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Shirine Melikoff (Traducteur)
EAN : 9782070775668
400 pages
Gallimard (23/02/2006)
4.16/5   22 notes
Résumé :
Aux abords du cimetière, un peu à l'extérieur de ce bourg anatolien où elle a grandi, la jeune Meryem est retrouvée en sang, dans un état de grande confusion.

Meryem, dont l'oncle est un dignitaire religieux important, a visiblement été victime d'un viol. Elle est incapable de désigner son agresseur, mais cela importe peu: l'honneur de la famille est souillé, et la jeune fille est enfermée. Irfan Kurudal appartient à la haute société stanbouliote. >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (7) Voir plus Ajouter une critique
Un excellent tableau des classes sociales dans la Turquie contemporaine, où l'on note, à travers les 3 personnages emblématiques, que la principale caractéristique de ce cadre sociologique est l'absence d'une classe moyenne (de plus en plus brutale depuis les années 80-90), et que la problématique d'envergure est, pour chacun, son rapport à la tradition et (éventuellement) à la modernité occidentale.
Je suis conditionné, dans cette note ainsi que dans ma réflexion sur ce roman depuis une semaine, par l'échange avec Amiread1 qui m'a beaucoup servi et auquel je juge utile de faire référence. Ainsi, je me suis rendu compte que, tout au long de ma lecture, je recherchais inconsciemment une modification, une évolution des 3 personnages, que je pensais avoir trouvée de la façon la plus véridique chez Djemal. Mais je me trompais. Force est d'arriver à la conclusion que ce roman, après une série de péripéties et d'opportunités offertes aux personnages pour "évoluer", a pris le parti de conclure qu'aucune modification n'est possible. Et là est la thèse qui fait la grandeur du roman, même si j'espérais en trouver une autre... En fin de compte, les 3 personnages sont condamnés à rester prisonniers de leur atavisme... et sans doute la Turquie aussi. (Livaneli dixit, et je m'y associe, tout compte fait). Ainsi, Irfan retournera à sa vacuité d'universitaire poltron, médiocre et provincial (smyrniote, pas plus istanbouliote qu'américain ou européen, cf. p. 385-386), juste débarrassé de sa patine "sosyetik" dit-on en turc pour indiquer ce verni de haute société hyper-occidentalisée qu'était celui de sa femme; Meryem, après l'ébriété de la robe blanche, s'émeut pour le shalvar retrouvé, pour le gözleme, et se dirige à grands pas vers une vie de famille qui reproduira intégralement celle de son village de l'Est, avec toute la cruauté dont celui-ci est capable; Djemal, ma foi, reste dans l'indétermination qui est la sienne: il n'a effectivement pas surmonté la haine pour sa cousine, ni ses complexes envers les "élites occidentalisées" (v. la montée ultérieure du parti AKP aux dernières élections), il n'a pas dépassé son hyper-nationalisme (si inquiétant dans la Turquie d'aujourd'hui), ni un islam superstitieux "de village"; peu importe s'il retourne "au pays" (en turc "memleket" indique aussi bien le pays-nation que le pays-village), ou s'il vit à Istanbul la vie du déraciné à l'idéologie villageoise ne lui donnant pas les moyens cognitifs de comprendre le monde qui l'entoure.
Je ne suis pas d'accord sur l'idée que Livaneli s'identifierait avec Le Professeur; au contraire, j'observe que l'auteur, comme la plupart des authentiques intellectuels turcs, est extrêmement critique à l'égard du creux et de la fausseté du monde de papier glacé de l'élite turque actuelle: certes, Irfan a des moments de lucidité dans son nihilisme, lorsqu'il essaie de le fuir: les pages sur la mythologie païenne des héros de la presse people et celles sur l'élite républicaine n'ayant pas eu une aristocratie à imiter. Je trouve que, si identification il y a, c'est sans aucun doute avec le personnage de l'ambassadeur (d'autant plus que Livaneli a lui aussi le titre d'ambassadeur près l'Unesco), dont le dépit et la détresse finale montrent bien l'importance dans l'économie du roman, même s'il n'intervient que vers la fin. Solitude et réclusion volontaire (dans un paradis de la nature, si possible); dépit et détresse pour l'impossible dépassement de la "folie" du pays: voici véritablement la position des intellectuels turcs d'aujourd'hui...
