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Nécropolis" est ce que j'appellerais une éclipse dans une vie de lecteur, c'est à dire un événement marquant et mémorable, une expérience fascinante et éprouvante qui occulte pour un temps toutes les lectures précédentes, celle-ci, mieux que beaucoup d'autres, vous fera comprendre le véritable sens du mot "obsession".
Pour ce qui est du contenu, sachez qu'entrer dans la vie de Paul Konig risque de vous perturber un tantinet, car si on s'est plus ou moins habitué aux scènes d'autopsies au fil des polars ou autres séries, ici, il s'agit carrément du plat de résistance, je n'ai rien lu de comparable à ce jour en termes de détails et d'exhaustivité.
Paul Konig est le médecin-chef de l'Institut médico-légal de New York, une sommité mondiale, le meilleur dans sa spécialité qui est de "faire parler" les morts, et des morts à New York, ce n'est pas ce qui manque !
L'intérêt de ce roman qui tourne exclusivement autour de Konig est que nous suivrons plusieurs histoires simultanément, le quotidien du service, les luttes intestines dans l'institut, les rapports avec la presse et la mairie de la grosse pomme, une enquête criminelle où l'apport des travaux de Konig sera essentielle et enfin, ses problèmes plus personnels avec sa fille, car la face cachée de Paul Konig est que sa vie sociale est un néant abyssal depuis le décès de son épouse.
Ce roman, c'est aussi la vision d'un New York désenchanté, une ville qui se meurt de sa violence systémique et exponentielle, une violence qu'on retrouve dans les relations des uns avec les autres où la recherche de domination prime, et où pragmatisme rime avec intérêt personnel.
Les américains me fascinent, je ne pourrais pas vivre là-bas, c'est une certitude. Je me suis mis en quelque sorte dans la peau d'un entomologiste qui observerait une fourmilière à la loupe en s'émerveillant de l'intense activité qui s'y déroule, ce va et vient d'individus qui se croisent, ouvriers et soldats, quelques prédateurs aussi. Et si on est attentif, on pourrait même en voir certains transporter des cadavres et s'engouffrer au coeur de la fourmilière, peut-être en direction de l'institut médico-légal.
Ce qui m'a étonné a postériori, c'est justement d'avoir été fasciné par ces énumérations macabres lors des très nombreuses autopsies, cette précision anatomique et ce souci exhaustif du détail donnent un éclairage intense sur cette profession ingrate et son caractère indispensable.
Ce qui m'a surpris, c'est d'être captivé par tous ces personnages à la dérive, il sont violents, aigris et obstinés, aucun d'entre eux n'est sympathique et pourtant, il semble bien qu'un lien invisible les unit tous, peut-être un résidu d'espoir en quelque chose auquel ils ne croient plus...
Le personnage de Paul Konig est un incroyable maelstrom d'énergie obstinée, d'égotisme et d'égoïsme, entièrement obnubilé par son métier, un être fait d'ombre et de lumière, un Dieu vivant dans sa spécialité doublé d'un individu misérable dès qu'il quitte sa tour d'ivoire.
En 65 chapitres,
Herbert Lieberman m'a subjugué comme un serpent hypnotise sa proie, chacune des histoires qui rythme ce récit trouvera son dénouement au terme d'une progression faite de subtilité et d'intensité, l'enquête, concernant l'identification de deux cadavres défigurés et démembrés, étant un modèle du genre, et surtout, je ne suis pas prêt d'oublier l'intensité des deux derniers chapitres...
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Nécropolis n'est pas seulement l'un des sommets de la littérature policière, c'est aussi un extraordinaire document pour lequel
Herbert Lieberman a passé plus d'une année à enquêter dans les morgues de Manhattan. C'est surtout, comme la presse américaine l'avait souligné lors de la parution, "sans aucun doute le plus beau livre jamais écrit sur New York".
Nécropolis, paru en 1976, a remporté le grand prix de littérature policière.
Il me reste à te remercier Judith, c'est ton billet enthousiaste qui est à l'origine de ce coup de coeur :)