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EAN : 9782707303295
178 pages
Editions de Minuit (01/04/1981)
4.29/5   260 notes
Résumé :
L'Etabli, ce titre désigne d'abord les quelques centaines de militants intellectuels qui, à partir de 1967, s'embauchaient, " s'établissaient " dans les usines ou les docks. Celui qui parle ici a passé une année, comme 0. S. 2, dans l'usine Citroën de la porte de Choisy. Il raconte la chaîne, les méthodes de surveillance et de répression, il raconte aussi la résistance et la grève. Il raconte ce que c'est, pour un Français ou un immigré, d'être ouvrier dans une gran... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (31) Voir plus Ajouter une critique
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En cette journée internationale des travailleurs, quelle lecture plus appropriée que celle de "L'établi" ?
En Septembre 1968, Robert Linhart, fondateur du mouvement maoïste en France et diplômé de Normale Sup, se fait embaucher chez Citroën pour fabriquer des 2CV, mais surtout pour y faire de l'entrisme, c'est à dire diffuser les idées révolutionnaires auprès des ouvriers. Ce faisant, il va se confronter à la réalité du travail à la chaîne, à laquelle ne l'avaient pas préparé ses théories marxistes-léninistes.

De Robert Linhart, j'admirais surtout la soeur, Danièle, formidable sociologue. Je déteste les Maos, et si je n'avais pas vu et autant apprécié le film de Mathias Gokalp inspiré de ce livre, je ne l'aurais jamais lu. Et quelle grossière erreur c'eût été ! Car l'intérêt particulier de ce témoignage est qu'il a été écrit en 1978 ; Linhart avait alors suffisamment de recul pour analyser avec une redoutable acuité tout ce qu'il a vécu au cours de son expérience prolétarienne.
Ce livre est donc le récit de ses onze mois passés à l'usine. L'auteur raconte la laideur, le bruit, l'odeur, l'abrutissement des corps, l'engourdissement des esprits, le mépris, la peur, le racisme, la fatigue, le flicage, la résignation, et puis la colère, la révolte, la solidarité, la grève, et la répression patronale. le tableau qu'il fait des "maîtres", blouses blanches, blouses bleues, complets-vestons, est à vomir ; pour autant, les ouvriers ne sont pas systématiquement parés de vertus, et lui-même se remet en question : "Je m'étais rêvé agitateur ardent, me voici ouvrier passif. Prisonnier de mon poste." Parce qu'il n'est pas facile de résister à dix heures de cadences continues.
J'ai été très touchée par l'humilité de cet intellectuel dépourvu d'habileté manuelle qui, sans relâche, oeuvre subtilement à éveiller les consciences ouvrières. J'ai surtout aimé la façon dont, dix ans plus tard, il continue de défendre la classe ouvrière : "Personne ne naît O.S. ; on le devient." (Et je vous laisse découvrir la toute dernière phrase du livre, une pure splendeur). En outre, au-delà du récit, son témoignage est une puissante réflexion d'une rare intelligence sur le monde du travail dans tous ses aspects -et force est de constater que son analyse est toujours d'actualité, qu'elle porte sur l'aliénation du travail, les manipulations managériales, ou même la grève : "Au fond, toutes les grèves se ramènent à ça. Montrer qu'ils n'ont pas réussi à nous briser. Que nous restons des hommes libres."

C'est donc un ouvrage remarquable, d'une profonde humanité, une démonstration implacable de ce qu'est réellement la lutte des classes. Je suis sortie bouleversée de cette lecture et plus riche de connaissances sur le monde ouvrier. En cela, le livre est bien supérieur au film, pourtant très réussi.
Et je ne regarderai plus les sympathiques deudeuches de la même façon, désormais.

Bonne fête du 1er Mai à tous !
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C'est un livre daté comme le sont certaines expressions : "prendre son compte" = démissionner. Il date de la 2 CV grise et de la chaîne que l'on remonte à contre-courant pour gagner les 2 à 3 minutes d'une pause cigarette. Les chefaillons, le syndicat C.F.C. pro-patronat, les brimades, les punitions, les bruits, les odeurs, la chaleur, le froid de l'usine sont dépeints avec réalisme.
Au lendemain de 68, il s'est "établi" pour contribuer à la lutte des ouvriers à l'intérieur de Citroën. Lui, c'est le narrateur, un intellectuel qui continue le combat et qui débraye sur place avec quelques camarades pour bloquer la chaîne.
Une année de sa vie de travail jusqu'à son licenciement le 31 juillet, veille de la fermeture de l'usine au mois d'août.

L'écriture respire le vécu, la difficulté et le regard de celui qui n'était pas préparé, mais qui réalisera son "vrai" travail d'établi.
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Robert Linhart a passé une année comme O.S.2, à l'usine Citroën de la porte De Choisy. Sans s'attarder sur son parcours ni ses motivations, il raconte son expérience, le quotidien des différents postes de travail qu'il occupe, les humiliations, le racisme de la hiérarchie, le « système Citroën », la grève qu'il tente d'organiser, la répression qu'il subit. Car il ne s'est pas « établi » pour fabriquer des voitures mais pour contribuer à l'organisation de la classe ouvrière.
(...)
Un « classique », témoignage d'une époque et d'une forme d'engagement.

