Le cinquième (et dernier ?) recueil d'essais de
Simon Leys sur la Chine date de 1991, autrement dit, il est postérieur de deux ans aux massacres de la place Tienanmen. Ces massacres confirment le jugement que l'auteur portait sur le communisme comme système d'oppression et de destruction, mais
Simon Leys est loin de se réjouir d'avoir eu raison quand tous les autres sinologues détournaient le regard et encensaient la "demi-douzaine de momies sanglantes et terrifiées" massacrant à plusieurs reprises "la jeunesse, l'intelligence et l'espoir de la Chine". L'auteur rappelle simplement que pour écrire "
Les habits neufs du Président Mao" et ses autres recueils, il suffisait de lire le chinois et de voir ce que l'on voit. Il tire de cette expérience une réflexion désabusée sur la vérité et sur la nécessité de l'exprimer, concluant avec
Baudelaire à "l'épouvantable inutilité d'expliquer quoi que ce soit à qui que ce soit."
Ce mince recueil n'est pourtant pas seulement une leçon de désabusement. Il contient plusieurs textes sinologiques extraordinaires, qui permettent de mieux comprendre la relation des Chinois à leur propre passé, fort différente de la nôtre ; une étude du poète français
Victor Segalen, dont l'admirable roman "
René Leys" donna à l'auteur l'idée de son pseudonyme ; les propos de Huang Binhong (1864-1955, "un des plus grands peintres de notre siècle") sur la peinture ; une étude de la personnalité de Zhou Enlai, ou l'art politique de "la barque vide" ; des remarques sur la méthode de la pékinologie politique du Père Ladany, inspirateur secret de tous ceux qui l'ont pillé ; des articles sur le massacre de la place Tienanmen ; et plus légèrement, enfin, deux recensions critiques concernant les livres de deux pompeux crétins ayant voyagé en Chine,
Alain Peyrefitte et
Bernard-Henri Lévy.
Ce livre diffère quelque peu des quatre précédents : même s'il est segmenté en brefs articles, et accorde une part importante à l'actualité politique, la pensée va plus loin dans l'audace et renouvelle la perception de la civilisation chinoise, au plan artistique et culturel. Un peu moins d'actualité, et plus d'art et de littérature : cela donne à ce recueil une place privilégiée dans l'oeuvre de
Simon Leys.