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Le Problème à trois corps tome 3 sur 3

Gwennaël Gaffric (Traducteur)
EAN : 9782330143190
848 pages
Actes Sud (06/01/2021)
  Existe en édition audio
4.37/5   989 notes
Résumé :
Lorsqu’une ingénieure en aéronautique originaire du début du XXIe siècle sort de son hibernation, elle réveille avec elle le souvenir d’un programme qui confronte l’humanité à un choix crucial : il en va en effet de la survie des Terriens… Après «Le Problème à trois corps »et «La Forêt sombre», Liu Cixin referme l’un des cycles de science-fiction les plus ambitieux de ce siècle.

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Critiques, Analyses et Avis (87) Voir plus Ajouter une critique
4,37

sur 989 notes
Je viens de terminer "La Mort immortelle" de Liu Cixin... et je ne sais vraiment pas ce que je vais pouvoir dire dessus tellement l'immensité de ce livre me dépasse ! J'en ressort avec l'impression que Liu Cixin a ouvert tout un champ des possibles dans lequel construire sa future oeuvre de façon à ce qu'elle ne forme qu'un seul ensemble ; un peu à la manière de Tolkien, voir d'Isaac Asimov (où les séries des Robots et de Fondation s'entremêlent).
Autant je trouvais que "La Forêt sombre" répondait à toutes les questions, autant "La Mort immortelle" en pose de nouvelles qui peuvent donner matière à d'autres tomes.

Sinon, j'ai adoré toutes les référence littéraires qui truffent "La Mort immortelle". Je les ai toutes trouvées assez évidentes mais le texte ou une note de bas de page de l'auteur ou du traducteur (Gwennaël Gaffric... dont il faut souligner l'excellence de sa traduction) en donnent souvent la clé : Asimov, Tolkien, Margaret Mitchell, Poe,... Liu Cixin est quelqu'un de cultivé mais je pense que tous ces rappels à la littérature ne sont pas anodins...

Liu Cixin reprend à sa sauce la physique quantique (j'avoue qu'avoir déjà lu Hubert Reeves, Trinh Xuan Thuan, Christophe Galfard, Carl Sagan, ... m'a bien aidée) ! Et je pense que c'est là où toutes les références littéraires prennent leur sens : pour rappeler que tout le baratin scientifique, même s'il tient la route, est approximatif ! On lit de la fiction et il ne faut pas prendre au pied de la lettre toutes les théories quantiques qui y sont décrites. Pour moi, l'exemple le plus frappant, c'est le maelström de Mosken (Moskstraumen)... Edgar Allan Poe le décrit comme un immense tourbillon (difficile de ne pas y voir une allusion à un trou noir). Dans sa description Liu Cixin est un peu plus modeste mais cela reste un tourbillon surdimensionné par rapport à la réalité ! (Allez donc voir sur internet à quoi ressemble le VRAI Moskstraumen !). Liu Cixin le rappele constamment : on est dans de la fiction et tout est exagéré !

En revanche, je me pose des questions sur le regard que porte Liu Cixin sur les femmes... Dans cette trilogie, il y a deux personnages féminins principaux : Ye Wenjie et Cheng Xin... qui toutes deux trahissent l'humanité ! Je pourrais y voir un semblant d'explication si c'est une référence biblique. Peut-être que Ye Wenjie représente Ève qui fait perdre à Adam la sécurité du Jardin d'Eden et Cheng Xin ne serait autre que la "femme enveloppée du soleil, la lune sous ses pieds, et une couronne de douze étoiles sur sa tête" de l'Apocalypse (Ga 4:19, 26; Ap 2:26, 27; Jn 8:44; 1 Pi 5:8) ? Autre élément qui pourrait étayer cette supposition, c'est la présence d'un autre personnage qui s'appelle Jonas et qui donne l'explication du titre "... la mort est le seul phare qui reste à jamais allumé. Peu importe où tu navigues, tu finis toujours par te rendre dans la direction qu'il t'indique. Tout à une fin. Seule la mort est immortelle" (Babel P581).

En plus de la littérature, Liu Cixin évoque beaucoup la peinture. de nombreux tableaux sont cités ou sont mis en scène... j'en ai repéré quelques uns mais, à tort, je ne m'y suis pas suffisamment intéressée et ce sera un excellent argument pour une relecture.

Pour finir, je voudrais remercier Gwennaël Gaffric pour sa traduction. Sans des traducteurs de grand talent comme lui une grande part de la littérature nous échapperais.
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Après deux premiers tomes complexes mais très prenants, j'étais impatiente de découvrir ce dernier tome. Même si les deux premiers m'ont beaucoup plu, j'appréhendais tout de même cette dernière partie en raison du nombre de pages et de sa complexité scientifique.
Je suis donc heureuse de ne pas avoir été seule pour le lire et je remercie mes compagnons de voyage, Sonia (Indimoon), Paul (El_Camaleon_Barbudo) et Judith (Brooklyn_by_the_sea) sans qui je n'aurais pas abordé ce livre avec autant de confiance.

