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EAN : 9782070780976
904 pages
Gallimard (13/09/2006)
3.96/5   2541 notes
Résumé :

JONATHAN LITTEL

Les bienveillantes

"En fait, j'aurais tout aussi bien pu ne pas écrire. Après tout, ce n'est pas une obligation. Depuis la guerre, je suis resté un homme discret ; grâce à Dieu, je n'ai jamais eu besoin, comme certains de mes anciens collègues, d'écrire mes Mémoires à fin de justification, car je n'ai rien à justifier, ni dans un but lucratif, car je gagne assez bien ma vie comme ça. Je ne regrette rien: j'ai fai... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (288) Voir plus Ajouter une critique
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sur 2541 notes
Ecrire la critique des "Bienveillantes", voilà une tâche malaisée. Déjà, impossible de le faire à chaud, il m'a fallu attendre quelques heures afin de laisser retomber la pression.

L'oeuvre est monumentale, 1390 pages pour la collection Folio que j'ai attaquée (le terme est bien choisi) en mars pour l'achever en juillet, soit 4 mois 1/2 ! Certes, j'ai peu de temps pour lire et j'ai même mis le livre entre parenthèses une semaine pour lire une oeuvre plus "légère" (ceux qui l'ont lu comprendront la double signification de cet adjectif). C'était ma deuxième tentative, j'avais déjà essayé de le lire en 2008 mais un déménagement avait interrompu ma lecture, jamais reprise. Et puis, le bouquin était sur ma bibliothèque et de par son épaisseur tranchait dans le linéaire, semblant me narguer, me mettre au défi de... relever le défi ! Car lire "les Bienveillantes" relève quasi du défi !

Je mentirais si j'affirmais ne pas avoir été tentée à plusieurs reprises de balancer cette brique à travers la pièce. Il faut comprendre (et vous ne le comprenez vraiment qu'à partir du tiers de l'oeuvre) que deux histoires s'acheminent de concert vers le dénouement : L Histoire (celle de la Seconde Guerre Mondiale vue du côté des bourreaux) et l'histoire du Dr Maximilien Aue, juriste enrôlé dans la SS, un homme au parcours personnel complexe qui pour moi a clairement des allures de névrosé psychopathe. Ses rapports à sa famille, à son enfance, à son entourage, à ses partenaires sexuels... aucun ne me semble équilibré hormis son rapport à son travail. Très professionnel, rigoureux jusqu'à l'intransigeance, maniaque quoi, le genre de type qui bosse un peu comme... moi ! Fort heureusement, le seul point commun entre mon travail et le sien est de trouver des solutions à des problèmes de fonctionnement interne pour accroître la productivité et fort heureusement pour moi, la productivité qui me concerne n'a rien en commun avec l'extermination d'une "race" humaine.

Pour être tout à fait honnête, celle de ces deux histoires qui m'a le plus intéressée n'est pas celle avec un petit "h" mais l'autre, la Grande, même s'il m'est pénible de donner ce qualificatif à cette sombre période. Pourtant, elle n'est pas si ancienne qu'elle soit déjà entrée dans l'ombre, et trop traumatisante pour pouvoir être oubliée. Elle ne doit pas être oubliée.

Mais je m'égare, revenons à l'oeuvre.
L'oeuvre est colossale. Rien qu'en termes de recherches, l'auteur mérite qu'on lui tire notre chapeau. le style ensuite que j'ai trouvé parfois pesant mais le plus souvent vif, tranchant, chirurgical, une écriture au scalpel qui donne un rythme effréné salutaire car n'oublions pas qu'il y a quand même près de 1400 pages donc mieux vaut un style affirmé qui donne envie de tourner les pages !

Les points faibles de ce livre sont, je l'avoue, tous pragmatiques : lourd (à déconseiller aux poignets graciles et je ne recommande pas la lecture en position allongée), écrit sur un papier tellement fin que vous avez l'impression de tenir dans les mains votre stock d'OCB pour 10 ans, souvent impénétrable pour qui, comme moi, n'a jamais étudié l'allemand (oui, je me suis vite lassée d'avoir à me référer tous les deux paragraphes au glossaire en fin de pavé pour comprendre les différentes abréviations (inévitables quand il s'agit de nommer les services administratifs allemands!) et la correspondance des grades entre la SS, les fonctionnaires et l'armée).

Sinon, passés ces désagréments qui bien que réels ne doivent pas décourager le lecteur, le fond ne peut laisser indifférent. J'ai été emportée, et bien souvent malgré moi, dans une fascination glauque pour la narration du Dr Aue, aimantée par les descriptions d'atrocités qui couvrent des dizaines et des dizaines de pages, voulant à toute force comprendre, percer le mystère, aller au fond de cette mentalité, comprendre comment, par conviction politico-économique, par médiocrité, par pauvreté matérielle et intellectuelle, par endoctrinement, par vice ou par idéalisme, des millions d'hommes et de femmes en étaient arrivés là : croire qu'en exterminant les "ennemis du peuple", en "rayant de la carte" les "improductifs" et les Juifs, ils bâtiraient un monde meilleur, idéal, idyllique, base d'un système politique garant de la prospérité d'un peuple entier.

