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Critique de mariecesttout


Un vrai bonheur.. à savourer lentement, c'est tendre, ironique ,remarquablement écrit ( et traduit). de la poésie en prose!
Je les aime toutes, ces petites chroniques, peut être un peu plus celles dans lesquelles il parle plus de lui.
Il y en a une qui a un très beau titre,Au fond de la souffrance, une fenêtre éclairée, référence à un poème de Paul Eluard:
"La nuit n'est jamais complète
Il y a toujours puisque je le dis
Puisque je l'affirme
Au bout du chagrin une fenêtre ouverte
Une fenêtre éclairée
Il y a toujours un rêve qui veille
Désir à combler faim à satisfaire
Un coeur généreux
Une main tendue une main ouverte
Des yeux attentifs
Une vie la vie à se partager."

Qui commence ainsi:
"Lorsque j'avais treize, quatorze, quinze ans et que je lisais tous les livres qui me tombaient sous la main, les livres de mes parents, les livres que je volais et les livres que je pouvais acheter, je revenais, je ne sais pourquoi,comme la langue recherche sans relâche la dent manquante, à ces vers français que j'avais copiés sur un cahier:
Il y a toujours au fond de la souffrance une fenêtre ouverte, une fenêtre éclairée..."
Magnifique.

Mais j'ai choisi d'en recopier une autre, qui nous parle à tous, ici, qui aimons les livres:

"Hommage à José Ribeiro:

Certains aiment les livres. Certains vendent des livres. Certains éditent des livres. Je connais une seule personne qui, par amour pour eux,les vend, les édite, les collectionne, les lit et, encore plus simplement, sans être riche, les offre à ceux qui partagent sa passion: elle se nomme José Ribeiro, José Antunes Ribeiro, sous ses boucles grises, il a l'innocence généreuse d'un enfant, le sourire large, des lunettes presque aussi transparentes que ses yeux, le doigt minutieux à force d'inventorier des reliures.Il a monté Assirio et Alvim, il a monté Ulmeiro, et en dehors des moments où il refait surface, tout guilleret dans sa timidité attendrie, il habite un petit sous-sol à Benfica, trois ou quatre cellules semblables à des couloirs, des offices, des cocons, de petites ruches d'abeille où son grand corps se meut avec une agilité insoupçonnée, parmi des pages et des pages imprimées, montrant, furetant, donnant,
-Tu l'as?
-Tu connais?
-Tu l'as lu?
Avec cette fierté humble ,fraternelle, dont son amitié est soigneusement faite. N'était José Ribeiro je détesterais l'Avenida do Uruguai. Des immeubles et encore des immeubles ont poussé là où enfant j'allais avec la servante chercher du lait dans une ferme, des immeubles et encore des immeubles ont poussé sur mon passé, on a étouffé avec boutiques et pâtisseries ces lieux où je fus heureux autrefois, on a détruit une enfilade de maisons habitées par des gens qui n'étaient pas de ma famille et qui pourtant le sont maintenant, le vieux général emmitouflé dans sa couverture, la dame féroce, minuscule, électrique, avec des chiens féroces, minuscules et électriques, qui m'apprenait l'anglais au milieu des aboiements, mémé Galho et sa colossale, tremblante, collection de chats en verre, ses poèmes de Gomez Leal, sa cuisinière borgne
Rosa
Des portails de domaine, des piliers, des bougainvillées et de sombres vestibules moisissant dans un perpétuel hiver, imperméable au soleil, un monsieur à cheveux blanc alité
( mais la mort n'existait pas, pendant longtemps la mort n'a jamais existé, la mort se résumait à des cartes de petits saints ovales dans le missel de ma mère, j'étais éternel, à quel moment, mon Dieu, ai-je donc cessé d'être éternel, moi qui le fus tant d'années)
La charrette du marchand d'huile d'olive, les troupeaux, des soirées plus longues qu'une leçon d'histoire.On a fait pousser des immeubles et encore des immeubles habités par des gens qui ne me donnent plus du jeune homme, qui ne m'appellent plus Antonio, et là où se trouvaient les bidons de lait et leur écume bouillonnante, je me promène de boutique en boutique comme un chien à la recherche de l'os enfoui dans un coin oublié et je finis, hagard, par sonner au sous-sol de José Ribeiro, je descends les marches à l'aveuglette.
( j'ignore pourquoi il n'y a pas de lumière dans les escaliers mais tout bien réfléchi je préfère, une ombre mystérieuse, une promesse d'inattendu)
J'aperçois une faible clarté au fond et soudain, dans l'encadrement de la porte, les boucles grises,les lunettes, le sourire, le bureau pareil aux bureaux des grands-pères, des piles de livres, des rayons de livres,des odeurs de livres
( le Paradis)
Et ce Sao Pedro débonnaire
-Tu l'as?
-Tu connais?
-Tu l'as lu?
Avec cette délicate attention propre aux paysans, avec la tranquille sollicitude de l'amitié, nous voilà furetant dans les volumes trois ou quatre mètres au-dessous du niveau du sol, courbés comme des mineurs, écartant, empilant, découvrant
-Celui-là, je ne l'ai pas
-Je ne connais pas
-Je ne l'ai pas lu
chargés de sacs comme des Père Noël nous remontons à la surface tout heureux, les immeubles de l'Avenida do Uruguai disparaissent et j'entends les troupeaux de notre enfance jusqu'au moment où nous nous séparons, l'absence de José Ribeiro me rendant à nouveau adulte, sans charme ni passion,un pauvre adulte dans une auto cabossée attendant la leçon d'enfance que me donne son regard."



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