Souvent, je trouve les dénouements assez décevants.
J'avais donc aussi quelques appréhensions quant à la fin imaginée par Cixin Liu. Mais, au regard du talent de l'auteur, je n'aurais dû avoir aucune inquiétude. « La mort immortelle » clôt de façon admirable et magnifique cette trilogie qui a même obtenu en 2017, le prix Locus du meilleur roman de science-fiction.

*
Pour ceux qui ne connaissent pas encore Cixin Liu, cet auteur très populaire en Chine écrit des récits de science-fiction mélangeant des théories scientifiques particulièrement abouties et innovantes, des questions philosophiques sur le sens de l'existence propre aux réalités de nos sociétés, et une analyse très approfondie de la nature humaine.

« Lorsque l'humanité se retrouve abandonnée dans l'espace, il suffit de cinq minutes pour qu'elle devienne totalitaire. »

Sans entrer dans les détails pour ne pas divulgâcher, la trilogie des Trois Corps relate l'invasion future de la Terre par une civilisation extraterrestre conquérante, les Trisolariens. Ils sont une réelle menace pour les hommes, de part leur attitude belliqueuse et leur technologie bien plus avancée que la notre.
Les hommes vont devoir s'organiser pour faire face à la menace trisolarienne.
Cette lutte pour conquérir la Terre pour les uns, la préserver pour les autres, nous réservent des surprises inimaginables et de nombreux rebondissements tout au long des trois tomes, avec, en prime, des concepts captivants sur l'univers, le développement spatial et l'espace lointain.

*
Vous pourriez penser que le scénario est assez classique et manque d'originalité.
Au contraire, l'imagination de cet auteur est sans limite. J'ai rarement lu un roman aussi fourmillant d'idées ingénieuses et incroyables, aussi riche de réflexions sur les sciences, la technologie, sur l'humanité, la société, la géopolitique.

« L'espace était une lentille grossissante qui pouvait en un instant amplifier à son maximum la face obscure de l'humanité. »

Cixin Liu arrive avec une facilité déconcertante à concevoir le monde de demain et à nous le faire vivre. C'est une lecture vraiment extraordinaire, très visuelle. C'est comme si l'auteur nous équipait d'un casque en réalité virtuelle pour nous faire voyager dans le temps et l'espace : ainsi, dans ce troisième tome, on remonte cinq cents ans dans l'histoire humaine pour se rendre au coeur de la civilisation byzantine ; le récit s'achève dans un futur très éloigné, inimaginable à notre échelle.

Cixin Liu place l'humain au centre de l'histoire. Il analyse leurs réactions en réponse à la menace croissante. Les Trisolariens sont présents, mais en périphérie, comme des ombres au-dessus de nos têtes.
Mais, si l'auteur s'intéresse aux comportements et aux décisions des hommes, il néglige encore trop souvent de nous faire partager leurs émotions. C'est dommage, mais cela ne m'a pas vraiment dérangé car le récit est tourné vers l'action plutôt que vers l'introspection.

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Le scénario de ce Space Opera est excessivement bien pensé et conçu. Autant les deux premiers tomes étaient très différents l'un de l'autre par leur structure narrative, autant ce dernier surprend par sa maîtrise, les soudant tous les deux pour aboutir à un ensemble cohérent et une fin inattendue.
En effet, l'auteur a le don de surprendre ses lecteurs en prenant des chemins auxquels on ne s'attend pas. Chaque piste exposée connaît des rebondissements et une conclusion dévoilant un tableau d'ensemble purement stupéfiant.

« Cette nuit où j'ai eu fini de construire mon phare, quand je l'ai regardé au loin briller sur la mer, tout est soudain devenu clair : la mort est le seul phare qui reste à jamais allumé. Peu importe où tu navigues, tu finis toujours par te rendre dans la direction qu'il t'indique. Tout a une fin. Seule la Mort est immortelle. »

L'auteur va même jusqu'à insérer dans son scénario des contes simples mais prenants, qui sont comme une parenthèse apportant une pause dans ce récit très scientifique. Mais, malgré leur apparence anodine et inoffensive, il n'en demeure pas moins qu'ils sont essentiels à la suite de l'intrigue car ils dissimulent des informations vitales pour la survie de l'espèce humaine.

Cette critique ne serait pas complète si je n'abordais pas également les chroniques « hors du temps » qui entrecoupent régulièrement le récit. On ne connaitra l'auteur de ces textes qu'à la toute fin. Si elles sortent du cadre de l'intrigue, elles sont comme les mémoires d'un temps passé et enrichissent l'intrigue de nombreux détails passionnants.

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Cixin Liu a créé un monde complexe où les lois de la physique sont explorées avec beaucoup de poésie.
Les théories scientifiques sont peu présentes dans la première moitié du récit, ce qui permet de rentrer facilement dans la suite de l'intrigue.
Mais l'auteur prend soin par la suite, de vulgariser au maximum les concepts techniques et scientifiques pour les rendre accessibles à tous.

« Chaque cour figurait des paysages naturels différents : une prairie vert émeraude traversée par un ruisseau, un petit bois bordé par une source chantante, une plage de sable où venaient se jeter les vagues d'une eau pure… Ces paysages minuscules n'en étaient pas moins exquis : c'était comme un collier fait avec les plus belles perles de la Terre. Bénéficier de telles scènes à bord d'un vaisseau interstellaire suffisait à montrer le degré de luxe du Halo. »

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Pour conclure, j'ai rarement lu un auteur avec une intrigue aussi bien menée sur autant de pages. Je suis réellement admirative de la masse de connaissances que l'auteur a réussi à transmettre à ses lecteurs en les tenant en haleine sur autant de pages.
Une trilogie impressionnante et originale, à découvrir.

