Attention au piège : ceci n'est pas un roman, mais un recueil de nouvelles (même deux recueils :
L'Ange de la Mélancolie et
Quand je serai grand, je serai mort). Prise dans ma frénésie d'achat, je n'avais même pas pris la peine de lire attentivement la quatrième de couverture. L'illustration me plaisait bien, j'aimais beaucoup la maison d'édition, et ça m'a suffi. Je me suis plongée dans cette aventure sans à priori, me doutant que l'histoire serait gore et angoissante (le magnifique dessin sur la couverture est, disons, assez parlant). J'ai été un poil désillusionnée en me rendant compte que ce n'était pas un roman. Mais finalement, les histoires courtes conviennent à ce style, cela permet de segmenter la lecture.
Le texte tient ses promesses : c'est gore ! Je dirais même, âmes sensibles s'abstenir.
Nicolas Liau écrit fantastiquement bien, ses récits sont remplis de merveilleux et d'une poésie pleine de sensibilité ; mais c'est une beauté mise au service du sang et de l'horreur. Merveilleux dans le sens de réel merveilleux, attention.
Par exemple, dans « Enfer et Damnation », Léandre arrache les yeux de son amant et plante dans les deux globes sanglants deux bagues qui resteront enchâssées dans la chair quand les plaies guériront.
En fait, tout ce qui peut symboliser le beau, l'innocence, la douceur est finalement détruit.
Dans « Pour qui croissent les corbeaux ? », une petite fille joue sur une balançoire accrochée à un arbre… dans les branches duquel un pendu est en train de pourrir. Les corbeaux veulent le béqueter, bien sûr, et elle défend son « ami » en s'efforçant de faire peur aux oiseaux. Mais finalement, ceux-ci devenant plus audacieux, elle reconnait qu'elle est incapable de lutter contre la nature et renonce à ce jeu. Elle en joue à un autre, plus cruel : c'est elles qui, telle une maîtresse d'école, orchestre leur festin. Elle y met tant de rigueur que ses sous-fifres se rebelleront et transformeront en bourreaux.
L'enfant, symbole de l'innocence et de la pureté, côtoie donc l'immonde très naturellement. C'est un peu perturbant, je vous l'accorde. Ce style d'écriture évoque le spleen baudelairien, où la beauté se mélange à la laideur et conduit à la souffrance (car elle est éphémère) : « le Masque », « La Charogne »…
J'avais lu dans la préface que l'éditeur avait dû faire une pause dans sa lecture tant il avait été pris aux tripes (oui, c'est la première fois que je lis une préface en entier…). Et moi, avec mon orgueil de lectrice, je m'étais cru suffisamment rodée pour tout lire en quelques jours, sans couper ma progression. Erreur ! Au bout d'un moment, gorgée de sang et de malheur, j'ai dû laisser le livre de côté pendant quelques semaines le temps de me remettre. L'horreur est tellement banale, presque gratuite, qu'une pause est nécessaire pour se ressourcer.
Mais il faut dire aussi que le schéma est très semblable d'une nouvelle à l'autre. En général, tout commence normalement (soit à notre époque, soit dans une autre), on rencontre un personnage principal banal (soit heureux, soit malheureux) dans le quotidien duquel le surnaturel fait irruption (en fait intriguant ou alors en guérison de la souffrance). Au début, ce n'est pas forcément menaçant, mais dès qu'on s'en rapproche, on se rend compte que c'est quelque chose de peu ragoutant voire de franchement mauvais. Toutes les histoires finissent mal, tous les personnages sont aspirés par cette maléfique magie. le héros est presque systématiquement une victime qui se fait trahir par un être aimé, et c'est là l'origine de toute souffrance. L'amour est ainsi source d'un bonheur tout illusoire, et surtout de grands malheurs. Tellement de malheurs que ça en devient – et j'insiste là-dessus – gratuit.
La même chose se produit pour le surnaturel
: dans « La Gueule des Deux Mignonnes », la fille du protagoniste tombe dans un puits qui n'est autre que l'antre de vouivres jumelles. La seule chose qui ressort de ce puits est la matière inorganique, parfaitement intacte (vêtements propres et pliés posés sur le bord du puits, s'il vous plaît). Toute chair, tout ossement disparaît mystérieusement. L'histoire commence à partir de là, car le père va chercher à se venger de l'homme qui a vu sa fille mourir, mais n'a rien fait pour la sauver. le surnaturel dans cette nouvelle n'a pas d'utilité particulière, à part renforcer le sentiment d'horreur et de dégoût. La jeune fille aurait tout aussi bien pu tomber dans un puits tout simple, ç'aurait été la même chose.Nicolas Liau abuse un peu trop de ce fantastique, qui gagne finalement à être moins révélé. Je trouve que c'est un peu trop exposé et qu'il perd de sa force.
Au final, j'ai quand même aimé lire
L'Ange de la Mélancolie. L'écriture fluide de l'auteur m'a impressionnée. Mais je ne pense pas que je relirai ce livre de sitôt, parce que tant de désespoir mine le moral et qu'au bout d'un moment, on a envie de dire aux protagonistes de se secouer et d'arrêter de se complaire dans leur tristesse. Ils sont tellement sensibles qu'ils souffrent alors qu'il ne leur arrive rien de spécial, comme dans la nouvelle « Fleurs de barbelés », où Wulfan a un coeur si rempli d'amour qu'il est obligé de se l'arracher et de le suspendre à un arbre parce que ses sentiments, ne trouvant pas d'exutoires, le font pourrir…