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Critique de Arakasi


Qui est Kim Philby ? Rien de moins que le traitre le plus renommé de toute l'histoire de la Grande Bretagne ! Communiste convaincu et espion du NKVD (services secrets russes et ancêtre du KGB), il a réussi à se faire incorporer au MI6 en 1940 et a fait partie des pontes des services secrets britanniques pendant plus de dix ans, un record jamais égalé pour un agent double. La découverte de sa traitrise au début des années cinquante a été un traumatisme et une humiliation sans précédent pour le MI6, et par extension pour tous les services secrets occidentaux dont la plupart des directeurs ont viré par la suite complètement paranoïaques, persuadés que des espions russes se dissimulaient en permanence sous leurs lits – ce qui était grandement exagéré, on s'en doute. La fuite en URSS du bonhomme l'a finalement fait passer au statut de légende et il peut se vanter d'avoir fait couler autant d'encre historique que littéraire. Sa carrière a notamment inspiré l'excellent roman « La Taupe » de John le Carré.

Robert Littell n'est donc pas le premier romancier à avoir été fasciné par Kim Philby. Là où l'écrivain britannique innove, c'est dans la période de la vie du personnage sur laquelle il a décidé de se concentrer. Comme l'indique son sous-titre « Portrait de l'espion en jeune homme », le récit couvre les toutes premières années de Philby en tant qu'espion soviétique : son séjour à Vienne pour soutenir les ouvriers socialistes, son recrutement par le NKVD, ses premières années de journalisme, son entrée dans le MI6... L'idée géniale de Littell est d'avoir fait raconter chacune des étapes de la vie du jeune espion par des personnages l'ayant côtoyé – son épouse, l'agent russe qui l'a recruté ou ses amis de Cambridge – sans jamais que le point de vue de Philby lui-même ne nous soit dévoilé. En effet, quel meilleur moyen employer pour mettre en scène ce personnage insaisissable, à la personnalité trouble et fluctuante ? de ce point de vue là, le roman de Littell est une réussite, un récit d'espionnage parfaitement rodé et d'une grande profondeur psychologique.

Là où le bât blesse – du moins, en ce qui me concerne – c'est dans l'hypothèse émise par Robert Littell dès les premières lignes de son roman et qui sous-tendra toute la suite de son histoire : Kim Philby n'aurait pas seulement été un agent double, mais un agent triple. Comprenez par là que Philby aurait fait semblant d'être recruté par le NKVD pour pouvoir donner aux russes de fausses informations soigneusement sélectionnées par le MI6 (la trahison dans la trahison dans la trahison : gare à la migraine…). Pas besoin d'être un historien qualifié pour voir que cette théorie, aussi séduisante soit-elle pour un romancier et valorisante pour l'Angleterre, ne résiste pas à une étude légèrement approfondie. Trop de faits historiques la contredisent : la pagaille générale déclenchée par sa défection au sein du MI6, la dépression nerveuse suivie d'une démission du chef des services secrets de l'époque, le silence honteux gardé par le MI6 même après la mort de Philby en 88, etc… Malgré ce qu'affirme Robert Littell, fermement convaincu de son hypothèse, dans sa postface, la théorie de l'agent triple me semble relever du romantisme pur et simple.

Ceci dit, Littell a pour lui le droit sacré du romancier qui est de pouvoir se détacher de la réalité historique s'il peut en tirer un bon roman. « Philby - Portrait de l'espion en jeune homme » reste un récit d'espionnage de haute qualité que j'ai dévoré en l'espace de quelques heures. À lire d'un oeil critique, mais à lire tout de même !
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