« Je n'ai pas grand-chose à ajouter, si ce n'est un avertissement : le moment où la vie a quitté les océans pour rejoindre la terre a marqué un jalon dans l'histoire de l'évolution, mais les poissons sortis de l'eau ont alors cessé d'être des poissons ; de la même manière, les hommes qui entrent dans l'espace cessent d'être des hommes. Je vous le dis, prenez garde lorsque vous voudrez vous envoler sans retour dans l'espace. le prix à payer est bien plus grand que tout ce que pouvez imaginer. »
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Dernier volet qui clôt cette trilogie grandiose.

Mon ressenti va être compliqué à exprimer !
Aussi, je préfère prévenir que je risque de dévoiler des éléments de l'intrigue…

Il m'aura fallu un bon mois aller au bout de ces 820 pages. C'est peut-être trop : les idées qui se bousculent dans mon esprit ne sont plus très nettes, et j'en ai perdu la moitié en route. Je ne pourrais même pas résumer ce pavé si je le voulais ! Et je ne peux pas dire que cette lecture fut laborieuse ou ennuyeuse. C'est tout le contraire, même : l'écriture ne présente aucune difficulté, le style est à la fois simple et rigoureux, les idées renversantes foisonnent et l'action ne manque pas. Mais, peut-être parce qu'il me manquait de l'émotion ou un fil conducteur précis, j'ai n'ai pu que lire par à-coups sans jamais vraiment rentrer dedans.


Après un second tome difficile, j'ai eu l'agréable surprise de voir l'auteur renouer avec une structuration bien plus avenante : les paragraphes sont nombreux, il y a souvent une alternance entre le récit principal et une sorte de chronique davantage distanciée, ce qui donne du rythme. Enfin, la narration est essentiellement chronologique, et elle est découpée en grandes parties (les ères), ce qui n'est pas du luxe compte tenu de la longueur du roman et de l'étalement des évènements dans le temps. Cerise sur le gâteau, il y a un sommaire très utile !


Sur les personnages :

Plus que dans les deux premiers tomes, on suit ici un personnage central : la jeune chercheuse Cheng Xin. À l'instar de Wang Miao dans le premier tome, Cheng Xin est un personnage typiquement neutre. Je n'aime pas beaucoup ce type de personnages. J'ai tendance à les voir comme des pseudopersonnages : des personnages qui n'agissent pas vraiment de leur propre chef, ou si peu, c'est pourquoi ils sont nécessairement entourés de personnages secondaires (les véritables protagonistes). Un moyen pratique pour focaliser la narration et ainsi la rendre plus simple à suivre. Mais ici la proximité n'aide pas spécialement à s'attacher au personnage principal, car l'auteur maintient une distanciation constante dans la narration, et zappe occasionnellement pour les personnages secondaires qu'il traite avec la même distanciation : ni plus ni moins.
Ces personnages secondaires sont plutôt réussis du reste. Variés, crédibles, extrêmes pour certains. Mais même avec eux j'ai eu du mal à partager leurs émotions du fait de la distanciation.

Le point fort des personnages est à mon avis leur background : une des spécialités, me semble-t-il, de l'auteur. Mais comme d'autres qualités que j'évoquerai après, je trouve que l'auteur en fait trop : après un prologue très intrigant et sympathique, les cent pages suivantes sont ainsi consacrées à construire le background de Cheng Xin et de Yun Tianming… J'ai moyennement apprécié. Ce gros background autour de Yun Tianming trouve sa justification dans la formidable séquence à rebondissements du « programme Escalier » qui vient juste après. Mais son dénouement est un tel fiasco que ma première réaction a été de penser « tout ça pour ça ? ». Alors oui, Yun Tianming va refaire parler de lui par la suite, mais cela on l'ignore la première moitié du roman !

Pour en terminer avec le personnage de Yun Tianming, j'ai une autre dent contre lui (le pauvre, comme si ses malheurs ne suffisaient pas !). Pas le personnage en tant que tel, mais plutôt sa fonction dans le roman. Avec le recul, j'ai trouvé que l'auteur s'en était surtout servi pour articuler certaines trames de l'histoire. Une variable d'ajustement (un peu comme Cheng Xin, quelque part). Ce qui m'a amené à penser cela, c'est la façon peu crédible, voire artificielle, dont il refait surface dans l'histoire à chaque fois. Et lorsqu'il le fait, c'est pour faire rebondir la trame principale, mais clairement elle aurait pu rebondir pareillement sans son aide. J'ai interprété ses courtes apparitions comme autant de justifications supplémentaires de l'investissement passé dans ce personnage au début du roman. Possible aussi que la romance qui l'unit avec Cheng Xin m'ait biaisé…

L'androïde Intellectra est l'autre personnage qui m'a interrogé. Autant sa face harmonieuse (le rituel du thé) que sa face guerrière façon samouraï m'ont fait penser à Kill Bill. Un personnage archétypal très convaincant, mais j'ai trouvé qu'il détonnait un peu trop dans cet univers. Aussi, ce personnage arrive un peu de nulle part. L'IA, on sait, mais j'aurais aimé plus d'explications sur la technologie qui a rendu possible un tel degré de perfection mécanique.