En refermant "les Bienveillantes" (et j'ai été particulièrement heureuse, en lisant la scène finale, d'être allée jusqu'au bout!), j'ai ressenti un trouble, une chute dans le néant, un malaise et, l'espace de quelques instants, l'impression d'avoir touché du doigt une vérité (l'une de celles qui composent L Histoire) que je n'ai ressenti pour aucune oeuvre auparavant. le dénouement tant attendu de ces deux histoires parallèles qui m'ont accompagnée dans ma lecture pendant presque 5 mois a été comme un éblouissement de toute l'oeuvre.

A lire dans son existence.
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Ça y est j'ai enfin fini ce fichu pavé... pfiouuu la tête me tourne encore de cette avalanche de mots, de faits, d'allusions, de vitesse et d'accumulation.
Mais une question se pose tout de même: finalement est-ce un bon roman?
Pour quelqu'un qui -comme moi par exemple- bosse cette période depuis presque un an, qu'en penser?

Ben...

Euh...

Il y a quand même un problème...

Il y a quand même un problème parce que je suis désolé mais littérairement parlant (au sens strict du style) c'est un texte franchement assez faible: on ne sait rien de ce héros, rien de ses passions réelles, rien de sa biologie, rien de son intérieur, on ne ressent rien, on reste dehors... Par exemple une chose me frappe: il parle de sa bite pendant une petite centaine de page (en tout hein) mais ne la décrit jamais... Pareil est il brun? blond? le style n'évoque aucune image précise, aucune sensation, tout reste à plat, vraiment trop à plat à mon gout.

Mais bien sur il y a du souffle; un ouragan de souffle même et les 1400 pages de l'édition de poche (1400 pages!!!) passent finalement assez vite.

Oui mais grâce à quoi puisque ce n'est pas le style qui fait tenir?

Et bien , il me semble que c'est surtout grâce à la foule de détails historiques qui inondent, encerclent, envahissent le roman. Pour être tout à fait méchant le vrai écrivain de ce livre me semble être plus L Histoire que Johnny Little lui même. Finalement Johnny n'a fait qu'"inventer" des raisons ""plausibles"" pour que son héros se ballade de Berlin à Stallingrad puis à Berlin puis a Auschwitz puis à Berlin (jusque dans le bunker du führer) puis à survivre...
Or, si je mets des guillemets c'est que la seule solution trouvée par Johnny est d'évoquer la carrière erratique d'un seul homme protégé de façon tout à fait in-croyable (au sens propre!) par un meilleur ami qui ressemble fort à "l'adversaire" (même si cette idée n'est même pas évoquée!) et qui surgit toujours à temps puis par une paire d'oncles qui ressemblent a s'y méprendre au docteur Mad de l'inspecteur gadget (un peu relooké à la sauce Gattaca...) Bel effort!!! pfiouuu il a du en suer des litres de café pour pondre ça!!! du coup hop comme par magie, le Maxi Aue il est toujours où il faut quand il faut...pratique...

Quand je dis où il faut quand il faut, c'est à dire qu'à partir de cette trame ultra légère, little nous livre alors un condensé de ses lectures averties. Ainsi, plus que de lieu en lieu, Aue se ballade de livre en livres, évoquant chapitre après chapitre des bouts assumés des grand témoignages de l'époque (ainsi pour ce que j'en ai clairement repéré : il a pompé sans vergogne la bio de hoess "le commandant d'Auschwitz parle" et "si c'est un homme" de levi).
(Note: je n'ai pas encore la bio de Speer mais pour ce que je sais de lui apparemment il y en a aussi de bons gros bouts tout le long du roman...)

Par exemple la référence à Levi est tellement énorme que des que Aue s'est approché d'Auschwitz (comme par hasard Auschwitz, hein, pas Treblinka dont on a peu de témoignages) cela devenait comique et je me demandais jusqu'où il irait ( croiser Levi dans l'usine de chimie ? Lui offrir une cigarette? Réciter du Dante avec lui?) et évidemment la réponse tombe assez vite: au moment de la libération on sait que Levi était dans l'infirmerie de Auschwitz (et c'est ce qui lui a permis de survivre) et ben paf! comme par hasard Aue est celui qui va empêcher le directeur du camp de flinguer tous les infirmes dans l'infirmerie (waoouh); plus fort encore Levi décrit qu'au moment de l'évacuation du camps il a peu vu de SS et évoque (dans "si c'est un homme") avoir à peine vu de loin une moto SS traverser le camps alors qu'il fouillait les décombres pour chercher des vivres... et ben re-paf! Aue traverse le camps et aperçoit de loin un détenu fuir entre les baraques!!! Mais où little est il allé chercher tout ça??? Quelle imagination de dingue!

Ainsi pour ceux qui, comme moi, commencent a avoir fait un peu le tour des livres de cette époque, les bienveillantes apparait donc avant tout comme une bonne compilation, un résumé facile à lire de l'Allemagne nazie en 1400 pages...

Mais cela en fait il un roman? En quoi little est il responsable de cette trame? Quand on pompe a ce point les autres textes sur la période, fait on encore du travail de romancier ou un simple ouvrage de vulgarisation pour grand public? Parce qu'il a écrit une bio de Napoléon passionnante, peut-on considérer Max Gallo comme un bon romancier?

La réponse la plus évidente a cette question me semble résider dans le style, dans le regard dans le questionnement personnel que l'auteur pose alors sur ces faits... Mais là justement...

