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EAN : 9782352871460
218 pages
Archipoche (06/01/2010)
4.07/5   21 notes
Résumé :

Frédéric Chopin (1810-1849) ne connaissait pas de meilleur interprète de ses Etudes que son ami Franz Liszt. Dès sa mort, oubliant les querelles du passé, celui-ci entreprend de "faire parler son affliction sur sa pierre sépulcrale". Son livre, "remarquable sous le rapport du style et de la fantaisie" (Théophile Gautier), paraît en 1851. Liszt y défend l'enfermement de Chopin "dans le cadre exclusif du piano", ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Biographie d'un grand compositeur par un autre grand compositeur. Surprenante humilité !

On ignore souvent que Franz Liszt a beaucoup écrit et que sous ses airs de grand seigneur bon vivant (il paraît qu'il mangeait des huitres au petit déjeuner), il a beaucoup soutenu d'autres artistes de son temps, comme Johannes Brahms.

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Citations et extraits (210) Voir plus Ajouter une citation
Le motif principal est véhément, d’un air sinistre, comme l’heure qui précède l’ouragan ; l’oreille croit saisir des interjections exaspérées, un défi jeté à tous les élémens. Incontinent, le retour prolongé d’une tonique au commencement de chaque mesure fait entendre comme des coups de canon répétés, comme une bataille vivement engagée au loin. A la suite de cette note se déroulent, mesure par mesure, des accords étranges. Nous ne connaissons rien d’analogue dans les plus grands auteurs au saisissant effet que produit cet endroit, brusquement interrompu par une scène champêtre, par une Mazoure d’un style idyllique qu’on dirait répandre les senteurs de la menthe et de la marjolaine ! Mais, loin d’effacer le souvenir du sentiment profond et malheureux qui saisit d’abord, elle augmente au contraire par son ironique et amer contraste les émotions pénibles de l’auditeur, au point qu’il se sent presque soulagé lorsque la première phrase revient et qu’il retrouve l’imposant et attristant spectacle d’une lutte fatale, délivrée du moins de l’importune opposition d’un bonheur naïf et inglorieux ! Comme un rève, cette improvisation se termine sans autre conclusion qu’un morne frémissement, qui laisse l’âme sous l’empire d’une désolation poignante.

Dans la Polonaise-fantaisie, qui appartient déjà à la dernière période des œuvres de Chopin, à celles qui sont surplombées d’une anxiété fiévreuse, on ne trouve aucune trace de tableaux hardis et lumineux. On n’entend plus les pas joyeux d’une cavalerie coutumière de la victoire, les chants que n’étouffe aucune prévision de défaite, les paroles que relève l’audace qui sied à des vainqueurs. Une tristesse élégiaque y prédomine, entrecoupée par des mouvemens effarés, de mélancoliques sourires, des soubresauts inopinés, des repos pleins de tressaillemens, comme les ont ceux qu’une embuscade a surpris, cernés de toutes parts, qui ne voient poindre aucune espérance sur le vaste horizon, auxquels le désespoir est monté au cerveau comme une large gorgée de ce vin de Chypre qui donne une rapidité plus instinctive à tous les gestes, une pointe plus acérée à tous les mots, une étincelle plus brûlante à toutes les émotions, faisant arriveV l’esprit à un diapason d’irritabilité voisine du délire.

Peintures peu favorables à l’art, comme celles de tous les momens extrêmes, de toutes les agonies, des râles et des contractions où les muscles perdent tout ressort et où les nerfs, en cessant d’être les organes de la volonté, réduisent l’homme à ne plus devenir que la proie passive de la douleur ! Aspects déplorables, que l’artiste n’a avantage d’admettre dans son domaine qu’avec une extrême circonspection !
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Que de courtes amours s’y sont nouées et dénouées le même soir entre ceux qui, ne s’étant jamais vus et ne devant plus se revoir, pressentaient ne pouvoir s’oublier ! Que d’entretiens entamés avec insouciance durant les longs repos et les figures enchevêtrées de la mazoure, prolongés avec ironie, interrompus avec émotion, repris avec ces sous-entendus où excellent la délicatesse et la finesse slaves, ont abouti à de profonds attachemens ! Que de confidences y ont été éparpillées dans les plis déroulés de cette franchise qui se jette d’inconnu à inconnu, lorsqu’on est délivré de la tyrannie des ménagemens obligés ! Mais aussi, que de paroles menteusement riantes, que de vœux, que de désirs, que de vagues espoirs y furent négligemment livrés au vent, comme le mouchoir de la danseuse jeté au souffle du hasard… et qui n’ont point été relevés par les maladroits !…

