissées qu'un épilogue, plus conceptuel, d'une centaine de pages ne parvient pas à traiter, frustrant le lecteur de la véritable réflexion tocquevilienne qui lui était promise.
Sur le fond. Persuadé de son génie, BHL s'enivre de ses découvertes sans réaliser la désinvolture intellectuelle qu'elles révèlent. Déclarer avoir « parcouru les premières pages de One Nation after All que m'a passé hier soir le sociologue Alan Wolfe » (p. 40) est au mieux de la cuistrerie, au pire la confession d'une inquiétante méconnaissance de cet essai majeur autour duquel le débat sociologique s'organise depuis huit ans. Quant aux pages qu'il consacre aux néo-conservateurs, elles montrent que sur ce sujet, extraordinairement bien documenté, BHL n'a pas fait l'effort de lire les travaux de Pierre Hassner, Justin Vaïsse, Bruno Tertrais ou Ghassan Salamé.

Ceci étant, quelque grande que soit l'aversion que suscitent le personnage et ses méthodes, il faut lui reconnaître quelques fulgurances et un certain courage. BHL a atteint une telle notoriété qu'il peut se permettre une incorrection politique au final assez roborative. Il faut par exemple une certaine audace pour saluer chez les Néo-conservateurs la réhabilitation des idées dans la politique ou dénoncer le « trou noir » idéologique (p. 331) des Démocrates. Il faut aimer le paradoxe pour trancher le débat sur la religiosité en affirmant que « l'Amérique est un pays laïc » (p. 451) … tout en ajoutant quelques pages plus loin qu'il est « souhaitable de trouver un autre mot (…) pour cette laïcité à l'américaine » (p. 454). Il faut vouloir résister à l'anti-américanisme pour reconnaître que les Etats-Unis ne sont pas un Empire mais sont au contraire « en train de devenir déjà le siège (…) de la réaction à l'empire » (p. 481). Et il faut un certain talent pour livrer en trois pages décapantes un portrait de George W. Bush, « né pour perdre » (p. 61) qui par une métamorphose inexplicable s'est transformé en Président.
On comprend aisément qu'un tel portrait à l'emporte-pièce ait déplu outre-Atlantique. « Ses choix concernant les lieux à visiter et les personnes rencontrées manquent cruellement de discernement » écrit Marianne Wiggins dans le Los Angeles Times. le prestigieux supplément littéraire du New York Times n'a pas eu la main légère : « Comme toujours pour les écrivains français, Lévy est court sur les faits et long sur les conclusions ». Pour autant, si l'on dépasse son exaspération, on trouvera dans American Vertigo plus d'énergie et d'intelligence que dans beaucoup d'ouvrages.
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