Mais là justement , désolé, mais dés qu'on lui retire les béquilles de la réalité historique, le style de little fait plouf. Les rares parties qui ne sont pas très droitement argumentées sont franchement mauvaises, peu inventives (dés qu'il a une période de jonction un peu trouble, hop là on fait faire un délire au héros comme ça pas de soucis Aue s'endort à Stallingrad et se réveille à Berlin et le tour est joué)... et je ne parle même pas de la fin qui est totalement absurde et tellement mauvaise que même wrath aurait fait mieux (pourquoi ne pas avoir coupé cette fin? Après tout ce récit pouvait très bien rester inachevé...)...

Et puis et puis il y a le personnage central: Aue.

Finalement qu'est ce que c'est que ce personnage? En quoi croit il? Quelles sont ses passions? Pourquoi avance-t-il? mystère... de toute façons même son histoire, au bout des 1400 pages n'est pas finie (a t il tué ses parents oui ou non? Pourquoi est il circoncis alors qu'il est catholique ? Qui est son père? Qui sont les deux gosses?... En plus d'avoir du mal à inventer des question little ne prend même pas la peine d'y répondre...)

Apparemment le seul défaut majeur de ce héros est qu'il aime se faire enculer (ouuuuh perdition!) et qu'il a et veut de nouveau coucher avec sa soeur... mais a part ça rien. A part ça c'est juste un gars qui veut bien faire son travail. Pour moi le seul coté original de ce personnage est alors qu'il saisit (pour une fois) bien la pensée nazi envers les juifs : il ne déteste pas le juifs en tant que tel mais qu'il est simplement persuadé de la supériorité de sa race pour laquelle les juifs sont un danger. La solution finale est donc simplement présentée comme une réaction naturelle d'autodéfense (pour les nazis j'entends...), ce qui me semble tout à fait juste historiquement.

Après il y a aussi des passages qui m'énervent carrément: tout d'abords évidemment Aue est un pervers sexuel qui aime se faire prendre... A bien tiens, il y avait longtemps qu'on ne nous l'avait pas fait celle là!! le liens entre les nazis et les pédés... En plus, en lisant les critiques de la presse, je trouve assez drôle que toutes les journalistes se fixent sur sa prétendue homosexualité... mais pas du tout sur son désir d'inceste qui lui passe comme un lettre à la poste (!) Vouloir cacher avec sa soeur est moins grave que vouloir coucher avec son voisin et/ou s'enfoncer une saucisse de Francfort dans le cul (sic!) je le note...

Ensuite, évidemment, notre petit little, dont les racines américaines affleurent souvent je trouve (cf plus loin) comme par hasard n'assume pas vraiment un héros vraiment antisémite... Un héros qui prendrait son pied à tuer des juifs et qui le dirait dans notre monde puritain et bien pensant qui trouve des raisons excusables à tout, non ce n'est pas possible... Un SS, responsable de l'élimination des juifs, qui se foutrait de tuer (voire y prendrait du plaisir?) vraiment c'est pas possible et surtout commercialement commercialement ce serait un suicide... Alors comme l'idée lui plait bien quand même, jonhy réussit le tour de force de faire de son héros le seul SS qui se bat pour... que les conditions de détention des juifs soient améliorées!!! Un gentil SS quoi...

Si madame!!! God bless américa et le manichéisme!!

Note: En plus finalement le plus drôle est qu'on se rend compte que Aue le fait pour des questions de main d'oeuvre, de productivité... ce que je trouve d'un cynisme parfait même si je ne suis pas sur que Johnny l'assume a 100%, ou en tous cas qu'il se rende compte de ce qu'il raconte... et qu'il met le bon vieux pragmatisme américain au même rang que les techniques nazies... et dont les bénéfices moraux ne sont qu'un artéfact involontaire...

Personnellement (comme vous le savez peut être) je suis plutôt nihiliste et je nie la morale commune. Alors cette volonté absolue, presque inconsciente, de trouver des justifications à un personnage qui n'en a pas besoin m'ennuie profondément. Et m'ennuie d'autant plus qu'elle enlève tout ce qui aurait pou faire le sel de ce roman.

Ainsi je crois que j'aurais aimé lire, tant qu'à faire, Patrick Bateman devient SS.

En effet pour moi le livre dont les bienveillante se rapproche le plus est "american psycho" (les mémoires d'un homme seul, proche du pouvoir, qui pète un plomb dans un univers d'ultra violence...). la ressemblance se poursuit même dans cette incapacité assez propre au roman américain contemporain (en particulier bee, wolfe et macinerney) d'évoquer la biologie, la vie du corps, de nier la réalité corporelle des héros...
Sauf que Bee a créé de toutes pièces un univers en prenant les éléments marquants des années 80 sans chercher à en faire un musée délirant et assume totalement la folie et le nihilisme de son personnage... et fait un bon roman là ou little ne nous fait qu'une compilation fade des meilleurs livres sur les années nazies.

Mais peut être que Bee se sert des éléments extérieur comme des outils pour faire sa sauce, là ou little fait sa sauce en prenant uniquement des éléments extérieurs; peut être alors que BEE est un bon romancier là ou little euh... on attendra le (vrai) deuxième pour être sur...

en conclusion les bienveillantes mérite son statut de monument littéraire. C'est une somme, une somme utile sur les années nazies. Cependant je regrette, qu'embourbé dans ces références Jonathan Littl ait apparemment oublié d'écrire un peu de littérature...

Mais personne n'est parfait. Les bienveillante est donc à lire. Pour la fond mais pas pour la forme.

