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Critique de Alfaric


Il aura fallu Brian Stableford, auteur anglais passionné autant par les littératures de l'imaginaire que par la littérature française (c'est un spécialiste de Paul Féval, Camille Flammarion, Auguste de Villiers de L'Isle-Adam et Gaston de Pawlowski), pour exhumer le beau texte d'André Lichtenberger intitulé "Les Centaures" (un texte qu'on aurait pu catégoriser fantasy, si à l'époque l'épithète avait existé ^^)
Avant de débuter quelque mots sur l'auteur : enfant alsacien exilé au Pays Basque après 1870, c'est en passant par le très élitiste Lycée Louis Legrand qu'il gravit tout les échelons de la méritocratie républicaine avant d'être dans le gouvernement radical de l'épopée laïque de 1905, avant de basculer de l'optimisme au cynisme dans les tranchées de la WWI... de son propre aveu son oeuvre préférée, "Les Centaures" est un poème en prose divisé en 5 chants, d'inspiration antiquisante et mythologique, donc d'inspiration homérique. Cette oeuvre qui appartient au registre de la fantasy dite folklorique fait partie d'une série le récits consacrés à la solidarité entre tous les êtres avec "La Mort de Corinthe", "Monsieur de Migurac", "Kaligouça le Coeur Fidèle", "Tous Héros" et "Juste Lobel Alsacien" (il faut savoir que l'auteur était un socialiste convaincu et ma fois convaincant).

1er Chant :
Nous découvrons à travers les yeux de Kadilda, la centauresse blanche fille de Klévorak le chef de son peuple, un Âge d'Or où tout n'est pas luxe, calme et volupté, car si on est innocent et insouciant, cela n'exclut pas la dureté et la cruauté donc la violence… Ah ça, on n'est pas dans le "Fantasia" de la Disney Corporation accompagnés musicalement de la Symphonie Pastorale de Beethoven ^^
Tous les mammifères sont frères, et les animaux-rois sont là pour incarner la solidarité à travers les Tritons enfants de la Mer, les Faunes enfants de la Terre, et les Centaures enfants du Soleil. Et les Dominateurs aux six-membres sont ainsi chargés de faire respecter la loi des temps anciens parmi tous les animaux, mais aussi de veiller à ce que les carnassiers aient de quoi manger (malgré les récalcitrants que sont les Mammouths, les Ours appelés Bêtes Farouches, et les Hommes tantôt appelés les Écorchés tantôt appelés les Maudits)...

2e Chant :
Toujours par les yeux de Kadilda la centauresse blanche, nous suivons le récit d'un premier contact entre l'univers des animaux-rois et celui des hommes... Elle rencontre Naram aux yeux bleus et aux cheveux roux, et ils auraient pu établir un pont entre leurs peuples respectifs qui auraient pu collaborer au lieu de lutter, mais autour d'eux le malentendu mène à l'accident, l'accident au meurtre, le meurtre aux représailles, les représailles au génocide... Naram seul survivant de sa tribu découvre grâce à la foudre divine le secret du feu qui lui permet de faire face à la horde des sauvage des centaures !
Kadilda marqué par l'amour n'aura de cesse de rêver à Naram et aux monde des hommes, Naram marqué par la haine n'aura de cesse d'oeuvrer à la disparition du monde des animaux-rois...

3e Chant :
3 années plus tard parmi les centaures c'est la guerre des sexes, car les centauresses menées par Kadilda veulent moins d'animalité et plus d'humanité. Les leaders centaures s'interrogent sur l'avenir de leur peuple si la grève du sexe perdure, d'autant plus qu'Hark en deuil de sa campagne et son fils mort-né se met à transgresser les lois du passé en refusant leurs dépouilles aux carnassiers (réflexion sur la naissance des coutumes funéraires au temps où il n'y avait d'autres lois que celles de la nature), maiss bien vite les problèmes sociétaux leur apparaissent bien de chose peu de chose par rapports aux problèmes environnementaux car avant le froid et la neige de l'âge de glace c'est le déluge qui s'abat sur eux et sur les champs de rhéki dont ils se sont toujours nourris..

