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Critique de Danage


Relecture, après La peste sur vos deux familles, de ce roman de Robert Littell.



En 1979, Robert Littell rencontre la veuve de Mandelstam, qui lui lâche, lorsqu'il la quitte : "Surtout ne parlez pas anglais dans le couloir !"

Robert Littell prend la mesure du traumatisme : « Elle n'arrivait plus à s'arracher aux cauchemars de la période stalinienne, quand le moindre contact avec un étranger vous envoyait au goulag. »

Robert Littell met 30 ans à écrire « L'Hirondelle avant l'orage », dont le titre original ‘The Stalin Epigram » dit encore mieux l'horreur : pour ce poème, Mandelstam est condamné.

Le fond est historique : en novembre 1933, Mandelstam a effectivement écrit cette épigramme, contre « le montagnard du Kremlin », qu'il a récitée (prudence vaine) à un cercle restreint d'amis, et qui a conduit à sa perte.

L'originalité (et sa limite, par ce mélange réalité – fiction) du roman tient dans la rencontre imaginée entre Mandelstam et Staline, furieux que Mandelstam refuse d'écrire un poème de propagande. Mandelstam fait montre, devant l'homme de fer, d'une volonté d'acier qu'il exprime avec poésie.



Le livre commence par une réception organisée par Gorki. Censure immédiate : certains invités sont rayés de la liste à la demande de Staline.

Il alterne les voix de Nadejda Mandelstam (l'épouse), Anna Akhmatova (la maîtresse), Fikrit Shotman, un champion d'haltérophilie compagnon de cellule de Mandelstam ; Boris Pasternak, ami de Mandelstam, et Mandelstam lui-même.



Fikrit Shotman, qui a un autocollant de la tour Eiffel sur sa valise, est interrogé, puis condamné :
- « Je suis ici par erreur
- Parlons clair. Vous, qui êtes membre du Parti depuis 1928, le croyez capable de commettre des erreurs ? »



Sergo, qui a évoqué la famine organisée en Ukraine, également.
« - Je voudrais demander au camarade Staline comment un écrivain – suivant l'esthétique imposée du réalisme socialiste – doit traiter le sujet de la collectivisation. Si nous devons être réalistes dans la forme, nous devons décrire le chaos, la misère…
Quiconque se tient au courant de ce qui se passe sait que la famine gagne de vestes régions d'Ukraine, et pourtant, d'après la Pravda, l'Union soviétique continue à exporter du blé. Pourquoi n'envoyons-nous pas d'urgence des cargaisons de nourriture dans les zones les plus touchées plutôt que de vendre nos céréales à l'Ouest ? »



Les exigences du réalisme socialiste sont définies : « C'est l'esthétique qui s'imposera désormais aux arts visuels, au théâtre, au cinéma et à toute forme d'écriture créative. le réalisme socialiste proclame que l'art ou la culture n'existent pas dans l'abstrait. Tout art et toute culture servent la Révolution ou le Parti, ou pas. le réalisme socialiste affirme que l'art, quel qu'il soit, doit être réaliste dans la forme et socialiste dans le fond - il reconnaît que les écrivains sont des ingénieurs de l'âme humaine et, en tant que tel, qu'ils ont l'obligation morale d'inspirer au prolétariat soviétique des rêves socialistes. »



Mandelstam se « défend » comme il peut.
« « Nom, prénom, patronyme ? me cria le garde, un homme décharné au crâne rasé et à l'haleine fétide
- Mandelstam, Ossip Emilievitch, criai-je en retour, comme si je répondais à un sergent instructeur
- Pourquoi criez vous ?
- Je crie parce que vous criez
- Je ne crie pas, rétorqua le sergent instructeur. Je parle de ma voix normale.
(…)
Mandelstam c'est votre vrai nom ?
Je hochai la tête. Sans lever les yeux, il cria :
- Je n'ai pas saisi la réponse à ma question. Mandelstam est-il votre vrai nom ou un pseudonyme ?
- Vrai nom
- Répondez en phrases complètes, pas en fragments.
- Les fragments sont ce dont j'étaye mes ruines, criai-je
- Répétez ça
- Mandelstam est mon vrai nom
- Profession ?
- Je suis poète
- Poète n'est pas une profession prolétarienne reconnue par les statuts soviétiques
J'eus une inspiration.
- Je suis ingénieur des âmes humaines.
Il ne parut pas reconnaître l'expression attribuée à Staline par les journaux.
- Quels services rendez-vous à l'Etat ? cria-t-il. Qui vous paie pour services rendus ?
- Je compose de la poésie, mais ça fait des années que je n'ai pas été rémunéré pour ce service rendu.
- Rémunéré ?
- Rétribué. Payé.
Il griffonna les mots intellectuels et parasite dans le registre. »




« - Vous êtes armé ?
A ma surprise, Ossip a hoché la tête.
- Il se trouve que oui
(…)
- de quoi êtes vous armé ? Et où cachez-vous l'arme ?
- Je suis armé du pouvoir explosif enfermé dans le noyau des poèmes. Je cache les poèmes en question dans mon cerveau. »



Hommage à Mandelstam, pour l'ambiance et les dialogues, finement écrits, à lire.
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