Gwynplaine.

ps : étrange tout de même la similitude de thème entre celle développés dans l'opprobre de Millet (éditeur des bienveillante) et certaines thèses du livre : les musulmans ont aidés les nazis, l'homosexualité est une tare...

Qui se ressemble, s'assemble?
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5 étoiles pour la description de l'histoire de la Shoa. le roman des "Bienveillantes" donne l'élaboration et les évolutions des camps d'extermination que je n'arrivais pas à entendre.
Le roman de Jonathan Litell ne m'a pourtant pas plu :
Jonathan Litell propose la vision d'un officier nazi, docteur en droit, qui subit son choix parce qu'il ne peut pas assouvir physiquement l'amour qu'il a pour sa soeur : l'explication m'a paru trop longue et irréaliste.
Il y a des personnages de l'ombre du pouvoir nazi improbables : Leland et Madelbrod.
L'histoire de la phonétique liée à l'histoire des flux migratoires aurait pu être très intéressante, mais n'aboutit à rien dans le roman.
Le personnage principal, choisit la culture allemande en rejetant la culture française mais sa musique préférée reste Rameau et son écrivain préféré reste Stendall. le choix est un peu malheureux, la culture n'est pas que française ou allemande !
Il y a quand même quelques passages intéressants :
L'approche type BFM Business au sujet de l'exploitation des déportés juifs comme dumping économique pour les finances nazies me semble être une réalité qui n'a jamais existé dans la tête des nazis, mais cette vulgarisation contemporaine et froide permet de montrer la folie qui régnait dans l'administration allemande.
La tension dramatique est présente tout au long du roman, et la digression proposée par Jonathan Litell de croquer le nez du führer a été la bienvenue.

Le livre de Jonathan Litell est complémentaire aux romans policiers de Philippe Kerr, où son héros plus sympathique, Bernhard Gunther, navigue dans les arcanes du pouvoir corrompu de cette période noire.
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Une collègue, grande lectrice, me l'avait conseillé, bien avant que le tapage médiatique soit fait autour du phénomène Littel. Il y avait d'ailleurs beaucoup de critiques à l'époque. Je me suis mis à lire ce pavé et pris par le temps et le plaisir, j'ai étalé ma lecture sur six mois, pour savourer chaque page de ce monument. En le refermant, je me suis dit que je venais de lire un livre qui ferait date dans l'histoire de la littérature.
Ce roman me fait penser aux Misérables. Il se veut, comme Hugo, un roman-bible, avec tous les genres romanesques abordés. A travers le roman historique, on passe du roman plolicier au roman psychologique et même au roman sentimental. Il y a de longues descriptions, notamment de Berlin, qui font penser aux descriptions Balzaciennes et une histoire incroyable, avec des passages effroyables sur l'extermination du peuple juif ou la souffrance de Stalingrad.
Mais Littel a surtout réussi un roman à clef. Il faut plusieurs clefs pour le comprendre, pour entrer dans cette lecture. D'abrord une bonne culture historique (certains passages sont longs), littéraire et linguistique (l'analyse des langues slaves m'a vraiment impressionné, tout comme l'incipit repris à Dante et sa Divine Comédie), ensuite une clef pour comprendre (et accepter) le personnage principal. Je vous renvoie à ce bain qu'il fait dans la Mer Noire et où un allemend le questionne sur son appendice et sa forme: tout le mystère de ce personnage, jamais dévoilé, est ici. Enfin, il y a le titre, les bienveillantes étant des divinités grecques, les Euménides ou Erynies, qui persécutent les hommes et donnent un autre sens au roman.
Bref c'est un roman inépuisable, une somme de recherche incroyable, à tel point que je me suis souvent posé cette question: est-ce cet écrivain inconnu qui l'a vraiment écrit, ou n'est-ce pas le véritable récit d'un autre écrivain, peu-être plus célèbre et disparu?
Ce roman est un mystère à lui tout seul, comme cet écrivain fantôme et le lire pose plus de qestions que de réponses mais quel bonheur de lire un livre si abouti!
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Et puisque je suis dans Les Bienveillantes, livre qui m'avait beaucoup perturbée, sur le fond bien sûr-comment ne pas l'être- mais aussi parce que je ne comprenais pas du tout le raisonnement de Jonathan Littell, et ce qu'il voulait dire, un nième commentaire.

Ces presque 900 pages ( et c'est écrit petit...) ne s'oublient pas en passant à autre chose. Ne s'oublient sans doute jamais ainsi que cet cet univers ( dans lequel j'avais eu bien du mal à entrer d'ailleurs...)
Ce récit est composé comme une suite musicale. le premier chapitre est très court, 30 pages. Intitulé Toccata. Une vraie claque, qui pourrait suffire, on pourrait s'arrêter là, et beaucoup de choses seraient dites.
"Comme la plupart, je n'ai pas demandé à être un assassin. Si je l'avais pu, je l'ai déjà dit, j'aurais fait de la littérature... Qui, de sa propre volonté, à part un fou, choisit le meurtre? ....Il est des hommes pour qui la guerre, ou même le meurtre, sont une solution, mais moi, je ne suis pas de ceux-là, pour moi, comme pour la plupart des gens, la guerre et le meurtre sont une question, une question sans réponse, car lorsqu'on crie dans la nuit, personne ne répond. Et une chose en entraine une autre..... dire que s'il n'y avait pas eu la guerre , j'en serais quand même venu à ces extrémités, c'est impossible. Ce serait peut-être arrivé, mais peut-être non, peut être aurais-je trouvé une autre solution........ Je suis un homme comme vous. Allons, puisque je vous dis que je suis comme vous!"