Chopin a dégagé {’inconnu de poésie, qui n’était qu’indiqué dans les thèmes originaux des Mazoures vraiment nationales. Conservant leur rhythme, il en a ennobli la mélodie, agrandi les proportions ; il y a intercalé des clairs-obscurs harmoniques aussi nouveaux que les sujets auxquels il les adaptait, pour peindre dans ces productions qu’il aimait à nous entendre appeler des tableaux de chevalet, les innombrables émotions d’ordres si divers qui agitent les cœurs pendant que durent, et la danse, et ces longs intervalles surtout, où le cavalier a de droit une place à coté de sa dame dont il ne se sépare point.

Coquetteries, vanités, fantaisies, inclinations, élégies, passions et ébauches de sentimens, conquêtes dont peuvent dépendre le salut ou la grâce d’un autre, tout s’y rencontre. Mais, qu’il est malaisé de se faire une idée complète des infinis degrés sur lesquels l’émotion s’arrête ou auxquels atteint sa marche ascendante, parcourue plus ou moins longtemps avec autant d’abandon que de malice, dans ces pays où la mazoure se danse avec le même entraînement, le même abandon, le même intérêt à la tois amoureux el patriotique, depuis les palais jusqu’aux chaumières ; dans ces pays où les qualités et les défauts propres à la nation sont si singulièrement répartis que, se retrouvant dans leur essence à-peu-près les mêmes chez tous, leur mélange varie et se différencie dans chacun d’une manière inopinée, souvent méconnaissable ! Il en résulte une excessive diversité dans les caractères capricieusement amalgamés, ce qui ajoute à la curiosité un aiguillon qu’elle n’a pas ailleurs, fait de chaque rapport nouveau une piquante investigation et prête de la signification aux moindres incidens.

Ici, rien d’indifférent, rien d’inaperçu et rien de banal. Les contrastes se multiplient parmi ces natures d’une mobilité constante dans leurs impressions, d’un esprit fin. perçant, toujours en éveil ; d’une sensibilité qu’alimentent les malheurs et les souffrances, venant jeter des jours inattendus sur les cœurs comme des lueurs d’incendie dans l’obscurité. Ici, les longues et glaciales terreurs des cachots d’une forteresse, les interrogatoires perfides et semés de pièges d’un juge abhoré quoique vénal, les steppes blancs de la Sibérie, silencieux et déserts, s’étendent devant les regards épouvantés et les cœurs frémissans, comme les tableaux d’une tapisserie aériennne sur les murs de toute salle de bal ; depuis celle dont les parois furent badigeonnées pour l’occasion d’une teinte bleue claire, dont le modeste plancher fut ciré la veille, dont les belles jeunes filles sont parées de simple mousseline blanche et rose, jusqu’à celle dont les éblouissantes murailles sont d’un stuc sulphuréen, les parquets d’acajou et débène, les lustres étincellans de mille bougies !

Ici, un rien peut rapprocher étroitement ceux qui la veille étaient étrangers, tout comme l’épreuve d’une minute ou d’un mot y sépare des cœurs longtemps unis. Les confiances soudaines y sont forcées et d’incurables défiances entretenues en secret. Selon le mot d’une femme spirituelle : « on y joue souvent la comédie, pour éviter la tragédie ». On aime à y faire entendçe ce qu’on tient à n’avoir pas prononcé. Les généralités servent à acérer l’interrogation, en la dissimulant ; elles font écouter les plus évasives réponses, comme on écouterait le son rendu par un objet pour en reconnaître le métal. Tous ces cœurs si sûrs d’eux-mêmes ne cessent de s’interroger, de se sonder, de se mettre à l’épreuve. Chaque jeune homme veut savoir s’il y a entre lui et celle qu’il fait dame de ses pensées pendant une soirée ou deux, communauté d’amour pour la patrie, communauté d’horreur pour le vainqueur. Chaque femme avant d’accorder ses préférences d’un soir à qui la regarde avec une ardeur si tendre et une douceur si passionnée, veut savoir s’il est homme à braver la confiscation, l’exil forcé ou l’exil volontaire, (non moins amer souvent), la caserne du soldat à perpétuité sur les rives de la Caspienne ou dans les montagnes du Caucase !..
Quand l’homme sait haïr et que la femme se contente de dénigrer l’ennemi, il y a de poignantes incertitudes ; les mains qui ont échangé l’anneau des fiançailles font glisser les bagues sur leurs doigts, en se demandant si elles y resteront ? Quand la femme est de la trempe de la Vte Eustache Sanguszko, aimant mieux. voir son fils aux mines (pie de ployer les genoux devant le czar ’), et que l’homme se demande s’il n’est point permis d’imiter le sort des K. des B. des L. des J. etc., qui vécurent à S. Petersbourg comblés d’honneurs, tout en élevant