Quelques autres idées éparses et disjointes:
- sans doute ce qui a contribué à me faire rechercher si longtemps en vain un aboutissement "optimiste" de la trame, c'est le titre. "Mutluluk" c'est-à-dire tout simplement "Bonheur" dans l'original turc, "Délivrance" choisi par l'habile Shirin Melikoff (chapeau bas! pour sa traduction), "Bliss" c'est-à-dire au sens propre "Béatitude" en anglais. Que de titres divers (avec ou sans connotations religieuses) pour un aboutissement qui s'avère être leur exact opposé...!
- ne pas manquer les excellentes références musicales se trouvant ça et là au fil des pages, en particulier l'analyse de la musique "arabesque" placée dans son contexte sociologique; sachant que Livaneli a aussi la "casquette" (pas aussi insolite qu'on pourrait le présumer) de musicien gauchiste;
- je me doutais bien que la référence au projet de recherche universitaire sur les Bogomiles du Professeur (v. p. 239-240 et passim) n'était qu'un clin d'oeil à quelque chose de réel; j'ai eu la chance inouïe de tomber totalement par hasard, dimanche dernier, sur ce "quelque chose" (qui est presque introuvable: un miracle, dirait Meryem): c'est l'essai de Mine G. Kirikkanat (Saulnier) et Jacques Jeulin intitulé L'Autre nom de la rose (ISBN 2-84608-006-2); sachant la proximité d'âge, d'idéaux et de milieu entre Zülfü et Mine G., il est probable qu'il s'agisse même d'un private joke (car enfin, Le Professeur n'a pas bonne presse...!)
- qu'il me soit permis de juger que ce roman de Livaneli, du point de vue de la compréhension de la société turque contemporaine (je ne parle que de ce point de vue) est nettement supérieur aux oeuvres (surtout récentes) d'Orhan Pamuk, car moins "cérébral", et sans doute moins "orienté" vers un lectorat non turc.
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Belle évocation de la Turquie actuelle que je finis justement alors qu'elle est secouée par une grave crise politique. Les difficultés évoquées dans ce livre de 2002 permettent de mettre un éclairage sur la crise actuelle. Le regard porté par l'auteur sur son pays est à la fois cynique, désabusé mais aussi tendre.

Les histoires croisés des trois principaux protagonistes permettent de brosser un tableau assez complet de la société turque et donne un relief particulier à la narration.

Certaines facilités scénaristiques et les passages de sociologie parfois en marge du récit n'altèrent pas le plaisir de la lecture. Le final est particulièrement réussi par une trouvaille de narration qui bouleverse la chronologie.
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Trois personnages principaux se croisent dans ce roman contemporain aux nombreux questionnements sur la société turque, le poids des traditions, sa culture, le combat des femmes, des minorités, ses multiples contradictions, apportant des éclaircissements au lecteur étranger, mais ouvrant également le débat pour les lecteurs turcs.
Meryem, orpheline de mère, élevée par sa tante, est violée par son oncle, cheikh du village. Horrifiée, elle refuse de délivrer le nom du coupable et son destin est scellé, elle doit disparaître, comme la plupart de ces filles "souillées" qui vivent dans des villages reculés où l'obscurantisme a sévit.
Son cousin Djemal termine son service militaire qu'il a effectué dans les montagnes du-Sud-Est de la Turquie face aux partisans du PKK, il revient hagard de ces deux années de combat qui l'ont opposé à son ancien compagnon d'enfance. C'est lui qui est chargé d'emmener Meryem. le sens de cette justice lui échappe, mais il a appris à obéir à son père, dignitaire religieux.