Voilà, si on s'arrête là et qu'on considère que le reste de ce roman n'est qu'un développement de ces quelques phrases ( je mets de côté la documentation, exceptionnelle, que même les détracteurs ont louée), on se retrouve dans un récit extrêmement bien fait dont la seule part fictionnelle est le personnage central, ce Max Aue , un homme brillant, cultivé, pas du tout antipathique, né à un mauvais moment à un mauvais endroit, et qui s'est retrouvé coincé parce que les circonstances historiques avaient permis la prise de pouvoir par un fou furieux.
Ce personnage nous met en face de nos responsabilités , qu'auriez-vous fait, vous? nous dit-il, on prend ça dans les gencives, on repense à Steiner qui se posait toujours la même question de savoir comment on pouvait aimer la musique classique et assassiner des enfants, à l'intelligence d'Hannah Arendt, très fine et précoce analyste.
Et puis, Littell, dans ses entretiens, dit toujours la même chose: quand il était enfant, sa grande peur était qu'on l'envoie au Vietnam tuer des enfants..

La conclusion logique de tout cela, c'est une sorte d'acceptation du destin, la guerre est à l'origine de tout, il s'agit d'un parcours individuel qui s'inscrit en quelque sorte dans une folie collective ......
Oui.... sauf que ce n'est pas si simple. Enfin, je ne crois pas que ce soit ce que Jonathan Littell veut faire comprendre. Il y a des mots qui me semblent essentiels dans le discours initial du narrateur, ce livre , je l'ai repris tant cette assimilation , qui a fait couler beaucoup d'encre, me gênait. le narrateur, , il ne faut jamais l'oublier, est un personnage fictionnel. . Et qu'est donc ce Max Aue, sinon un psychopathe typique? Un personnage figé à un stade très précoce affectivement, qui n'a jamais su ( à sa décharge, n'a jamais pu...) dépasser une passion fusionnelle et incestueuse avec sa soeur jumelle, qui tue sa mère quand celle-ci tente de le faire accéder à certaines vérités, dont le corps se repent par des somatisations diverses, mais l'esprit jamais, qui se sort de ces horreurs auxquelles il a directement et volontairement participé sans remords, en relativisant les chiffres et en faisant quelques calculs, intéressants mais sordides sur le nombre de morts juives par rapport aux morts soviétiques, allemandes, etc, et qui nous annonce d'emblée qu'il est marié, a des enfants , et qu'il dirige une usine de dentelle...... Ah oui, il a encore bien des soucis digestifs, il fait quelques cauchemars, aussi, mais bon, il vit........
Et donc, cet homme, brillant, intelligent, qui n'a rien d'une brute épaisse, ne serait qu'un des maillons de cette responsabilité collective? Pas d'autre choix?
Hum..... Ce n'est pas ce qu'il dit ailleurs, et c'est en cela que Jonathan Littell est très malin.....
" Moi aussi, j'aurais pu demander à partir, j'aurais sans doute même reçu une recommandation positive de Blobel ou du Dr Rash. Pourquoi ne le faisais-je pas? Sans doute n'avais-je pas encore compris ce que je voulais comprendre. le comprendrais-je jamais? Rien n'était moins sûr. Une phrase de Chesterton me trottait par la tête: Je n'ai jamais dit que l'on avait toujours tort d'entrer aux pays des fées. J'ai seulement dit que c'était toujours dangereux. C'était donc cela, la guerre, un pays des fées perverti, le terrain de jeux d'un enfant dément, qui casse ses jouets en hurlant de rire, qui jette gaiement la vaisselle par les fenêtres?"
On n'est plus dans la responsabilité collective, là, ni dans la nième description de ce que la guerre peut faire des hommes. On est dans l'individuel, la folie individuelle, la responsabilité individuelle aussi, et les actes qu'un tel individu est capable de faire dans une guerre ...Bref, je ne suis pas certaine d'être très claire, mais je trouverais très dommage que l'on généralise , que l'on banalise, à partir de ce très important et très réfléchi roman les folies meurtrières de certains.... Cela n'enlève rien à la responsabilité collective, bien sûr, qui était réelle, mais un autre problème......