1) A la suite de la guerre de 1830, le P" Roman Sanguszko fut condamné à être soldat à perpétuité en Sibérie. En revoyant le decret, l’empereur Nicolas ajouta de sa main : « où il sera conduit les chaînes aux pieds ». — Sa santé étant gravement atteinte, la famille fit des démarches à la cour et reçut pour réponse que si sa mère, la Pss"’ Eustache, venait se jeter aux pieds de l’empereur, elle obtiendrait la grâce de son fils. Longtemps la princesse s’y refusa. L’état de son fils empirant toujours, elle partit. Arrivée à Petersbourg, les pourparlers commentèrent sur la manière dont s’accomplirait sa génuflexion. On proposa d’abord les formes les plus humiliantes que la princesse rejetait les unes après les autres, prête à retourner chez elle. Enfin, il fut convenu qu’elle demanderait, et recevrait une audience de l’impératrice, que l’empereur viendrait et que là, sans autres témoins, la princesse implorerait a genoux la grâce de son enfant. Quand elle fut chez l’impératrice. l’empereur entra… voyant que la princesse ne bougeait pas, l’impératrice crut qu’elle ne le reconnaissait point et se leva… La princesse se leva et debout attendit… l’empereur la regarda, traversa lentement le salon…et sortit !… L’impératrice hors d’elle saisit les mains de la princesse, en s’écriant : « Vous avez perdu une occasion unique !.. » - La princesse raconta plus tard que ses genoux étaient devenus de marbre et, qu’en songeant aux miliers de polonais qui soutiraient plus encore que son fils, elle fut plutôt morte que de les plier. Elle n’obtint aucune grâce, mais les siècles entoureront d’une auréole la momoire sacrée de celle malionne polonaise aux antiques vertus. leurs enfans dans l’attente du jour où ils tireront l’épée contre les maîtres de la veille, la femme saisit le cœur de l’homme en ses paroles brûlantes, comme une mère saisit la tête de son enfant en ses paumes fiévreuses et la tournant vers le ciel, lui crie : voilà où est ton Dieu !.. Elle a des sanglots étouffés dans la voix, des larmes pour lui seul visibles dans les yeux. Elle supplie et elle commande à la fois, elle met son sourire à prix ; et ce prix, c’est l’héroïsme ! Si elle détourne la tète, elle semble jeter l’homme dans le gouffre de l’opprobre ; si elle lui rend l’éclat solaire de son beau visage, elle semble le tirer du néant ! Or, à chaque mazoure (pii se danse là bas, il y a un homme dont le regard, la parole, l’étreinte angoissée, ont rivé pour jamais à l’autel sacré de la patrie le co’iir d’une femme, dont il dispose ainsi seulement et sur lequel il n’a pas d’autre droit. Il y a une femme dont les veux moites, la main effilée, le souffle parfumé murmurant des mots magiques, ont à jamais enrôlé un cœur d’homme dans ces milices sa’crées où les chaînes d’une femme font trouver legères les chaînes de la prison et de la kibitka. Cet homme et cette femme ne reverront peut-être jamais leur partner ; pourtant, l’un aura déterminé le sort de l’autre en lui jetant dans l’âme ces cris que nul n’entendait, mais qui à partir de ce jour la rongeaient ou la vivifiaient comme des morsures de feu, en lui répétant : Pairie. Honneur, Liberté ! Liberté, liberté surtout ! Haine de l’esclavage et haine du despotisme, haine de la bassesse et haine de la viltà ! Mourir, mourir de suite ; mourir mille fois, plutôt que de ne pas garder une âme libre en une personne libre ! Plutôt que de dépendre, comme l’ignoble transfuge, du bon plaisir des czars et des czarines, du sourire ou de l’insulte, de la caresse impure et dégradante ou de la colère meurtrière et fantasque de l’autocrate !
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Le russe et la polonaise sont les seuls points de contact entre deux peuples plus antipathiques entre eux que le feu et l’eau, l’un étant fou de la liberté qu’il aime plus que la vie, l’autre étant voué au servage officiel jusqu’à lui donner sa vie. Mais, ce seul point de contact est incandescent, parceque la femme espère toujours inoculer à l’homme le ferment de la bonté, de la pitié, de l’honneur ; l’homme espère toujours dénationaliser la femme jusqu’à lui faire oublier la pitié, la bonté, l’honneur. A ce double jeu chacun s’enflamme et, comme on ne se rencontre guère ailleurs, c’est durant la mazoure qu’on épuise toutes ses ressources, ses stratagèmes, ses assauts, ses embuscades et ses silencieuses victoires. Le bal et la danse sont le terrain de ces grandes batailles, dont le succès consiste à se changer en d’heureux préliminaires de paix entre deux béllégérans amis, sur les bases de quelque haute rançon et de quelque souvenir ému, qui scintille comme une étoile jamais voilée dans le cœur de l’homme, laissant parfois aussi une reconnaissance toujours bienveillante dans celui de la femme’).