Irfan Kurudal est est un professeur d'université renommé, malgré les dénonciations de plagiat. Il est issu de la classe sociale pauvre, mais a réussi à se hisser dans la haute société, grâce à ses études et au satut social de sa femme. Lassé par sa vie luxueuse mais monotone, taraudé par des angoisses existentielles et des insomnies récurrentes, il décide de larguer les amarres et de prendre la mer, trente ans après son ami Hidayet.
Les différences culturelles entre la campagne et la ville sont énormes, mais à Ankara et Istanbul se battent aussi des minorités pour leur reconnaissance et leur liberté. Engagé dans le combat pour les Droits de l'Homme, l'auteur plaide pour la tolérance religieuse, les droits de la femme. Pour lui, le port du voile n'est qu'une manifestation supplémentaire contre le pouvoir établi. Trop souvent, au nom de l'Islam, qui est une religion tolérante, le pouvoir politique et religieux a détourné le sens des versets du Coran et brouillé les esprits pour faire oublier qu'ils délivrent un message de paix et de non-violence. L'ignorance, avant tout, est la grande fautive des excès et contamine tous les milieux, il fustige ainsi l'inculture de la société toute entière, y compris celle des classes aisées.
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Zülfü Livanelli représente et appartient au "génie turc". Piri Reis, l'inconnu de beaucoup, a découvert le froid Antarctique, et lui, la chaleur humaine qui peut faire chanter ensemble un turc et un grec en pleine guerre froide entre leurs deux pays...
Découvrez ses livres et sa musique: on a le coeur emporté sur une vague...
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L'histoire poignante d'une jeune fille turque dans la société d'aujourd'hui. La condition de la femme, le sens de la vie, l'importance des rencontres,... les différents thèmes abordés ne laissent pas indifférent.
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Citations et extraits (8) Voir plus Ajouter une citation
En fait, les mois passés dans ces montagnes avaient altéré leur esprit et les avaient endurcis. Tout comme la blessure provoquée le premier jour par une chaussure trop serrée ne se ressent plus avec l'habitude et le pied devenu calleux, les soldats s'étaient faits à une autre vie, rude, âpre et impitoyable.
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Seher comprenait mieux à présent pourquoi dans son milieu alevi on ne faisait confiance à personne, on préférait les mariages endogènes aux mariages exogènes. A cette époque cela pouvait paraître trèsprimitif, mais des siècles de massacres et d'oppression les avaient obligés à vivre en milieu clos et à épouser leur parentèle. Les jeunes alevis comme Ali Riza se détruisaient à présent ainsi ; un bandeau rouge noué autour de la tête, ils allaient vers la mort.
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Le peuple turc faisait grand cas de la circoncision qu'il associait à la notion de propreté. Irfan, lui, pensait que ce traumatisme était lié à la contradiction entre l'adoration et la répulsion de la femme, inhérent au style de vie du mâle turc.
Les hommes turcs pensaient que la circoncision les protégeait du sida. Aucun ne prit de précautions en couchant avec les filles arrivées par milliers de Russie, d'abord sur les rives de la mer Noire, puis envahissant les grandes villes, notamment Istanbul et les villes côtières comme Antalya. Le fait d'être circoncis les immunisait.
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Hé, cela n'est pas facile de passer en l'espace de cinquante à soixante ans de l'époque ottomane, avec quatre femmes et une foule de concubines, à la monogamie. Les hommes ont donc été incités à trouver ces solutions. De toute façon, grâce à la circoncision et au citron pressé, personne ne craint plus le sida.
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Avant de sombrer dans le sommeil, Meryem dit: «Bibi, pourquoi les coqs ne chantent-ils plus ?
- Les coqs chantent toujours, répondit Bibi, mais certains les entendent, les autres non !
- Moi, je ne les entends plus !» dit Meryam.
Et Gulizar conclut: «C'est que tu ne veux pas que vienne le matin.»
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