J'ai donc lu depuis la très brillante analyse de Daniel Mendelsohn , dans Si beau, si fragile,qui m'a un peu mieux expliqué ce livre...
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Citations et extraits (182) Voir plus Ajouter une citation
Les mots me préoccupaient. Je m'étais déjà demandé dans quelle mesure les différences entre Allemands et Russes, en termes de réaction aux tueries de masse, et qui faisaient que nous avions finalement dû changer de méthode, pour atténuer la chose en quelque sorte, alors que les Russes semblaient, même après un quart de siècle, y rester imperméables, pouvaient tenir à des différences de vocabulaire : le mot « Tod », après tout, a la raideur d'un cadavre déjà froid, propre, presque abstrait, la finalité en tout cas de l'après-mort, tandis que « smiert' », le mot russe, est lourd et gras comme la chose elle-même. Et le français, dans ce cas ? Cette langue, pour moi, restait tributaire de la féminisation de la mort par le latin : quel écart finalement entre « la » Mort et toutes les images presque chaudes et tendres qu'elle suscite, et le terrible Thanatos des Grecs ! Les Allemands, eux, avaient au moins préservé le masculin (« smiert' », soit dit en passant, est aussi un féminin). Là, dans la clarté de l'été, je songeais à cette décision que nous avions prise, cette idée extraordinaire de tuer tous les Juifs, quels qu'ils soient, jeunes ou vieux, bons ou mauvais, de détruire le Judaïsme en la personne de leurs porteurs, décision qui avait reçu le nom, bien connu maintenant, d'« Endlösung » : la « solution finale ». Mais quel beau mot ! Pourtant, il n'avait pas toujours été synonyme d'extermination : depuis le début, on réclamait, pour les Juifs, une « Endlösung », ou bien une « völlige Lösung » (solution complète) ou encore une « allgemeine Lösung » (solution générale), et selon les époques, cela signifiait exclusion de la vie publique, exclusion de la vie économique, enfin émigration. Et peu à peu, la signification avait glissé vers l'abîme, mais sans que le signifiant, lui, change, et c'était presque comme si ce sens définitif avait toujours vécu au cœur du mot, et que la chose avait été attirée, happée par lui, par son poids, sa pesanteur démesurée, dans ce trou noir de l'esprit, jusqu'à la singularité : et alors on avait passé l'horizon des événements, à partir duquel il n'y a plus de retour. On croit encore aux idées, aux concepts, on croit que les mots désignent des idées, mais ce n'est pas forcément vrai, peut-être n'y a-t-il pas vraiment d'idées, peut-être n'y a-t-il réellement que des mots, et le poids propre aux mots. Et peut-être ainsi nous étions-nous laissé entraîner par un mot et son inévitabilité. En nous, donc, il n'y aurait eu aucune idée, aucune logique, aucune cohérence ? […] dans les correspondances, dans les discours aussi, les tournures passives dominaient, « il a été décidé que... », « les Juifs ont été convoyés aux mesures spéciales », « cette tâche difficile a été accomplie », et ainsi les choses se faisaient toutes seules, personne ne faisait jamais rien, personne n'agissait, c'étaient des actes sans acteurs, ce qui est toujours rassurant, et d'une certaine façon ce n'étaient même pas des actes, car par l'usage particulier que notre langue nationale-socialiste faisait de certains noms, on parvenait, sinon à entièrement éliminer les verbes, du moins à les réduire à l'état d'appendices inutiles (mais néanmoins décoratifs), et ainsi, on se passait même de l'action, il y avait seulement des faits, des réalités brutes soit déjà présentes, soit attendant leur accomplissement inévitable (Folio, 2006 : pp. 900-901, 902).
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Sais-tu, d'ailleurs, que le terme même de "national-socialisme" a été forgé par un Juif, un précurseur du sionisme, Moïse Hess ? Lis son livre, un jour, Rome et Jérusalem, tu verras. C'est très instructif. Et ce n'est pas un hasard : quoi de plus völkisch que le Sionisme ? Comme nous, ils ont reconnu qu’il ne peut y avoir de Volk et de Blut sans Boden, sans terre, et donc qu'il faut ramener les Juifs à la terre, Eretz Israël pure de toute autre race. Bien sûr, ce sont d'anciennes idées juives. Les Juifs sont les premiers vrais nationaux-socialistes, depuis près de trois mille cinq cents ans déjà, depuis que Moïse leur a donné une Loi pour les séparer à jamais des autres peuples. Toutes nos grandes idées viennent des Juifs et nous devons avoir la lucidité de le reconnaître : la Terre comme promesse et comme accomplissement, la notion du peuple choisi entre tous, le concept de la pureté du sang. C'est pour cela que les Grecs, abâtardis, démocrates, voyageurs, cosmopolites, les haïssaient tant, et c'est pour cela qu'ils ont d'abord essayé de les détruire, puis, par le biais de Paul, de les corrompre leur religion de l'intérieur, en la détachant du sol et du sang, en la rendant catholique, c’est-à-dire universelle, en supprimant toutes les lois qui servaient de barrière pour maintenir la pureté du sang juif : les interdits alimentaires, la circoncision. Et c'est donc pour cela que les Juifs sont, de tous nos ennemis, les pires de tous, les plus dangereux ; les seuls qui valent vraiment la peine d'être haïs. Ce sont nos seuls vrais concurrents, en fait. Nos seuls rivaux sérieux. Les Russes sont faibles, une horde privée de centre malgré les tentatives de ce Géorgien arrogant de leur imposer un "national-communisme". Et les insulaires, britanniques ou américains, sont pourris, gangrenés, corrompus. Mais les Juifs ! Qui donc, à l'époque scientifique, a redécouvert, en se fondant sur l'intuition millénaire de son peuple, humilié mais invaincu, la vérité de la race ? Disraeli, un Juif. Gobineau a tout appris chez lui. Tu ne