Là, où les neiges boréales d’irkutsk, les ensevelissemens vivans de Nertschinsk, forment neuf fois sur dix comme l’arrière-fond, l’arrière - pensée d’une conversation engagée par une polonaise qui effeuille son bouquet

1) Un général russe était chargé de faire éxéeuter on ne sait plus quelles mesures vexatoires àl’enlourdu couvent des dominicaines, à Kamieniec en Podolie. La prieure fut obligée de le voir pour lâcher d’obtenir qnelqu’adoucissement a ces rigueurs. Appartenant à une des plus antiques familles de la Lithuanie, elle était encore d’une grande beauté et d’une suavité de manières vraiment fascinante. Le général la vit derrière la grille du parloir et causa longtemps avec elle. Le lendemain il lui fit accorder tout ce qu’elle avait demandé, (sans la prevenir qu’un an après son successeur n’en tiendrait aucun compte,) et ordonna ii ses soldats de planter un jeune peuplier devant ses fenêtres ; personne ne devina ce que pouvait signifier cette fantaisie. Bien des années après, la mère Marie-Rose le regardait encore avec complaisance ; il lui rappelait que le général russe avait Irouve moyen de lui rendre un cternel hommage, en faisant dire à cet arbre qui indiquait sa cellule : To polka. entre doux sourires, avec un russe qui déchire son gant blanc en suivant des yeux un pur profil, un galbe angélique, on plaide en apparence pour soi quand un autre est en (ause ; les flatteries par contre peuvent devenir des exigences déguisées. Là, c’est la dégradation du rang et de la noblesse’), c’est le knout et la mort, qui attendent peut-être celui qu’une sœur, une fiancée, une amie, une compatriote inconnue, une femme douée du génie de la compassion et de la ruse, ont le pouvoir de perdre ou de sauver durant les fugitives amours de deux mazoures. Dans l’une, ces amours s’ébauchent ; la lutle commence, le défi est jeté. Durant les longs a parte qu elle autorise, ciel et terre sont remués sans que l’interlocuteur sache souvent ce qu’on veut de lui avant le jour, dont l’indiscretion chèrement payé de quelque inférieur a révélé l’approche, où une écriture Une, tremblante, humide de pleurs, vient se rencontrer avec un homme d’affaires porteur d’un portefeuille tout gonflé. Au second bal, quand la femme et l’homme se retrouvent dans la mazoure, l’un des deux finit par être vaincu. Elle n’a rien obtenu ou elle a tout conquis. Rarement s’est il vu qu’elle n’ait rien obtenu, qu’on ait tout refusé à un regard, à un sourire, à une larme, à la’honte du mépris.