Une des forces de Liu Cixin est sans conteste son aisance à vulgariser les concepts scientifiques, même les plus pointus. Une compétence qui semble aller de soi dans le monde de la hard SF, mais qui n'est peut-être pas partagée par tant d'auteurs que ça. Mais personnellement je trouve que Liu Cixin en fait un peu trop. Trop de concepts : sur l'ensemble de la trilogie, je suis sûr que je pourrais extraire cinquante passages où l'auteur vulgarise un concept scientifique ou un phénomène physique à notre intention (même si la démonstration est souvent assez bien intégrée dans le scénario). Trop de longueurs : parfois, l'auteur fait traîner ces démonstrations ou ces descriptions inutilement. Exemples : l'ordinateur trisolarien dans le tome 1 (une porte logique suffisait) ; la destruction des trois premières rangées de vaisseaux par la gouttelette dans le tome 2 (une rangée ou deux suffisait) ; la bidimentionalisation des planètes du système solaire dans le tome 3 (deux ou trois suffisaient). Certes, certains de ces passages figurent parmi les plus époustouflants, mais la redondance m'a lassé et, finalement, un peu gâché le plaisir !


Dans La forêt sombre, l'auteur m'avait bluffé avec ses moments forts et ses formidables retournements de situations savamment distillés.
Dans La mort immortelle, on peut dire que l'auteur s'est lâché ! Un festival et un régal. Seul bémol, les coups de théâtre sont tellement nombreux que j'ai fini par développer une certaine intuition qui s'est souvent avérée juste…

Dans cette veine, il y a segment du roman (de mémoire je dirais le deuxième quart) où l'auteur s'est ingénué à faire ressortir toute l'irrationalité de l'opinion collective dans nos sociétés humaines. Comment la population peut-elle, du jour au lendemain, basculer d'une opinion unanimement partagée, d'une conviction tranchée, à l'opinion opposée ? Pour basculer à nouveau le jour d'après ?
Bien sûr, chaque fois l'auteur donne une explication au changement d'opinion, mais cela n'ôte en rien le sentiment d'extraordinaire versatilité de l'opinion collective.
Une versatilité de l'opinion publique sur les choix de société et les courants de pensée, mais aussi sur les trisolariens et même sur les hommes et femmes clés :
Ainsi, dans La forêt sombre, on pouvait déjà voir Luo Ji et Wang Miao, chacun dans leur trame respective, successivement érigés en sauveurs de l'humanité, puis déchus, puis encore érigés en sauveurs, et ainsi de suite…
Dans La mort immortelle, la girouette de l'opinion collective continue de plus belle et cette fois-ci c'est Cheng Xin qui en fait principalement les frais.


À côté de la société et son irrationalité, les individus tranchent par leur constance.
À ce propos, une chose que j'ai relevée m'a beaucoup amusé. J'ignore si c'est simplement le fruit du hasard, ou bien un choix conscient ou inconscient de l'auteur, mais chaque fois que le sort de l'humanité bascule dans un sens critique, c'est le fait d'une femme, et chaque fois que l'humanité est sauvée (au moins temporairement), c'est un homme qui s'illustre !
Ainsi, dans le tome 1, c'est Ye Wenjie qui précipite l'humanité dans l'ère de la Grande Crise. Dans le tome 2, Luo Ji sauve l'humanité et la fait entrer dans l'ère de la Disuasion. Dans le tome 3, Cheng Xin succède à Luo Ji comme porteur d'épée mais échoue sitôt nommée, faisant sauter la dernière défense de l'humanité face à l'envahisseur. Ensuite, un homme à nouveau qui, à bord de l'Espace Bleu, renverse la situation et lance l'ère de la Diffusion. Deux autres hommes agissent ensuite en servant les intérêts humains, Yun Tianming et Wade. Puis Cheng Xin fait arrêter Wade, ce qui à nouveau ôtera la meilleure chance de survie à l'humanité… À noter, dans le tome 2, Zhang Beihai joue un rôle secondaire mais déterminant pour l'humanité et je crois, de mémoire, que c'est une femme (Dongfang Yanxu) qui lui met des bâtons dans les roues !
De là à penser que confier les pleins pouvoirs à une femme constitue en soi un crime contre l'humanité, il n'y a qu'un pas…
J'ai forcé le trait : en réalité, ces femmes n'ont pas de « mauvaises » intentions en soi. La vérité est bien plus subtile et l'auteur a été fort à ce jeu. Elles agissent ainsi soit parce qu'elles estiment que l'humanité est devenue un cancer (Ye Wenjie), soit parce que sauver la planète est plus important que sauver l'humanité (Cheng Xin), soit pour des questions d'éthique (Dongfang Yanxu et Cheng Xin à la fin).
Au-delà de ces raisons diverses, il y a cette idée générale qui transparait, comme quoi la nature profonde des femmes les ferait agir en premier lieu par amour pour le vivant. Une prédisposition qui, à un certain point, entrerait en conflit avec la nature profonde des hommes qui, elle, serait d'assurer la survie de l'espèce humaine. La virilité trouve ici une justification profonde. Elle valorise et légitime les hommes dans un contexte de guerre totale où la moindre faiblesse équivaut à la disparition de l'humanité. Face un tel enjeu, toute considération éthique ou morale doit s'effacer devant le seul impératif de la survie. Si vous avez lu La stratégie Ender, vous reconnaîtrez facilement ce thème...
J'ignore si l'auteur a voulu ce clash hommes/femmes, mais je suis sûr qu'il a cherché à faire ressortir l'opposition entre la stratégie guerrière « quoi qu'il en coûte » et les considérations éthiques et morales. le point culminant étant la passation de pouvoir entre les deux porte épées et ses conséquences. Je me suis vraiment régalé sur ce passage et sa chute, que l'auteur avait savamment préparée ! Mais même si, à ce moment, la gifle est cinglante, je crois que l'auteur ne tranche pas : il laisse vivre les deux visions possibles, qui sont explicitées à la fin à travers le jugement sévère de Luo Ji (son regard noir) même s'il reste courtois, et les paroles réconfortantes du dernier personnage à côtoyer Cheng Xin.