me crois pas ? Va voir. » Il désigna les étagères à côté de son bureau : « Là, va voir. » Je me levai de nouveau et allai aux étagères : plusieurs livres de Disraeli y côtoyaient ceux de Gobineau, Vacher de Lapouge, Drumont, Chamberlain, Herzl, et d'autres encore. « Lequel, Herr Doktor ? Il y en a plusieurs. » — « N'importe, n'importe. Ils disent tous la même chose. Prends Coningsby, tiens. Tu lis l'anglais, n'est-ce pas ? Page 203. Commence avec But Sidonia and his brethren... Lis à haute voix. » Je trouvais le passage et lus : « Mais Sidonia et ses frères pouvaient se réclamer d'une distinction que le Saxon et le Grec, et le reste des nations caucasiennes, avaient abandonnée. L'Hébreu est une race sans mélanges... Une race sans mélanges, d'une organisation de première classe, est l'aristocratie de la Nature. » — « Très bien ! Page 231, maintenant. The fact is, you cannot destroy... Il parle des Juifs sûr. » — « Oui. Le fait est qu'on ne peut détruire une pure race d'organisation caucasienne. C’est un fait physiologique ; une simple loi de la nature, qui a mis en échec les rois égyptiens et assyriens, les empereurs romains, et les inquisiteurs chrétiens. Aucune loi pénale, aucune torture physique, ne peut faire qu’une race supérieure soit absorbée par une inférieure, ou détruite par elle. Les races persécutrices mélangées disparaissent ; la pure race persécutée demeure »
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« C’est tout simplement un problème racial, répondis-je. Nous savons qu’il existe des groupes racialement inférieurs, dont les Juifs, qui présentent des caractéristiques marquées qui à leur tour les prédisposent à la corruption bolcheviste, au vol, au meurtre, et à toutes sortes d’autres manifestations néfastes. Évidemment, cela n’est pas le cas de tous les membres du groupe. Mais en temps de guerre, dans une situation d’occupation et avec nos ressources limitées, il nous est impossible de procéder à des enquêtes individuelles. Nous sommes donc obligés de considérer les groupes porteurs de risque dans leur ensemble, et de réagir globalement. Cela crée de grandes injustices, mais c’est dû à la situation exceptionnelle. » Voss regardait son café d’un air amer et triste. « Doktor Aue. Je vous ai toujours pris pour un homme intelligent et sensé. Même si tout ce que vous me dites est vrai, expliquez-moi, s’il vous plaît, ce que vous entendez par race. Parce que pour moi, c’est un concept scientifiquement indéfinissable et donc sans valeur théorique. » — « Pourtant, la race existe, c’est une vérité, nos meilleurs chercheurs l’étudient et écrivent à son sujet. Vous le savez bien. Nos anthropologues raciaux sont les meilleurs du monde. » Voss explosa subitement : « Ce sont des fumistes. Ils n’ont aucune concurrence dans les pays sérieux car leur discipline n’y existe pas et n’y est pas enseignée. Aucun d’entre eux n’aurait un emploi et ne serait publié si ce n’était pour des considérations politiques ! » — « Doktor Voss, je respecte beaucoup vos opinions, mais vous y allez un peu fort, non ? » dis-je doucement. Voss frappa du plat de la main sur la table, ce qui fit rebondir les tasses et le vase de fausses fleurs ; le bruit et ses éclats de voix firent se tourner quelques têtes : « Cette philosophie de vétérinaires, comme disait Herder, a volé tous ses concepts à la linguistique, la seule des sciences de l’homme jusqu’à ce jour qui ait une base théorique scientifiquement validée. Comprenez-vous » — il avait baissé le ton et parlait vite et furieusement — « comprenez-vous même ce que c’est qu’une théorie scientifique ? Une théorie n’est pas un fait : c’est un outil qui permet d’émettre des prédictions et de générer de nouvelles hypothèses. On dit d’une théorie qu’elle est bonne, d’abord, si elle est relativement simple, et ensuite, si elle permet de faire des prédictions vérifiables. La physique newtonienne permet de calculer des orbites : si on observe la position de la Terre ou de Mars à plusieurs mois d’intervalle, elles se trouvent toujours précisément là où la théorie prédit qu’elles doivent se trouver. Par contre, on a constaté que l’orbite de Mercure comporte de légères irrégularités qui dévient de l’orbite prédite par la théorie newtonienne. La théorie de la relativité d’Einstein prédit ces déviations avec précision : elle est donc meilleure que la théorie de Newton. Or en Allemagne, autrefois le plus grand pays scientifique du monde, la théorie d’Einstein est dénoncée comme science juive et récusée sans aucune autre explication. C’est tout simplement absurde, c’est ce que l’on reproche aux bolcheviques, avec leurs propres pseudo-sciences au service du Parti. C’est la même chose pour la linguistique et la prétendue anthropologie raciale. En linguistique, par exemple, la grammaire indo-germanique comparée a permis de dégager une théorie des mutations phonologiques qui a une excellente valeur prédictive. Déjà Bopp, en 1820, dérivait le grec et le latin du sanscrit. En partant du moyen iranien et en suivant les mêmes règles fixes, on retrouve des mots en gaélique. Ça marche et c’est démontrable. C’est donc une bonne théorie, bien qu’elle soit constamment en cours d’élaboration, de correction et de perfectionnement. L’anthropologie raciale, en comparaison, n’a aucune théorie. Elle postule des races, sans pouvoir les définir, puis avère des hiérarchies, sans les moindres critères. Toutes les tentatives pour définir les races biologiquement ont échoué. L’anthropologie crânienne a été un four total : après des décennies de mesures et de compilations de tables, basées sur les indices ou les angles les plus farfelus, on ne sait toujours pas reconnaître un crâne juif d’un crâne allemand avec le moindre degré de certitude. Quant à