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Critique de Nat_85


C'est le second roman d' Anaïs LLOBET. » Des hommes couleur de ciel « est le récit de la douleur de l'exil, publié aux éditions de l'Observatoire en ce début d'année 2019.
Anaïs Llobet est journaliste. En poste à Moscou pendant cinq ans, elle a suivi l'actualité russe et effectué plusieurs séjours en Tchétchénie, où elle a couvert notamment la persécution d'homosexuels par le pouvoir local.
La Haye – Pays-Bas – 2017
L'innommable vient de se produire. le pays est sous le choc. Un attentat vient d'avoir lieu au sein d'un lycée.
p. 11 : » Pendant un instant, Hendrik ne put détacher son regard du téléphone. Les notifications s'enchaînent. Un attentat. À La Haye, sa ville. Il se prit la tête entre les mains. Une bombe. Dans le lycée où travaillait Alissa. «
Mais ce que Hendrik ne sait pas, c'est que Alissa, sa fiancée, a pris le nom d'Alice à son arrivée en France. Elle n'est pas d'origine russe, comme elle le prétend. Elle est tchétchène. Elle est Alissa Zoubaïeva.
p. 86 : » Mais Hendrik ne savait pas qu'Alice s'appelait Alissa, qu'elle venait d'une petite enclave saignée à blanc par deux guerres. Avec lui, elle était hollandaise, d'origine russe. «
Vingt-deux enfants tués et deux professeurs. La ville s'est arrêtée. Ses habitants anéantis par la douleur.
p. 17 : » Les Pays-Bas avaient fermé leurs portes, ils avaient barricadé leurs fenêtres. le coeur des gens s'était glacé malgré la chaleur. On avait tué leurs enfants. «
L'auteur de cet acte est un lycéen, scolarisé dans ce même lycée. En apprenant qu'il est d'origine tchétchène, Alissa fait immédiatement le rapprochement : Kirem Akhmaïev. Ils partageaient la même origine, même si Alissa le cachait. Malgré ses airs de tolérance et d'ouverture, les Pays-Bas était comme tous les pays européens depuis les attentats terroristes perpétrés par des islamistes radicaux : méfiants et suspicieux envers toute la communauté musulmane.
p. 25 : » C'était un enfant étrange, la copie inversée de son frère, Oumar, qu'elle avait eu en cours deux ans auparavant. Ils avaient beau se ressembler comme deux gouttes d'eau, leurs personnalités étaient diamétralement opposées. Autant son frère était solaire, affectueux, toujours prêt à participer et à distribuer les copies, autant Kirem se faisait très vite oublier, et détester. «
Professeure de russe, Alissa est rapidement interrogée par les autorités, comme traductrice d'une part, puis suspectée de ne pas avoir décelé les projets de son élève Kirem en ne signalant pas son comportement étrange.
Oumar est arrêté devant les yeux de son nouveau petit ami, Alex, alors qu'ils partagent innocemment un café en terrasse. Alex est impuissant devant cette arrestation musclée. Il ne comprend pas pourquoi les forces de l'ordre l'appellent Oumar. Il s'est présenté à lui sous le nom d'Adam, d'origine jordanienne.
En salle d'interrogatoire il reconnait son ancienne professeure de russe : Madame Zoubaïeva. Elle leur sert d'interprète. Mais comment leur expliquer qu'il est innocent ? Que ce n'est pas lui qui est à l'origine de cet acte atroce ?
p. 56 : » Il pourrait leur dire qu'il a un alibi : cette main sous la table. Mais s'il parle de l'homme avec qui il a bu un café, il risque plus que des années perdues dans une cellule étouffante. La honte pour toujours, la mort à coup sûr. «
Lorsque l'on est un « homme couleur de ciel » en Tchétchénie, on risque sa vie. C'est pourquoi leur mère, Taïssa, a préféré s'exiler en Europe, pour protéger son fils. Maltraité depuis son plus jeune âge par son cousin Makhmoud, Oumar devait quitter le pays, pour vivre. Mais son jeune frère est resté des années sous l'influence de ce cousin violent.
p. 141 : » Kirem disait souvent à son frère :
-Oumar, tu ne peux pas comprendre Makhmoud. Tu n'as pas vécu la même chose que nous. Tu n'as pas connu l'injustice de l'occupation russe, la brutalité des milices du nouveau président tchétchène. Tu n'as pas vu nos mosquées pilonnées, tu ne vois pas les bombes qui continuent à tomber sur nos frères syriens, tu n'entends pas leurs hurlements. Non, tu ne sais rien. Alors tais-toi et écoute Makhmoud. «
Le lecteur est immédiatement plongé dans l'horreur, dès les premières lignes. Anaïs Llobet fait évoluer ses personnages de telle sorte qu'une ambiguïté s'installe. La responsabilité de cet acte est multiple, et c'est qui donne toute la puissance au récit. L'écriture journalistique est efficace et crée une tension permanente. L'expérience du terrain de l'auteure apporte une vision très concrète du conflit opposant la Tchétchénie et la Russie, et les conséquences d'un exil douloureux. C'est également l'histoire d'une famille musulmane aux multiples cicatrices et gangrenée par l'islamisme. Une lecture très forte et marquante, et un témoignage assez rare pour être souligné, des conséquences de ce conflit, vite oublié par les pays occidentaux.
Lien : https://missbook85.wordpress..
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