Roger Langlais dans sa préface au Culte de la charogne en 1976:
« Si Libertad a fait face, de son vivant, à tant de calomnies, s'il a suscité la haine et la dérision, apanage des esprits les plus libres, ou s'il a été travesti en agitateur "pittoresque" par les chieurs d'encre, c'est sans doute parce que son existence même était intolérable : elle était la négation de l'hébétude, de l'instinct grégaire et de l'attachement à l'état de mort-dans-la-vie que perpétuent, d'une génération à l'autre, ceux-là mêmes que leur adhésion formelle à telle ou telle théorie révolutionnaire serait censée immuniser contre les repoussantes séductions du vieux monde. Mais s'il est scandaleux que Libertad ne soit pas entré dans la mort avant de tomber sous les coups des flics, il est bien plus intolérable encore que loin de se satisfaire d'un misérabilisme de marginal, il ait toujours porté la contradiction au coeur même de l'illusion sociale, dans le domaine réservé aux tenants interchangeables de l'État et de sa négation spectaculaire (...). Rejet du passé, rejet des germes de mort et de putréfaction qui empoisonnent déjà le futur, sont indissolublement liés : tel est le sens de la haine que porte Libertad au "culte de la charogne", dont toute la vie quotidienne subit l'envahissement : "Les morts nous dirigent ; les morts nous commandent, les morts prennent la place des vivants." Jamais peut-être l'essence morbide de la démocratie, dans ses manifestations apparemment les plus disparates, n'a été perçue avec une telle lucidité. Il est d'ailleurs superflu d'insister sur le caractère prémonitoire de cette vision : il suffit de considérer le fascisme, putréfaction ultime de la démocratie, le stalinisme triomphant, construit sur des millions de charognes - celles des "héros" et celles des "traîtres" - ou l'idéologie du martyr partagée par la plupart des mouvements qui prétendent s'opposer à la bureaucratie comme au capitalisme et pour lesquels, dans le meilleur des cas, la vie n'est que l'espoir de vivre. »
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Ceux qui envisagent le but dès les premiers pas, ceux qui veulent la certitude d'y atteindre avant de marcher n'y arrivent jamais.
Je le répète, car il faut souvent se répéter pour se faire comprendre, je ne suis pas un libertaire, et j'accepte fort une discipline lorsqu'elle est convenue. Dans une réunion publique, cette discipline est tacite. Vous écoutez les orateurs ou tout au moins vous ne faites aucun bruit empêchant de les écouter ; vous n'usez de l'interruption qu'avec le plus grand soin, le plus brièvement et le plus clairement possible ; vous évitez, si vous êtes maladroit, cette façon de manifester votre opinion et vous n'en abusez jamais, parce qu'elle gêne l'orateur et fatigue la salle qui ne la comprend pas toujours ; en tous les cas, vous prêtez attention aux interruptions faites, les favorisant, à moins qu'elles ne soient manifestement systématiques ou qu'elles n'émanent d'un poivrot, auxquels cas vous agissez selon vos opinions.
Le mort n'est pas seulement un germe de corruption par suite de la désagrégation chimique de son corps, empoisonnant l'atmosphère. Il l'est davantage par la consécration du passé, l'immobilisation de l'idée à un stade de l'évolution. Vivant, sa pensée aurait évolué, aurait été plus avant. Mort, elle se cristallise. Or, c'est ce moment précis que les vivants choisissent pour l'admirer, pour le sanctifier, pour le déifier.
Les travailleurs ne s'aident pas, se nuisent même, c'est indéniable. Ils le font au moins dans la pratique, ce qui est essentiellement grave.
Pour défendre une telle attitude, toutes les raisons imaginées sont mauvaises.