la génétique mendélienne, elle donne de bons résultats pour les organismes simples, mais à part le menton Habsbourg on est encore loin de savoir l’appliquer à l’homme. Tout cela est tellement vrai que pour rédiger nos fameuses lois raciales, on a été obligés de se fonder sur la religion des grands-parents ! On a postulé que les Juifs du siècle dernier étaient racialement purs, mais c’est absolument arbitraire. Même vous devez le voir. Quant à ce qui constitue un Allemand racialement pur, personne ne le sait, n’en déplaise à votre Reichsführer-SS. Ainsi, l’anthropologie raciale, incapable de définir quoi que ce soit, s’est simplement rabattue sur les catégories tellement plus démontrables des linguistes. Schlegel, qui était fasciné par les travaux de Humboldt et de Bopp, a déduit de l’existence d’une langue indo-iranienne supposée originale l’idée d’un peuple également original qu’il a baptisé aryen en prenant le terme à Hérodote. De même pour les Juifs : une fois que les linguistes avaient démontré l’existence d’un groupe de langues dites sémitiques, les racialistes ont sauté sur l’idée, qu’on applique de manière complètement illogique puisque l’Allemagne cherche à cultiver les Arabes et que le Führer reçoit officiellement le Grand Mufti de Jérusalem ! La langue, en tant que véhicule de la culture, peut avoir une influence sur la pensée et le comportement. Humboldt l’avait déjà compris il y a longtemps. Mais la langue peut être transmise et la culture, bien que plus lentement, aussi. Au Turkestan chinois, les turcophones musulmans d’Urumchi ou de Kashgar ont une apparence physique disons iranienne : on pourrait les prendre pour des Siciliens. Certainement, ce sont les descendants de peuples qui ont dû migrer de l’ouest et parlaient autrefois une langue indo-iranienne. Puis ils ont été envahis et assimilés par un peuple turc, les Ouïghours, à qui ils ont pris leur langue et une partie de leurs coutumes. Ils forment maintenant un groupe culturel distinct, par exemple, des peuples turcs comme les Kazakhs et les Kirghizes, et aussi des Chinois islamisés qu’on appelle les Hui ou des musulmans indo-iraniens comme les Tadjiks. Mais essayer de les définir autrement que par leur langue, leur religion, leurs coutumes, leur habitat, leurs habitudes économiques ou leur propre sentiment de leur identité n’aurait aucun sens. Et tout cela est de l’acquis, pas de l’inné. Le sang transmet une propension aux maladies cardiaques ; s’il transmet aussi une propension à la trahison, personne n’a jamais pu le prouver. En Allemagne, des idiots étudient les chats à queue coupée pour essayer de prouver que leurs chatons naîtront sans queue ; et parce qu’ils portent un bouton en or on leur donne une chaire d’Université ! En URSS, par contre, malgré toutes les pressions politiques, les travaux linguistiques de Marr et de ses collègues, au niveau théorique au moins, restent excellents et objectifs, parce que » — il donna quelques coups secs sur la table avec ses phalanges — « comme cette table, cela existe. Moi, les gens comme Hans Günther ou comme ce Montandon, en France, qui fait aussi parler de lui, je leur dis merde. Et si c’est des critères comme les leurs qui vous servent à décider de la vie et de la mort des gens, vous feriez mieux d’aller tirer au hasard dans la foule, le résultat serait le même. »
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Je ne tirais pas, mais j'étudiais les hommes qui tiraient, les officiers surtout comme Häfner ou Janssen, qui étaient là depuis le début et semblaient maintenant devenus parfaitement insensibles à leur travail de bourreau. Je devais être comme eux. En m'infligeant ce lamentable spectacle, pressentai-je, je ne visai pas à en user le scandale, le sentiment insurmontable d'une transgression, d'une violation monstrueuse du Bien et du Beau, mais il advenait plûtot que l'habitude, on ne sentait, à la longue, plus grand chose ; ainsi, ce que je cherchais, désespérément mais en vain, à recouvrer, c'était bien ce choc initial, cette sensation d'une rupture, d'un ébranlement infini de tout mon être ; à la place je ne ressentais plus qu'une excitation morne et angoissante, toujours plus brève, acide, confondue à la fièvre et à mes symptômes physiques, et ainsi, lentement, sans bien m'en rendre compte, je m'enfonçais dans la boue tandis que je cherchais la lumière.
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Au réveil, il me semblait évident que ces rêves sereins, dépourvus de toute angoisse, figuraient le camp parfait, ayant atteint un point de stase impossible, sans violence, autorégulé, fonctionnant parfaitement et aussi parfaitement inutile puisque, malgré tout ce mouvement, ne produisant rien. Mais à y réfléchir plus avant, comme je tentais de le faire en buvant mon ersatz dans la salle de la « Haus des Waffen-SS », n'était-ce pas une représentation de la vie sociale dans son ensemble ? Débarrassée de ses oripeaux et de sa vaine agitation, la vie humaine se réduisait à guère plus que cela ; une fois que l'on s'était reproduit, on avait atteint la finalité de l'espèce ; et quant à sa propre finalité, ce n'était qu'un leurre, une stimulation pour s'encourager à se lever le matin ; mais si l'on examinait la chose objectivement, comme je pensais pouvoir le faire, l'inutilité de tous ces efforts était patente, tout comme l'était la reproduction elle-même, puisqu'elle ne servait qu'à produire de nouvelles inutilités. Et ainsi je venais à penser : le camp lui-même, avec toute la rigidité de son organisation, sa violence absurde, sa hiérarchie méticuleuse, ne serait-il qu'une métaphore, une « reductio ad absurdum » de la vie de tous les jours ? (Folio 2006 : pp. 887-8)
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