Aujourd'hui, en dépit des profanations, la nature demeure encore une inépuisable réserve de rappels adressés à l'homme, rappels de son véritable héritage, et qui peuvent devenir opérants à la lumière de la doctrine; et d'une manière comparable, même si le rétablissement de la civilisation chrétienne ne semble guère plus possible que celui de la nature vierge, nombre de ses points de repère subsistent encore, les cathédrales par exemple, monuments d'une éblouissante beauté qui portent témoignage de l'enthousiasme spirituel des siècles qui leur ont donné naissance. Outre leur pouvoir en tant qu'art sacré, elles ont celui de matérialiser avec éloquence — et jamais davantage que lorsqu'on les regarde du fond de l'abîme actuel — la règle universelle de toute spiritualité : «Cherchez premièrement le Royaume des Cieux et tout le reste vous sera donné par surcroît», ainsi que la règle parallèle : «On donnera à celui qui a». Et par là même, leur présence démontre encore une fois cette vérité complémentaire que « à celui qui n'a pas, on ôtera même ce qu'il a » : en tant que constructions de pierre, elles proclament la domination spirituelle de l'homme sur la matière, tandis que l'impuissance du monde moderne à produire quoi que ce soit qui leur ressemble trahit l'infirmité du matérialiste précisément là où on aurait pu s'attendre qu'il excelle. Il est «celui qui n'a pas», ayant rejeté la transcendance; et «ce qu'il a», c'est-à-dire la matière, lui est ôté en ce sens qu'on ne peut réellement dire qu'elle est à lui, puisqu'il n'a sur elle aucun pouvoir qualitatif. Il suffit d'approcher une ville comme New York pour avoir l'impression terrifiante que la matière a pris possession de l'homme et l'a quantitativement submergé. Mais devant les cathédrales de Durham, de Lincoln ou de Chartres, il saute aux yeux que nos ancêtres médiévaux étaient capables de maîtriser la matière au point de la contraindre à se surpasser jusqu'à se faire vibration de l'Esprit.
De toutes les communautés traditionnelles encore actuellement plus ou moins vivantes, c'est probablement les Indiens d'Amérique qui sont, grâce à leur mode de vie ancestral, les plus sensibles à la sainteté du macrocosme. C'est pourquoi ils voient cette vaste destruction, qu'ils pensent imminente eux aussi, sous un angle purement positif, comme un acte divin de normalisation qui fera table rase de toutes les constructions par lesquelles l'homme a défiguré et désacralisé la face vénérable de la terre, – d’où l’expression de Jour de la Purification qui désigne chez eux cet événement, attendu depuis longtemps.
Dans l’Islam, l’événement est également prédit, et dans des termes que les Indiens trouveraient rassurants. Ceci ne doit pas nous surprendre, puisqu'en dépit de nombreuses différences entre ces deux perspectives, l’Islam est toujours resté profondément conscient de ses origines nomades. Il a en outre un double droit à sa prétention à la primordialité, l’un rétrospectif, en tant que retour à la religion préjudaïque d’Abraham, et l’autre prospectif, en vertu de sa place au seuil du nouvel Âge primordial. Le Coran déclare expressément qu’avant la fin toutes les villes seront soit totalement détruites, soit durement châtiées ; et on peut présumer que cela aura été précédé par une frénésie de développement urbain, car, lorsqu’on l’a interrogé sur les signes qui annonceraient la proximité du dernier jour, le Prophète a en particulier mentionné l’excessive hauteur des futures constructions humaines. (p. 98)