S'il fallait retenir un thème pour l'ensemble de la trilogie, je choisirais celui qui donne son nom au deuxième tome : la forêt sombre. En soi, le travail de Liu Cixin pour développer (à sa manière) une intrigue magistrale autour d'une des théories les plus mystérieuses de l'Astrobiologie est bluffant. Car ce thème est bien central tout au long de trois tomes, et pas seulement dans le deuxième.

Le sense of wonder est bien présent dans cette trilogie, et monte en puissance à chaque étape. Aux modestes mais invincibles intellectrons du tome 1 succèdent les terrifiantes gouttelettes du tome 2, puis les univers bidimensionnels et quadridimensionnels s'invitent dans la bataille dans ce dernier tome, pour un finish en apothéose.
L'auteur présente et illustre un nombre impressionnant de concepts de l'astrophysique comme les trous noirs, les ondes gravitationnelles, la théorie des cordes…
L'un des thèmes récurrents est celui des dimensions de l'univers. C'était un pari pour le moins risqué pour roman de science-fiction grand public, vu la complexité de la théorie sous-jacente. J'ai trouvé que Liu Cixin s'en était tiré plus qu'honorablement. Et le choix de se focaliser sur les dimensions 2 et 3 dans ce dernier tome était bien vu, pour ne pas perdre les lecteurs sur la fin.


Le dénouement de ce roman ne m'a pas ébloui. J'ai trouvé cela dommage : après tant de coups de théâtre, ne pas proposer de chute digne de ce nom… Certes, je vois que l'auteur a fait le choix de partir sur une extrapolation vertigineuse, exponentielle de l'avenir de l'Univers, rien que ça ! Quelque part cette fin est très logique avec la thématique des dimensions de l'Univers développée tout au long de la trilogie. Mais bon, cette fin m'a peu touché.


Par rapport au précédent, ce dernier tome m'a apporté plus de satisfaction quant aux idées développées, et sa structuration s'est nettement améliorée.
Pour autant, mon ressenti quant à la narration froide et uniforme s'est clairement confirmé. Un ton égal, parfaitement égal, neutre et distancié. Une écriture irréprochable et parfaitement maîtrisée et, paradoxalement, l'absence de projection ou d'émotion.
Il y a à mon sens trop de digressions inutiles et de redondances.
La structure n'est pas facile à appréhender : non seulement elle est hétérogène d'un tome à l'autre, mais aussi à l'intérieur de chaque tome.
Le fil conducteur n'est pas non toujours très clair.
Enfin, le choix d'étaler le récit sur une période si longue, non linéaire, est ambitieux mais ne facilite pas l'attachement aux personnages dont la trame se voit reconduite (ou non) à l'ère suivante selon les contraintes scénaristiques de l'auteur, grâce à l'hibernation (décidément une trouvaille bien pratique…).