4e Chant :
Les centaures ont refusé le malthusianisme par euthanasie d'âge décroissant proposé par leur chef Klévorak : quoi qu'il arrive, ils vivront et ils mourront tous ensemble ! Avec les Tritons indemnes de Gurgundo et les Faunes déjà lourdement touchés de Pirip, ils font route tous ensemble à travers les eaux vers un île volcanique épargnée par le froid et de la faim. Mais l'exode est périlleux, pire encore qu'une odyssée... Un pour tous et tous pour un ?

5e Chant : je n'aurais pas dû le lire tellement c'est triste et tragique...



Entre romantisme, symbolisme et impressionnisme j'ai retrouvé le meilleur de la culture française du XIXe siècle : Larmartine et Hugo, Verlaine et Rimbaud, David et Delacroix, Manet, Monet, Renoir et Degas, Berlioz et Saint-Saëns, Debussy, Satie et Dukas... Vertige du Syndrome de Stendhal ! ^^
Pourtant les inspirations sont claires : Homère, Hésiode, Rudyard Kipling, Gustave Faubert et H.G. Wells. On parle d'un temps où la frontière entre l'humanité et l'animalité est encore floue : comme dans "Le Livre de la jungle" tous les animaux ont un nom et sont considérés comme des peuples à part entière qu'il convient de respecter : c'est ainsi qu'on retrouve parmi tant d'autres Axor le cerf et Pilta la biche, Ghali l'antilope, Raram le jaguar, Herta la louve, Volp le renard, Kraan le blaireau, Tutul l'écureuil, Kirr la chauve-souris, Bhor le boeuf sauvage, Kahar le cheval ou Spirr la panthère... Et la loi et l'ordre incarnés par les Centaures prend à contre-pied ceux des hybrides de "L'Île du Docteur Moreau" car André Lichtenberger détestait H.G. Wells pour des raisons moins artistiques qu'idéologiques (ah le monde impitoyable des querelles et des rivalités sans fin de la nébuleuse socialiste ^^). Sauf que si on raconte la fin de l'Âge d'Or et l'avènement de l'Âge des Hommes, c'est fait par le point de vue des créatures mythologiques et tout est centré sur un drame où Kadilda et Naram rejouent les rôles jadis dévolus à salammbô et Mâtho (notez bien que le roman romantique de Gustave Flaubert a été cité en exemple par certains des plus grands auteurs fantasy, mais ça c'était avant qu'il ne soit récupéré par la bourgeoisie).
Les animaux-rois ont établi l'égalité et les fraternité, mais ils sont soumis aux lois des anciens qui les empêche d'évoluer, de s'adapter et d'aller de l'avant ; les hommes eux ont la liberté de tout découvrir, de tout inventer, de tout utiliser, mais ils ignorants de l'égalité et de la fraternité ils sont condamnés à se combattre et à s'exploiter les uns les autres... Il faut replacer les idées développées par l'auteur dans leur contexte : l'oeuvre date de 1904, et les nationalismes suprématistes s'affrontent à grand coups de course aux armements et de course aux colonies.

L'ensemble est assez proche des univers de Thomas-Burnett Swann qui lui aussi a revisité les mythes grecs et romains par un point de vue alternatif, mais aussi du Planet Opera « préhistorique » "Dark Eden" de Chris Beckett... Pourquoi ? Par ce qu'on est mine de rien dans un épopée préhistorique comme la culture française a su si bien les faire de "La Guerre du feu" à "Rahan" !
Et pour finir, je remercie Thierry Fraisse et les éditions Callidor d'avoir suivi l'exemple de Brian Stableford, avec un bel livre-objet réalisé par l'éditeur lituanien Standartu Spaustbuvé qui a restauré la version de 1924 illustré par Victor Trouvé.


PS1: je ne suis pas culturellement armé pour évaluer ce texte à sa juste valeur, du coup j'aimerais bien l'avis d'expert des spécialistes « 19ème siècle » et « poésie »

PS2: l'usage du mot « race » m'a fait tiquer, mais c'est un élément de langage suprématiste puisqu'on a remplacé le mot peuple par le mot race quand l'aristocratie puis la bourgeoisie ont appliqué aux sciences humaines des termes issus des sciences agricoles ! (« race » veut dire course en anglais, donc par extension on a parlé des chevaux de « race » avant de tomber dans des gros délires eugénistes en oubliant que ce qui marche déjà difficilement pour les animaux ne marche pas du tout pour les être humains... élites de merde et puis c'est tout !)


Challenge défis de l'imaginaire (SFFF) 2018
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