Article complet sur le blog :
Lien : https://bibliothequefahrenhe..
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Robert Linhart est un établi. Il témoigne.
"Les personnages, les événements, les objets et les lieux de ce récit sont exacts."

Mai 68. le fameux (fumeux ?) brasier s'est éteint.
Nous sommes en automne 68.
Les intellectuels maos décident d'aller travailler en usine.
C'est "l'établissement".
"Il faut comprendre la réalité pour la transformer." Instruire la classe ouvrière et s'en instruire.
La lutte engagée doit continuer.
Robert Linhart pourrait être enseignant.
Il se fait embaucher dans l'usine Citroën de la Porte de Choisy à Paris.
A la chaîne se fabriquent les 2CV et les Ami 8.
Cent cinquante 2CV par jour sortent de l'usine.
Robert Linhart est passé par toutes les cases gauchistes : UEC (Union des Etudiants Communistes), l'UJCML (Union des Jeunesses Communistes Marxistes-Léninistes) puis la Gauche Prolétarienne.
C'est la lutte des classes, le combat intransigeant contre l'idéologie bourgeoise.

Il publie "L'établi" en 1978, dix ans après l'effervescent printemps.

"Me voici donc à l'usine. Etabli. L'embauche a été plus facile que je l'avais pensé. J'avais soigneusement composé mon histoire..."

Le début à l'usine est dur, très dur. Avilissant, abrutissant.

"Qu'ai-je fait d'autre, en quatre mois, que des 2CV ? Je ne suis pas entré chez Citroën pour fabriquer des voitures, mais pour faire du travail d'organisation dans la classe ouvrière."

Notre établi va découvrir le monde ouvrier.
Ses cadences infernales, ses petits chefs autoritaires racistes et humiliants, les mouchards, les "syndicats maison", les briseurs de grèves, les truqueurs d'élections, les cadres cravatés de suffisance, les planqués des Ressources (in)Humaines.
Mais aussi la solidarité, l'amitié, l'espérance d'une grève victorieuse.
"Entre la diffusion des tracts, nos petits meetings d'ateliers, les réunions du comité de base, le pointage fiévreux de notre progression, ce mois de propagande fut, tout compte fait, un mois de bonheur."

L'écriture de Linhart est sensible et teintée d'émotions.
Linhart l'établi est aussi écrivain.
Le lecteur sent les illusions de cet intellectuel engagé se perdrent dans la crasse, le bruit et l'odeur de la chaîne infernale.
"Trente-trois mille fois dans l'année, il a refait les mêmes gestes. Pendant que des gens allaient au cinéma, bavardaient, faisaient l'amour, nageaient, skiaient, cueillaient des fleurs, jouaient avec leurs enfants, écoutaient des conférences, se goinfraient, se baladaient, parlaient de la Critique de la raison pure, se réunissaient pour parler des barricades..."
Ce lucide constat est impitoyable.
Un témoignage poignant et réaliste, vu de l'intérieur, sur la condition ouvrière, le monde du travail.
Bien sûr la condition ouvrière a changé. Aujourd'hui ce sont les cadres qui sont pressés comme des citrons (lire l'excellent polar "Les visages écrasés" de Marin Ledun que j'ai commenté sur MyBoox) mais la lutte des classes est encore et toujours d'actualité et les ouvriers sont encore et toujours exploités au profit de, euh, ben au profit de profiteurs, tiens.

Lecture combattive fortement recommandée pour continuer la lutte...finale ?

"C'est comme cela qu'on produit des automobiles. Des machines moulent la tôle, d'autres pétrissent la matière humaine."
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L'engagement politique jusqu'au bout. S'établir ce n'était pas renoncer , cela correspondait à une volonté de transformation . S'établir pour être au plus près, pour être. Actes de fusion révolutionnaire. le récit autobiographique de Robert Lienhart décrit extrêmement bien ce qui a motivé et porté son établissement au sein de l'une des usines Citroën, comme ouvrier à la chaîne à partir de septembre 1968.
Récit fort et percutant, qui nous éclaire sur les réalités des conditions de travail du monde ouvrier.
Pour poursuivre cette lecture :
https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/l-heure-du-documentaire/comment-l-usine-a-vu-debarquer-les-etablis-5050511
https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/serie-l-etabli-de-robert-linhart

