Triste vie

En fait, conscient qu'il était d'être un homme ordinaire, vivant de ses bras et d'un salaire, il ne s'était jamais demandé s'il fallait regretter les rêves de la jeunesse. Comment aurait-il pu se permettre de rêver ! La vie avait passé si vite, semaine après semaine. Lorsque sa femme avait été enceinte, les couches n'étaient pas encore prêtes que son fils était déjà né.

Ils furent accueillis par la chaleur du fourneau, le crépitement de l'huile dans la poêle, et les bonnes odeurs de ciboule et de viande qui emplissaient la petite pièce tout en effervescence. le sifflement de la vapeur s'échappant de la cocotte minute semblait si harmonieux:

C'était sa femme. Oui, c'est vrai qu'elle était terne et qu'elle avait mauvais caractère. Mais que pèsent les beaux sentiments, les amours romanesques ou les ententes spirituelles les plus raffinées pour un homme qui rentre au logis, affamé et épuisé ?

Yin éteignit sa cigarette et se glissa sous la couverture. Au moment de s’endormir, sa trouvaille du matin sur le bateau lui revint à l’esprit : Rêve. Il se vit flottant dans l’air, en train de parler à un autre soi couché dans le lit : Tout ceci est un rêve, un très long rêve ; tout sera différent quand tu te réveilleras. Profondément convaincu par ses propres paroles, il s’endormir, serein. (p.102)

L'inflation, les augmentations de salaire, le passage obligé du téléviseur noir et blanc au téléviseur couleur, du lave-linge à simple tambour au lave-linge à double tambour. Il avait du mal à composer avec toutes ces modes , avec tous ces évènements. Quand il y parvenait, il n'en éprouvait nul plaisir, en revanche, l'échec décuplait ses ennuis. Par exemple, maintenant qu'il avait des difficultés pour changer de téléviseur, son fils commençait à le mépriser, lui répétant à l'envi que le papa d'un tel avait acheté un téléviseur couleur contrôlé par ordinateur. Afin de regagner le respect de son fils, il faisait de gros efforts pour réunir les sommes nécessaires
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La famille est une poutre sur laquelle lui et sa femme jouaient tant bien que mal aux équilibristes.

Pourquoi les gens de cette rive étaient-ils obligés d'aller travailler de l'autre coté ? Pourquoi les jardins d'enfants n'offraient-ils pas de pension complète ? Pourquoi toutes les corvées de l'usine retombaient-elles sur lui ? Pourquoi ne se décidait-il pas à voir en face ses relations avec Yali ? Pourquoi le mariage et l'amour n'allaient il pas de pair ?
Yin aurait tant souhaité être lui-même un enfant et que son père répondît à toutes les questions qu'il se posait.

S’il n’avait pas d’yeux derrière la tête, Yin savait pourtant que, derrière une des fenêtres de cette rangée de maisons délabrées, une femme, les cheveux en bataille, une veste sur le dos, les pieds nus dans une paire de savates, les regardait s’éloigner, lui et son fils. Une femme au visage chiffonné qui était sa femme. Tu peux toujours reprocher à ton épouse d’être un peu défraîchie, n’empêche qu’elle est la seule à te regarder partir, et la seule à attendre ton retour. (p. 18)

[...] Avec sa femme,Yin avait déjà tiré des plans pour l'utilisation de cette somme : on achèterait un jouet électrique au petit et on dépenserait le reste dans un restaurant qui sert de la cuisine occidentale. «Pour une fois, on va enfin en profiter un peu et se faire plaisir» avait-il annoncé à sa femme. Elle avait eu un large sourire : cela faisait si longtemps qu'elle rêvait de goûter à la cuisine occidentale, mais comme chaque fois on arrivait tout juste à boucler le mois, elle n'y avait jamais songé sérieusement.
«Tu as eu ta prime ?» lui avait-elle demandé encore quelques jours auparavant.

Tu parles d'un homme. Quand on est un homme avec femme et enfant, au moins on trouve un trou pour les caser. Quelle chiffe molle ! Tu n'as rien d'un homme.
Amer, Yin baissa la tête et s'affala sur le lit.
Après tout, que leur fils soit tombé par terre, qu'est-ce que cela avait à voir avec le logement ? Yin était parfaitement conscient que sa femme se vengeait de lui. Mais avait-il d'autre choix que de supporter ses moqueries ? Il n'avait pu lui obtenir un logement dès leur mariage, comme il le lui avait promis. Pourtant à l'époque où il la courtisait, il remplissait déjà les conditions d'attribution d'un logement au sein de son usine.