1) Le Prince Troubelzkov, revenu dos mines île Siberie où il avail passe vingt ans et n’avait rien perdu de sa fière imprudence, fit mettre sur ses cartes de visite (aussitôt confisquées) : Pierre Troubelzkoy, né Prince Troubetskoy.
Mais, si fréquens que soient les bals officiels, si souvent même que l’on soit obligé d’y engager quelques personnages qui s’imposent ou dejeunes officiers russes, amis de régiment des jeunes polonais forcés de servir pour n’être pas privés de leurs priviléges nobiliaires, la vraie poésie, le véritable enchantement de la mazoure, n’existe réellement qu’entre polonais et polonaises. Seuls, ils savent ce que veut dire d’enlever une danseuse à son partner avant même qu’elle ait achevé la moitié de son premier tour dans la salle, pour aussitôt l’engager à une mazoure de vingt paires, c’est-à-dire de deux heures ! Seuls, ils savent ce que veut dire de lui voir accepter une place près de l’orchestre, dont les rumeurs réduisent toutes les paroles à des murmures de voix basses, à des souffles brûlans plus compris qu’articulés, ou bien d’entendre qu’elle ordonne de poser sa chaise devant le canapé des matronnes qui devinent tous les jeux de physionomie. Seuls, le polonais et la polonaise savent à l’avance que dans une mazoure, l’un peut perdre une estime et l’autre conquérir un dévouement ! Mais, le polonais sait aussi que dans ce tête-à-tète public, ce n’est pas lui qui domine la situation. S’il veut plaire, il craint ; s’il aime, il tremble. Dans l’un ou l’autre cas, qu’il espère éblouir ou toucher, charmer l’esprit ou attendrir le cunir, c’est toujours en se lançant dans un dédale de discours, qui ont exprimé avec ardeur ce qu’ils se sont gardés de prononcer ; qui ont furtivement interrogé sans avoir jamais questionné ; qui ont été atrocement jaloux sans paraître y prétendre ; qui ont plaidé le faux pour savoir le vrai ou révélé le vrai pour se garantir du faux, sans être sortis des sentiers ratissés et fleuris d’une conversation de bal. Ils ont tout dit, ils ont parfois mis toute l’âme et ses blessures à nu, sans que la danseuse, si elle est orgeuilleuse ou froide, prévenue ou indifférente, puisse se vanter de lui avoir arraché un secret ou infligé un silence !

Puis, une attention si incessamment tendue finissant par harasser des naturels expansifs, une légèreté lassante, surprenante même avant qu’on en ait démêlé l’insouciance désespérée, vient s’allier comme pour les ironiser aux finesses les plus spirituelles, à l’existence des plus justes peines, à leur plus profond sentiment. Toutefois, avant de juger et de condamner cetle légèreté, il faudrait en connaître toutes les profondeurs. Elle échappe aux promptes et faciles appréciations en étant tour à tour réelle et apparente, en se réservant d’étranges répliques qui la font prendre, aussi souvent à tort qu’à raison, pour une espèce de voile bariolé, dont il suffirait de déchirer le tissu afin de découvrir plus d’une qualité dormante ou enfouie sous ses plis. Il advient de cette sorte que l’éloquence n’est fréquemment qu’un grave badinage, qui fait tomber des paillettes d’esprit comme une gerbe de feux d’artifice, sans que la chaleur du discours ait rien de sérieux. On cause avec l’un, on songe à un autre ; on n’écoute la réplique que pour répondre à sa propre pensée. On s’échauffe, non pour celui à qui l’on parle, mais pour celui à qui l’on va parler. D’autres fois, des plaisanteries échappées connue par mégarde sont tristement sérieuses, quand elles partent d’un esprit qui cache sous ses gaietés d’étalage d’ambitieuses espérances et de lourds mécomptes, dont personne ne peut le railler ni le plaindre, personne n’ayant connu ses audacieux espoirs et ses insuccès secrets.
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Ensemble irrésistible, qui enchante et qu’on honore ! Balzac a essayé de l’esquisser dans des lignes toutes d’antithèses, renfermant le plus précieux des encens adressé à cette « fille d’une terre étrangère, ange par « l’amour, démon par la fantaisie, enfant par la foi, « vieillard par l’expérience, homme par le cerveau, « femme par le cœur, géante par l’espérance, mère par « la douleur et poète par ses rêves » ’}.

