Le titre : «
La peste sur vos deux familles »
L'épitaphe : «
La peste sur vos deux familles ! Elles ont fait de moi de la viande à vermine » Derniers mots de Mercutio avant de mourir (Romeo et Juliette)
Le chapitre 22 : « le dénouement » (en Français dans le texte)
Robert Littell, le génial auteur de
l'Amateur et du Sphinx de Sibérie nous embarque dans une saga passionnante, une histoire (d'A, d'amour, de celles qui finissent mal en… général) dans
L Histoire avec un grand H, celle qui nous broie.
Une romance tragique.
Roméo, c'est Roman, le fils de Timour Monsourov, dit Timour le Boiteux, chef vory Ossète, Juliette c'est Yulia, fille de Nahum Caplan, chef vory juif.
Pas de bromance mais alors pas du tout du tout, entre Timour et Nahum.
Nahum empiète sur le territoire de Timour et lui déclare la guerre. Une guerre alimentée par le département de la lutte contre le crime organisé au ministère de l'intérieur. « Je n'ai pas les moyens, ni la patience, de récupérer le scalp de Timour par des moyens légaux. » « Laissons les s'entre-tuer les uns les autres. Aidons-les même au besoin ». Eltsine vient d'accéder au pouvoir, l'URSS s'est effondrée, mais le crime reste bien organisé, et les vorys incontournables.
« de même que tous ses vorys ossètes, (Timour) arbore un tatouage sur la poitrine, du côté gauche : un portrait minuscule mais remarquablement fidèle de
Vladimir Lénine. Ce tatouage cache en fait un message codé : VOR (Vladimir Organisateur de la révolution) est le mot qui désigne un voleur en russe. Non pas un voleur légal, comme Timour et ses ossètes, mais voleur tout court : les vory v zakoné détestent
Vladimir Lénine et
Joseph Staline. »
Déporté en 1941 parce qu'Ossète – sur l'ordre de Staline, qui craignait que les minorités soient enclines à collaborer avec la Wehrmacht, Timour a passé 22 ans dans des camps, au titre de la « détention préventive ». C'est un vory à l'ancienne, un symbole.
Roman et Iulia peuvent-ils défaire les noeuds qui les lient à leurs pères respectifs ?
« Je crois que je vais gratter mes petites démangeaisons pour reprendre l'heureuse formule de
Dostoievski, » décide Roman, qui cède à la vengeance.
(Petit conseil : âme sensible qui ne supporte pas les images des sites de dermato, ne googlise pas cette phrase de
Dostoievski).
« J'ai pris du plaisir à tuer ce type, père. J'avais des frémissements dans les doigts (…) Je ne veux pas devenir quelqu'un qui prend du plaisir à tuer ses semblables.
- Ce qui te trouble ce n'est pas d'avoir tué (…) mais d'avoir découvert quelque chose en toi que tu ignorais et qui te déplaît. J'ai dû franchir ce Styx il y a fort longtemps, mon fils.
- - Et comment t'en es-tu sorti ?
Timour hausse les épaules.
C'est comme une allergie, dit-il. On apprend à vivre avec. »
Pourtant, Roman a une autre culture que celle de la violence. Pour leur premier Rendez-vous, il emmène Iulia sur la tombe de la 2ème épouse de Staline, qui s'est suicidée à l'âge de 31 ans.
« Il y a un Staline avant le suicide de sa femme et un Staline après (…) Il y a une Russie avant novembre 1932 et une autre qui commence après cette date. Kirov a été assassiné après le suicide de Nadejda. Staline a éliminé les vieux bolchéviques (…) après le suicide de Nadejda. Il a fait exécuter des milliers d'anciens officiers de l'Armée rouge après le suicide de Nadejda. (…)
A Londres, j'ai pu lire des ouvrages qu'on ne trouve pas ici. du moins pas encore (…) on a écrit des centaines de livres pour essayer de comprendre les motivations de Staline : quelle était la part en lui du paysan paranoïaque, du dictateur implacable, de l'idéaliste marxiste, du léniniste pragmatique ou du vin ordinaire géorgien mis en bouteille à Moscou".
Pourtant, Roman insiste, pour qu'il y ait un « nous ».
« - C'est de la folie
- La folie c'est de jouer aux échecs contre soi – même (…), c'est de faire demi tour avant de savoir où mène la route qui s'ouvre devant moi. »
Mais, comme le dit le Hamlet de Pasternak, « Vivre ce n'est pas franchir un champ ».
Robert Littel renoue avec son idée du prénom- acronyme (après Lemuel, le héros du Sphinx de Sibérie,
Lenine, Engels, Marx…, il imagine un Melor (Marx, Engels,
Lenine, Organisateurs de la révolution). Surtout, il suit habilement
le fil (rouge) d'un roman (noir), dans une Russie en permanente déconstruction.