Néanmoins, je salue la performance !
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Enfant j'aimais m'accouder au balcon de ma tour HLM une fois la nuit tombée. Je regardais la ville illuminée, les voitures qui serpentaient, les passants tels des fourmis, 14 étages plus bas. Mon père me rejoignait et souvent nous levions les yeux vers le ciel piqué d'étoiles, une ouverture à l'infini revigorante lorsqu'on vit dans une petite cage perchée à 5O mètres du sol. Nous pouvions y rester des heures. Nous évoquions des théories d'astrophysique vulgarisées par Hubert Reeves lors des nuits des étoiles, L Univers est-il en expansion infinie ou va t-il au contraire s'effondrer sous l'effet de sa propre masse? Ce point lumineux que nous suivons des yeux tous les deux depuis quelques minutes, qui parfois s'arrête, semble changer de couleur...Est-ce un satellite, un avion, ou un vaisseau extra-terrestre? Voilà ce qui nous faisait fantasmer par-dessus tout, en bons fans de "rencontre du troisième type" de Spielberg, être témoins de leur passage!!
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Peut-être aussi parce qu'elle se lie directement à mon enfance et à des souvenirs partagés avec mon père, cette fascination pour une possible forme de vie extra-terrestre ne m'a jamais quittée. Mon goût pour la science-fiction non plus. Et quand un livre est capable d'ouvrir mon esprit à une nouvelle façon d'appréhender le sujet rebattu mille fois de possibles civilisations extra-terrestres je ne peux qu'applaudir son auteur. Je regardais il y a peu un documentaire sur K2-18 b, une planète potentiellement habitable à 124 années-lumières de la Terre, et alors qu'il était question du possible développement de vie sur cette planète, ma curiosité enthousiaste laissa une place à la méfiance, est-il vraiment raisonnable de chercher si E.T est là? Car j'ai repensé à "La forêt sombre" le deuxième tome de cette mémorable trilogie. Cette méfiance n'assombrit pas mon enthousiasme, elle l'enrichit. Alors Liu Cixin, je vous applaudis. Ce n'est pas simple de faire rentrer de nouvelles réactions dans ma petite tête dure. J'ai aimé le tome 1 "le problème à trois corps" véritable OLNI si singulier, patchwork assemblé avec génie. J'ai été déçue par le tome 2 qui ne m'a pas amenée où je l'espérais. le tome 3...m'a ramenée au 14ème étage, le regard au loin et l'esprit ébahi perché aux confins de l'Univers.
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le tome 3 est une apothéose de la trilogie en ce sens qu'il fait magistralement le lien entre les 3 livres et que son style très dynamique va d'inattendus rebondissements en surprises qui font remonter le sourcil (et se le gratter bien souvent mais à vitesse luminique basse, comprenez un grattage de réflexion et non un grattage nerveux.) Lui Cixin a tout de même eu la bonté, au milieu de concepts astrophysiques ardus, de créer une sorte de fil d'Ariane "les chroniques hors-temps", des chapitres intercalés avec ceux de l'action du livre, où un narrateur mystérieux établit les mémoires de la civilisation terrienne depuis l'annonce de l'arrivée des trisolariens. Ces chapitres ont le double intérêt d'apporter de la clarté sur des notions qui dépassent facilement les possibilités de compréhension d'une petite lectrice en attente de voir des E.T depuis son balcon, et de lier le tissu des différents tomes entres eux: le 2 et le 3 plus particulièrement, car l'on revient largement sur Luo Ji et le projet colmateur par exemple, ainsi certaines choses que je n'avais pas bien compris au tome 2 (en quoi consiste exactement la Dissuasion?) sont devenues limpides (ou presque).
Je vois en fait un troisième intérêt à ces chapitres, ils tempèrent l'action. Autant j'avais pu m'endormir sur des descriptions techniques de vaisseaux dans le tome 2, autant dans le 3 je ne me suis jamais assoupie. S'assoupir eût pu être fatal, dans ce tome où les siècles s'écoulent comme des secondes...La fin se passant à l'âge ahurissant du 18 mille 907 ième siècle de notre ère. Des bonds dans le temps ébouriffants, époustouflants, et des bonds dans l'espace à la limite de l'imaginable "Ils perdirent toute perception temporelle" dit Cixin des personnages à un moment très particuliers de leur évolution. Comme Cheng Xin le personnage principal il faut parfois accepter d'être "le grain de sable soufflé à sa guise par une brise céleste" nommée Liu Cixin...Juste ébahis par la force de certaines images, certains concepts, de ceux qui ont trait au destin de l'Univers, ses rouages et desseins.
Non content de nous agiter les neurones dans l'espace-temps, Liu Cixin s'emploie à briser toute direction attendue de son intrigue. Je n'ai jamais vu venir le chapitre suivant (crampe de sourcil, à force). L'auteur s'impose dans ce tome comme le maître de la dernière phrase de chapitre qui fait partir le suivant à 90 degrés de ce que l'on s'imaginait.
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Mais alors, elle est où la cinquième étoile?? J'aime tellement de choses chez Liu Cixin. "Terre errante" synthétise tout ce que j'aime chez lui, c'est une fable et une fable n'a pas besoin que tous les barreaux de l'échelle soient parfaitement alignés pour grimper aux étoiles.
Mais cette trilogie n'est pas une fable, et parfois certains barreaux m'ont manqué dans le tome 2 comme dans le 3, ou certains de biais ont freiné mon ascension. Je fais référence aux hasards incroyables à des situations frisant l'incohérence malgré une imagination hors du commun. Une oeuvre, sorte de colosse dans ce qu'elle dégage de puissance, aux pieds d'argile parfois lorsqu'on chemine le long des rouages de l'intrigue. Comme je n'arrive toujours pas à saisir le choix de Luo Ji en colmateur au tome 2, je trouve trop de hasards heureux à la destinée de Yan Tianming dans ce tome là, par exemple.
Et puis pour redescendre tout à fait sur Terre, maintenant, à regret, il y a un côté misogyne et nationaliste chez cet auteur que j'aime cependant, mais qui m'a gênée dans ce tome là, bien davantage que dans les autres.
Enfin, si mes cordes quantiques ont vibré parfois même un peu trop fort pour mon cerveau, la corde émotionnelle est quasi restée de marbre...Voilà un gros bémol, tout de même.
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De Constantinople en 1453 à… plusieurs futurs…
Une brêve histoire de l'humanité