Berlioz, génie shakespearien qui toucha à tous les extrêmes, dût naturellement entrevoir à travers les transparences musicales de Chopin le prestige innommable et ineffable qui se mirait, chatoyait, serpentait, fascinait dans sa poésie, sous ses doigts ! Il les nomma les divines chatteries de ces femmes semi-orientales, que celles d’occident ne soupçonnent pas ; elles sont trop heureuses pour en deviner le douloureux secret. Divines chatteries en effet, généreuses et avares à la fois, imprimant au cœur épris l’ondoiement indécis et berçant d’une nacelle sans rames et sans agrès. Les hommes en sont choyés par leurs mères, câlinés par leurs sœurs, enguirlandés par leurs amies, ensorcelés par leurs fiancées, leurs idoles, leurs déesses ! C’est encore avec de divines chatteries, que des saintes les gagnent au martyrologe de leur patrie. Aussi, comprend-on qu’après cela les coquetteries des autres femmes semblent grossières ou insipides et que les polonais s’écrient, à bon droit, avec une gloriole que chaque polonaise justifie : Niema iak polki2). Le secret de ces divines chatteries fait ces êtres 1) Dédicace de Modeste Mignon. 1) L’habitude où l’on était autrefois de boire dans leur propre soulier la santé des femmes qu’on voulait fêter, est une des traditions les plus originales de la galanterie enthousiaste des polonais. insaisissables, plus chers que la vie, dont les poètes comme Chateaubriand se forgent durant les brûlantes insomnies de leur adolescence une démonne et une charmeresse, quand ils trouvent dans une polonaise de seize ans une soudaine ressemblance avec leur impossible vision , « d’une Eve innocente et tombée, ignorant tout, sachant tout, vierge et amante à la fois ! ! ! »’) — « Mélange de l’odalisque et de la walkyrie, chœur féminin varié d’âge et de beauté, ancienne sylphide réalisée… Flore nouvelle, délivrée du joug des saisons… »2) —Le poète avoue que, poursuivi dans ses rêves, enivré par le souvenir de cette apparition, il n’osa pourtant la revoir. Il sentait , vaguement , mais indubitablement, qu’en sa présence il cessait d’être un triste René, pour grandir selon ses vœux, devenir ce qu’elle voulait qu’il fut , être exhaussé et façonné par elle. Il fut assez fat pour prendre peur de ces vertigineuses hauteurs, parceque les Châteaubriand font école en littérature, mais ne font pas une nation. Le polonais ne redoute point la charmeresse sa sœur, Flore nouvelle délivrée du joug des saisons ! Il la chérit, il la respecte, il sait mourir pour elle… et cet amour, pareil à un arôme incoruptible, préserve le sommeil de la nation de devenir mortel. Il lui conserve sa vie, il empêche le vainqueur d’en venir à bout et prépare ainsi la glorieuse résurrection de la patrie.

1) Mémoires d’outre-tombe. Ier vol. — Incantation. 2] Idem, 3* vol. — Atala.
Il faut cependant reconnaître que d’entre toutes, une seule nation eut l’intuition d’un idéal de femme à nul autre pareil, dans ces belles exilées que tout semblait amuser, que rien ne parvenait à consoler. Cette nation fut la Fi ance. Elle seule vit entre-luire un idéal inconnu chez les filles de cette Pologne, « morte civilement » aux yeux d une société civile, où la sagesse des Nestor politiques croyait assurer « l’équilibre européen », en traitant les peuples comme « une expression géographique » ! Les autres nations ne se doutèrent même pas qu’il pouvait y avoir quelque chose à admirer en le vénérant, dans les séductions de ces sylphides de bal, si rieuses le soir, le lendemain matin prosternées sanglotantes aux pieds des autels ; de ces voyageuses distraites qui baissaient les stores de leur voiture en passant par la Suisse, afin de n’en pas voir les sites montagneux, écrasans pour leurs poitrines amoureuses des horizons sans bornes de leurs plaines natales ! En Allemagne, on leur reprochait d’être des ménagères insouciantes, d’ignorer les grandeurs bourgeoises du Soll und Haben.’ Pour cela, on leur en voulait à elles, dont tous les désirs, tous les vouloirs, toutes les passions se résument à mépriser l’avoir, pour sauver l’étre, en livrant des fortunes millionaires à la confiscation de vainqueurs cupides et brutaux ! A elles, qui encore enfans entendent leur père répeter : « la richesse a cela de bon que, donnant quelque chose à sacrifier, elle sert de piédestal à l’exil !.. » — En Italie, on ne comprenait rien à ce mélange de culture intellectuelle, de lectures avides, de science ardente, d’érudition virile, et de mouvemens prime-sautiers, effarés, convulsifs parfois, comme ceux de la lionne pressentant dans chaque feuille qui remue un danger pour ses petits. — Les polonaises qui traversaient Dresde et Vienne, Carlsbad et Ems, pour chercher à Paris une Espérance secrète, à Rome une Foi encourageante, ne rencontrant la Charité nulle part, n’arrivaient ni à Londres, ni à Madrid. Elles ne songeaient point à trouver une sympathie de cœur sur les bords de la Tamise, ni une aide possible parmi les descendans du Cid ! Les anglais étaient trop froids, les espagnols trop loin.