Astrid Shriqui Garain
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Citations et extraits (53) Voir plus Ajouter une citation
Je m'étonne. Il n'est que manoeuvre? Ce n'est quand même pas si facile, la soudure à l'étain. Et moi qui ne sai rien faire, on m'a embauché comme "ouvrier spécialisé" (O.S.2, dit le contrat) : O.S., dans la hiérarchie des pas-grand-chose, c'est pourtant au-dessus de manoeuvre... Mouloud, visiblement, n'a pas envie de s'étendre. Je n'insiste pas. A la première occasion, je me renseignerai sur les principes de classification de Citroën. Quelques jours plus tard, un autre ouvrier me les donnera. Il y a six catégories d'ouvriers non qualifiés. De bas en haut: trois catégories de manoeuvre (M. 1., M. 2, M.3); trois catégories d'ouvriers spécialisés (O.S. 1, O.S. 2, O.S. 3). Quand à la répartition, elle se fait d'une façon tout à fait simple: elle est raciste. Les Noirs sont M. 1, tout en bas de l'échelle. Les Arabes sont M. 2 ou M. 3. Les Espagnols, les Portugais et les autres immigrés européens sont en général O.S. 2. Les Français sont, d'office, O.S. 2. Et on devient O.S. 3 à la tête du client, selon le bon vouloir des chefs. Voilà pourquoi je suis ouvrier spécialisé et Mouloud manoeuvre, voilà pourquoi je gagne quelques centimes de plus par heure, quoique je sois incapable de faire son travail. Et après, on ira faire des statistiques subtiles sur la "grille des classifications", comme disent les spécialistes.
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"Le premier jour d'usine est terrifiant pour tout le monde, beaucoup m'en parleront ensuite, souvent avec angoisse. Quel esprit, quel corps peut accepter sans un mouvement de révolte de s'asservir à ce rythme anéantissant, contre nature, de la chaîne ? L'insulte et l'usure de la chaîne, tous l'éprouvent avec violence, l'ouvrier et le paysan, l'intellectuel et le manuel, l'immigré et le Français. Et il n'est pas rare de voir un nouvel embauché prendre son compte le soir même du premier jour, affolé par le bruit, les éclairs, le monstrueux étirement du temps, la dureté du travail indéfiniment répété, l'autoritarisme des chefs et la sécheresse des ordres, la morne atmosphère de prison qui glace l'atelier." (p. 25)
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le vestiaire me fascine. Il fonctionne comme un sas et, tous les soirs, une métamorphose collective spectaculaire s'y produit. En un quart d'heure, dans une agitation fébrile, chacun entreprend de faire disparaître de son corps et de son allure les marques de la journée de travail. Rituel de nettoyage et de remise en état. On veut sortir propre. Mieux, élégant.
L'eau des quelques lavabos gicle en tous sens. Décrassage, savon, poudres, frottements énergiques, produits cosmétiques. Etrange alchimie où s'incorporent encore des relents de sueur, des odeurs d'huile et de ferraille. Progressivement, l'odeur des ateliers et de la fatigue s'atténue, cède la place à celle du nettoyage. Enfin, avec précaution, on déplie et on enfile la tenue civile : chemise immaculée, souvent une cravate. Oui, c'est un sas, entre l'atmosphère croupissante du despotisme de fabrique et l'air théoriquement libre de la société civile. D'un côté, l'usine :saleté, veste usée, combinaisons trop vaste, bleus tachés, démarche traînante, humiliation d'ordres sans répliques ( " Eh, toi!"). De l'autre, la ville : complet-veston, chaussures cirées, tenue droite et l'espoir d'être appelé "Monsieur".
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Il est évident que pour travailler à la chaîne, il est indispensable de présenter de sérieuses garanties de moralité. On ne va pas donner huit cents franc par mois pour dix heures de travail par jour à des gibiers de potence! Mais n'allez pas croire que, cette rigoureuse sélection effectuée, Citroën considère pour autant que ses ouvriers sont d'honnêtes gens. Non. Pour Citroën, tous les ouvriers sont des voleurs potentiels, des délinquants qu'on n'a pas encore pris sur le fait. Nous sommes l'objet d'une surveillance rigoureuse de la part des gardiens, qui procèdent à des fouilles fréquentes à la sortie de l'usine ( "Eh là, toi!.... Oui, toi, ouvre ta serviette"..." Fais voir l'intérieur de ton manteau, ça à l'air gonflé.") . Fouilles humiliantes, tatillonnes, stupides. Sandwichs minutieusement déballés. Pour les ouvriers, bien sûr. Jamais on ne fouillera une de ces voitures de cadres qui circulent librement : tout le monde sait bien qu'ils embarquent des boîtes de vitesse entière et qu'ils se servent sans gêne dans les accessoires. Pour eux, l'impunité est assurée. Mais le pauvre type qu'on aura piqué à sortir un tournevis est sûr d'être licencié sur-le-champ.
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À l’extérieur, l’“établissement“ parait spectaculaire, les journaux en font toute une légende. Vu de l'usine, ce n'est finalement pas grand-chose. Chacun de ceux qui travaillent ici a une histoire individuelle complexe, souvent plus passionnante et plus tourmentée que celle de l'étudiant qui s'est provisoirement fait ouvrier. Les bourgeois s'imaginent toujours avoir le monopole des itinéraires personnels. Quelle farce ! Ils ont le monopole de la parole publique, c'est tout. Ils s'étalent. Les autres vivent leur histoire avec intensité, mais en silence. 
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L'établi, d'après Robert Linhart.
>Economie>Economie du travail>Les travailleurs, selon les industries et les activités (12)
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