Liu Cixin a le génie d'inventer des solutions et de les balayer d'un revers de manche de façon très réaliste.
L'ère de la Dissuasion est déjà bien entamée à notre échelle de temps.
315 ans après la première communication de Ye Wenjie avec la civilisation trisolarienne, les relations sont maintenant tournées vers l'échange mutuel de savoirs et de tentatives de compréhension culturelle.
Le lecteur assistera ainsi aux actes les plus déconcertants : un cerveau humain envoyé en cadeau aux Trisolariens, une étoile offerte par un homme à une femme, un porte-épée fatigué, une nouvelle icône de la ferveur humaine et surtout une humanité qui a presque tout oublié des enjeux du face-à-face entre les deux civilisations.

Dans ce dernier opus, Liu Cixin continue ses explorations de la société humaine et de ses possibles.
Du conflit avec les trisoloriens, l'auteur nous présente une sorte de guerre froide où dissuadants et dissuadés s'affrontent en silence, chacun guettant chez l'autre le moindre signe d'action, l'affrontement direct ne pouvant se terminer que par la destruction des deux adversaires.
L'auteur compare l'ère de la Dissuassion avec une forme de totalitarisme : sous le joug de la science et de la technologie, les Colmateurs et le Porte-épée représentent une forme de totalitarisme extrême. Ils détiennent le pouvoir de vie ou de mort et toute l'humanité s'en remet exclusivement à eux.
L'évolution occupe également une place importante dans cette oeuvre. L'auteur fait en effet souvent référence à la parabole du poisson qui, ayant quitté l'eau pour la terre se voit totalement métamorphosé. de même, l'être humain lâché dans l'espace sans possibilité de retour se transforme également. L'auteur en profite pour, une fois de plus, dénoncer les limites de la démocratie.
Face à de nouvelles menaces, l'humanité s'adapte. Encore et encore. Et ces différentes adaptations amènent Liu Cixin a de nombreuses et profondes métaphores. Des contes font même l'apparition dans ce récit et le talent littéraire de l'auteur se révèle dans toute sa poésie. Pour garantir sa survie, l'humanité devra décrypter le sens de ces métaphores et trouver une façon de l'appliquer.
J'insiste sur le côté poétique de l'ouvrage, notamment dans le destin ultime de notre système solaire et le besoin de l'humanité de laisser des traces. Cette question est d'ailleurs traitée avec beaucoup d'intelligence et de poésie par Liu Cixin.
Bien que moins technique que ses prédécesseurs, le récit aborde également le développement des technologies par le prisme de l'humanité dans l'espace. La course technologique pour échapper à une menace invisible (quand frappera-t-elle?) amène les humains à d'importantes innovations. Ainsi, des cités spatiales très opérantes dans lesquelles des humains peuvent vivre avec biocosme adapté font leur apparition ainsi que des nouveaux moyens de propulsion pour les vaisseaux stellaires, par courbure de l'espace temps et tendre vers, voire dépasser, la vitesse de la lumière.
Chaque solution apportée est ainsi analysée dans ses avantages et ses limites.
Le point central du roman, outre sa dimension humaniste, reste l'exploration des dimensions spatiales et là je vous avoue que, pour comprendre l'incompréhensible, j'ai du piocher dans d'autres sources. Ne serait-ce que tenter de comprendre la structure physique en quatre dimensions m'a retourné le cerveau. L'auteur se penche aussi d'autres théories scientifiques complexes comme les ondes gravitationnelles, les trous noirs, le Big Bang.