Les poètes, les littérateurs de la France, furent les seuls à s’apercevoir que dans le cœur des polonaises, il existait un monde différent de celui qui vit et se meut dans le cœur des autres femmes. Ils ne surent pas deviner sa palingénésie ; ils ne comprirent pas que si, dans ce chœur féminin varié d’âge et de beauté, on croyait parfois retrouver les mystérieuses attractions de l’odalisque, c’est qu’elles étaient là comme une parure acquise sur un champ de bataille ; si l’on pensait y entrevoir une silhouette de walkyrie, c’est qu’elle se dégageait des vapeurs de sang qui depuis un siècle planaient sur la patrie ! Par ainsi, ces poètes et ces littérateurs ne saisirent point la dernière formule de cet idéal dans sa parfaite simplicité. Ils ne se figurèrent point une nation de vaincus qui, enchaînée et foulée aux pieds, proteste contre l’éclatante iniquité au nom du sentiment chrétien. Le sentiment d’une nation par quoi s’exprime-t-il ? — N’est-ce point par la poésie et l’amour ? — Et qui en sont les interprètes ? — N’est-ce point les poètes et les femmes ? — Mais, si les français, trop habitués aux conventionalités artificielles du monde parisien, n’ont pu avoir l’intuition des sentimens dont Childe Harold entendit les accens déchirans dans les femmes de Saragosse, défendant vainement leurs foyers contre « l’étranger », ils subirent tellement la fascination qui s’échappait en ondes diaprées de ce type féminin, qu’ils lui prêtèrent des puissances presque surnaturelles.
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Pourtant, sans un tel pacte le polonais, héritier d’une civilisation huit fois séculaire et dédaignant depuis cent ans de renoncer à ce qu’elle lui a mis au cœur d’élévation, de noblesse, de hautaine indépendance, pour accepter la fraternité des puissans serviles ; le polonais apparaît en Europe comme un paria, un jacobin, un être dangereux, dont il vaut mieux éviter le voisinage fâcheux. S’il voyage, lui, grand-seigneur par excellence, il devient un épouvantail pour ses pairs ; lui, catholique fervent, martyr de sa foi, il devient la terreur de son pontife, un embarras pour son Eglise ; lui, par essence homme de salon, causeur spirituel, convive exquis, il semble un homme de rien à écarter poliment ! N’est-ce point là un calice d’amertume ? N’est-ce point là un sort plus dur à affronter qu’un combat glorieux, qui ne se prolonge pas durant toute une existence ? Néanmoins, chaque jeune-homme et chaque jeune-femme qui durant une mazoure se rencontrent une fois par hasard, ont à honneur de se prouver l’un à l’autre qu’ils sauront boire ce calice ; qu’ils l’acceptent, émus et joyeux, de la main qui pour lors le présente avec un cœur plein d’enthousiasme, des yeux pleins d’amour, un mot plein de force et de grâce, un geste plein d’élégance fière et dédaigneuse.
Mais, dans les bals on n’est pas toujours entre sui. Il faut souvent danser avec les vainqueurs ; il faut souvent leur plaire pour n’en être pas incontinent anéantis. Il faut aller chez leurs femmes et quelquefois les inviter ; il faut être près d’elles, côte-à-côte avec elles, humilies par celles qu’on méprise. Quelles sont dures les femmes des v ainqueurs quand elles apparaissent aux fêtes des vaincus ! Les unes se montrent confites dans la morgue des dames de cour sur lesquelles resplendit tout l’éclatd’une laveur impériale, insolentes avec préméditation, cruelles avec inconscience, se croyant adulées sans se sentir haïes, imaginant trôner et régner, sans apercevoir qu’elles sont raillées et tournées en dérision par ceux qui ont assez de sang au cœur, assez de feu dans le sang, assez de foi dans l’âme, assez d’espoir dans l’avenir, pour attendre des générations avant de livrer leur souvenir à la vindicte publique. Etalant le grand air d’emprunt des personnes qui savent à un cheveu près le degré d’élasticité permis au buse de leur corset, elles sont rendues plus froidement impertinentes encore par le déplaisir de se voir entourées d’un essaim de créatures, plus enchanteresses les unes que les autres et dont la taille n’a jamais connu de corset ! D’autres, parvenues enrichies, font papilloter l’éclat de leurs diamans aux veux de celles à qui leurs maris ont volé leurs revenus. Sottes et méchantes, ne se doutant quelquefois pas des taches de sang qui souillent le crêpe rouge de leur robe, mais heureuses d’enfoncer une épingle tombée de leur coiffure dans le cœur d une mère ou d’une sœur, qui les maudit chaque fois qu’elles passent en tourbillonnant devant elle, Ce qui était odieux, elles le rendent risible, en essayant de singer les grands airs des grandes dames. A observer la vulgarité des formes mongoles, la disgrâce des traits kalmouks. qui impriment encore leurs traces sur ces plattes figures, on songe involontairement aux longs siècles durant lesquels les russes durent lutter avec les hordes payennes de l’Asie. dont ils portèrent souvent le joug en gardant son empreinte barbare dans leur âme, comme dans leur langue ! Encore au jour d’aujourd’hui, le trésor de l’Etat, comme qui dirait en Europe le ministère des finances, y est appelé la tente princiére : celle où jadis se portait le plus beau du butin et du pillage ! Kaziennaia Ptilata.

