Certains charlatans saisirent cette opportunité pour s’enrichir en cette période de malheurs nationaux et inventèrent des « pilules miracles coupe-faim contre la disette » qu’ils vendaient aux pauvres victimes. « Si vous choisissez la formule concentrée, disaient-ils, une seule pilule suffit pour calmer la faim pendant une semaine ; si vous choisissez la formule simplifiée, une pilule ne fera effet qu’une seule journée. » Bien sûr, ces pilules ne faisaient aucun effet. Si leur efficacité avait été avérée, alors depuis la nuit des temps, aucun Chinois ne serait mort de faim.
En 1942, mon village natal fut confronté à la question de la faim. Cette année-là en effet, une famine effroyable provoquée par la sécheresse a tué plus de trois millions de personnes dans la seule province du Henan, au centre du pays, et est pourtant passée quasi inaperçue aux yeux de l’Histoire.
Cinquante et un ans plus tard, en 1993, j’ai écrit un essai (...) dont le titre de la version française est "Se souvenir de 1942", pour revenir sur cette sécheresse. Et ce ne fut que lors de la rédaction de ce retour rétrospectif sur cette année 1942, que j’ai compris que dans des moments tragiques de cruauté extrême, au milieu des larmes et des pleurs retentissait parfois un éclat de rire. Un petit éclat de rire fortuit qui engendrait bien davantage la mélancolie que des larmes collectives.
En Chine, dans certains villages il est demandé aux habitants de garder une distance entre eux, même à la maison, et de la respecter pas uniquement pendant la journée mais également pendant la nuit. Le soir venu, des haut-parleurs diffusent la mise en garde suivante : « Que chacun prenne garde à respecter l’isolement durant la nuit ! Mari et femme ne sont pas autorisés à s’enlacer, ni à s’embrasser, et encore moins à s’adonner à certaines activités. Que les hommes maîtrisent leurs ardeurs et les femmes fassent preuve de retenue. »
Désormais mes romans sont traduits dans plus de vingt langues. À chacune de mes rencontres avec des lecteurs étrangers, dans n’importe quel pays, lorsqu’on me questionne sur l’humour que je mets dans chacun d’eux, je réponds souvent que ce n’est pas une intention de ma part, c’est la vie qui m’y pousse. Et quand je dis cela, je me sens si mal compris qu’une certaine tristesse me saisit.