En plus de 800 pages, Liu Cixin retrace une brève histoire du futur de l'humanité avec beaucoup de sensibilité et de poésie. A ce jour, les trois opus du Problème à Trois Corps demeurent l'un des meilleurs récits de science-fiction que j'ai pu lire même si la fin m'a laissée un léger goût d'amertume.
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Pourquoi un meurtrier était-il passible de peine capitale ? Réponse : parce qu’il avait tué. Mais ce n’est qu’une réponse parmi d’autres. On pourrait aussi répondre : parce qu’il avait tué trop peu. Le meurtre d’un individu vous valait la peine de mort, et c’était la même chose si vous en tuiez deux, ou des dizaines. Tuez des milliers, et vous étiez condamné à des milliers de sentences capitales. Plus encore, des centaines de milliers ? Bien entendu, encore la peine capitale. Mais pour ceux qui connaissent un peu l’histoire, la réponse devient maintenant moins évidente… Et en allant encore plus loin : si le meurtrier tuait des millions de gens ? Eh bien, il n’était pas condamné à mort, pas même puni. Si vous refusez de me croire, vous n’avez qu’à relire vos manuels d’histoire : ces criminels à l’origine de la mort de millions de gens étaient appelés héros ou grands hommes ! Et si le meurtrier détruisait un monde entier, ôtant d’un seul coup la vie de tous ses habitants ? Eh bien, on faisait de lui le sauveur du monde !
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.. des débris jaillissaient dans les airs et, avant qu’ils ne retombent, soldats et citoyens se ruaient vers les ouvertures créées par les projectiles telle une colonie de fourmis vaillantes sous une averse de poussière, s’appliquant à colmater les brèches à l’aide de briques et de morceaux de charpente arrachés à d’autres bâtiments de la cité, de sacs en lin bourrés de terre et de précieux tapis arabes… Il était même en mesure de se représenter les grains de poussière imprégnant l’atmosphère du crépuscule et flottant chaotiquement vers le cœur de la ville pour recouvrir peu à peu tout Constantinople sous un linceul d’or…
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_ La vie a toujours été le résultat de plusieurs facteurs de chance. Cela a été le cas sur Terre dans le passé et c'est la même règle partout ailleurs dans notre Univers cruel. Mais je ne sais à partir de quand, l'humanité s'est laissée bercer par l'illusion que la vie était un droit inaliénable. C'est la raison fondamentale de votre échec.
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Intellectra invita Cheng Xin et AA à s’asseoir en tailleur sur le confortable tatami, puis elle s’assit à son tour, avec grâce. Avec méthode, elle sortit un à un les accessoires à thé et les plaça devant elle.
- Il va falloir être patientes. Nous allons devoir attendre deux heures avant de boire la première gorgée de thé, chuchota AA à l’oreille de Cheng Xin.
Intellectra sortit un linge de soie blanc de son kimono et commença à essuyer des ustensiles en apparence pourtant impeccables. Dans un ordre précis, elle essuya une longue louche au manche en bambou, puis des bols en porcelaine et en laiton. Elle puisa ensuite de l’eau claire dans un récipient en porcelaine, qu’elle versa avec la louche dans une théière mise à chauffer au-dessus d’un magnifique brasero en bronze. Elle prit ensuite quelques mesures de matcha et les versa dans les bols, avant de remuer lentement avec un fouet en bambou… Ses gestes étaient lents, délicats, et elle les répéta plusieurs fois. L’essuyage des accessoires à lui seul prit pas moins de vingt minutes. De toute évidence, aux yeux d’Intellectra, la signification rituelle de ces mouvements comptait davantage que leur utilité.
Cheng Xin ne ressentait néanmoins aucun ennui. Les gestes gracieux et aériens d’Intellectra avaient sur elle un effet obnubilant, hypnotisant. Des petites bouffées de brise fraîche entraient de temps en temps dans la pièce, et c’était elles qui paraissaient animer les bras lisses comme le jade d’Intellectra. Ce qu’effleuraient ses mains fines ne semblait pas être des accessoires pour le thé, mais quelque chose de beaucoup plus doux : de la soie, de la brume, ou bien… du temps. Oui, elle caressait le temps et, dans ses mains, celui-ci devenait souple, satiné, il glissait avec la même lenteur que les volutes de nuage au milieu du bosquet de bambous. C’était un autre temps et dans ce temps, l’histoire écrite par le feu et le sang s’était évanouie, les considérations de la vie terrestre n’étaient plus que des chimères. Seuls demeuraient les nuages blancs, les bosquets de bambous et le parfum du thé. Harmonie, respect, pureté et sérénité, les quatre principes au centre d’une authentique cérémonie du thé japonaise.
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… Le blanc commençait à se dissiper. Une nouvelle fois, la croûte de quarante-cinq kilomètres d’épaisseur réaffirmait sa lourde présence : un temps sédimentaire. La strate la plus basse, celle juste au-dessus de la station de contrôle du système de dissuasion, s’était peut-être déposée quatre milliards d’années plus tôt. La Terre, elle, venait alors de fêter ses cinq cent millions d’années d’existence. L’océan trouble du monde était encore un nourrisson et sa surface était continuellement frappée par des éclairs ; à cette époque, le Soleil n’était qu’une boule de lumière duveteuse au milieu d’un ciel brumeux qui projetait ses rayons rouge sombre sur les eaux ; entre de courts intervalles, d’autres boules de lumière traversaient le ciel et venaient sombrer dans la mer, laissant derrière elles de longues queues enflammées ; les tsunamis soulevés par ces météorites jetaient leurs vagues énormes sur des continents encore nappés de lave ; des nuages de vapeur, nés de la rencontre de l’eau et du feu, gorgeaient le ciel et rendaient le Soleil encore plus sombre… Simultanément à ces scènes grandioses et infernales, de petites histoires commençaient à mijoter discrètement dans les eaux sibyllines, des molécules organiques étaient en train d’éclore entre les éclairs et les rayonnements cosmiques, elles se percutaient, fusionnaient, se décomposaient. C’était un jeu de blocs prodigieusement lent qui se prolongerait cinq cent millions d’années durant, jusqu’à ce qu’enfin une chaîne de molécules se divise en tremblant, reproduisant une deuxième chaîne identique, puis que chacune de leur côté, elles absorbent les molécules alentour, avant de se reproduire encore… La probabilité de l’apparition de cette chaîne autorépliquante avait été aussi infime que si une tornade avait soulevé une pile de déchets mécaniques et déposé après son passage une Mercedes Benz entièrement assemblée.
Mais c’était arrivé et ainsi avait commencé un voyage long de trois milliards et cinq cent millions d’années.
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Le Problème à 3 corps | Bande-annonce finale VF| Netflix France
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