Quand les femmes des vainqueurs sont en présence des femmes de vaincus, elles font toutes pleuvoir le dédain de leurs prunelles arrogantes. Ni les « dames chiffrées », celles qui portent un monogramme impérial sur l’épaule, ni les autres qui ne peuvent se targuer d’être ainsi marquées comme les génisses d’un troupeau seigneurial, ne comprennent rien à l’atmosphère où elles sont plongées. Elles ne voient ni les flammes de l’héroïsme, précurseurs de la conflagration, monter en langues étroites et frémissantes jusqu’aux plafonds dorés et là, former une voûte de sombres prophéties sur leurs têtes lourdes et vides ; ni les fleurs vénéneuses d’une future poésie sortir de terre sous leurs pas, accrocher à leurs falbalas leurs épines immortelles, s’enrouler comme des aspics autour de leurs corsages, monter jusqu’à leur cœur pour y plonger leurs dards et retomber, surprises et béantes, n’y trouvant aussi que le vide !

Pour elles toutes, le polonais n’est pas un gentilhomme, tant loui s races sont diverses et leur langage différent. Il est un vaincu, c’est-à-dire moins qu’un esclave ; il est en défaveur, c’est-a-dire au dessous de la bête honorée d une attention souveraine. Mais pour les vainqueurs, les polonaises sont des femmes. Et quelles femmes ! En est-il dont le cœur n’ait jamais été carbonisé par le regard de l’une d’elles, noir comme la nuit ou bleu comme le ciel d’Italie, pour qui il se serait damné… oui… cent fois damné… mais non perdu aux yeux du czar !… Car devant la faveur, la bassesse de l’homme et la bassesse de la femme russes sont aussi équivalentes que la livre de plomb et la livre de plume, ce qu’un proverbe constate à sa manière en disant : mon : i géna, mina saiana « Mari et femme ne font qu’un diable » ! Seulement, la livre de plomb ne bouge pas plus qu’un boulet au fond d’un sac de toile imperméable, la livre de plume remue, voltige, se lève, retombe, se relève et s’aplatit sans cesse, comme un nid de noirs papillons dans un sac de gaze transparente. Cependant, dans les poitrines couvertes du plastron de l’uniforme chamarré d’or, semé de croix et de crachats, emmédaillé et enrubanné, il y a, par dessus le boulet de plomb, on ne sait quelle étincelle d’élément slave qui vit, s’agite, qui parfois flambe. Il est accessible à la pitié, il est séduit par les larmes, il est touché par les sourires. Gare pourtant à qui voudrait s’y fier, car à côté de lui il y a tout un brasier d’élément mongol et kalmouk qui renifle la rapine. Cette étincelle réunie à ce brasier font, que le vainqueur ne se contente pas de larmes et de sourires sans argent, ni ne veut non plus de l’argent qu’avec l’assaisonnement des larmes et des sourires ! Qui dira tous les drames qui dans ces données se sont joués entre des êtres, dont l’un tend des filets d’or et de soie, recule d’effroi comme mordu par un scorpion à la pensée de s’être pris dans ses propres rets ; dont l’autre, friand et glouton à la fois, s’abreuve d’un limpide regard, s’enivre d’un doux parler, tout en palpant les billets de banque qu’il tient déjà sur son cœur.
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