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EAN : 9782267023626
346 pages
Christian Bourgois Editeur (10/05/2012)
3.6/5   31 notes
Résumé :
À force d'obstination, un homme brutal et dénué de scrupules parvient à constituer un vaste domaine agricole, avec l'indéfectible soutien de son contremaître. C'est en patriarche despotique qu'il gouverne son monde : les paysans soumis comme des bêtes ; les bonnes qui s'affairent dans la cuisine et se plient à ses caprices ; son fils qu'il juge bon à rien et qui ne pense qu'à fuir au galop jusqu'au bourg voisin ; ses deux petits-fils, « l'idiot », tout aussi méprisé... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (9) Voir plus Ajouter une critique
Si je vous parle d'une histoire contée par un idiot qui soliloque évoquant la trajectoire décadente d'une famille, une histoire brisée, presque incohérente à première vue, fragmentée avec des flux de conscience qui naviguent entre passé et présent, que me répondrez-vous ? le bruit et la fureur, de William Faulkner. Et moi je vous répondrai La nébuleuse de l'insomnie, d'António Lobo Antunes. Cela dit, vous n'aurez pas tout à fait tort, ma première incursion dans l'oeuvre de ce grand écrivain portugais m'a fait découvrir la dimension faulknérienne de son écriture.
Un grand écrivain se reconnaît souvent aussi à sa manière de donner forme au contenu.
Ici, la forme du texte est un récit qui hésite, balbutie, se lance, s'arrête, entremêlé de voix intérieures, interrompu par la clameur du paysage et des bêtes, des images foisonnantes s'invitent dans ce dédale inextricable qui nous fait cheminer sans cesse à quelques encablures du vide, au bord de la rupture avec la réalité. Perdre pied dans des lambeaux de souvenirs…
L'histoire tient ici à peu de choses.
Par où faut-il commencer ? C'est une histoire de générations, dominée par la figure imposante, brutale, autoritaire du grand-père qui écrase tout de sa stature. Nous sommes dans la campagne portugaise. L'homme est à la tête d'une vaste exploitation agricole, aidé dans sa mission par le dévouement indéfectible de son contremaître.
Le grand-père gouverne le domaine en despote : soumettant les paysans à sa loi comme il traite durement ses bêtes, usant d'un droit de cuissage auprès des bonnes qui s'affairent dans la cuisine, méprisant son fils qu'il considère comme un bon à rien, ainsi que l'un de ses deux petits-fils, « l'idiot », celui qui nous parle. L'autre c'est le favori celui à qui l'héritage est promis, est-il mieux considéré pour autant ?
Et les femmes, que sont-elles lorsqu'elle ne sont pas des bonnes entraînées sauvagement dans le grenier et « troussées » comme on disait à l'époque, parce que « violées » n'étaient pas le terme approprié, mot qu'on n'osait pas encore prononcer dans cette société-là ?
Pourtant, d'autres femmes aussi font entendre leurs voix. Égrènent leurs prénoms. À commencer par la grand-mère qui ne cesse d'écorcher des lapins et de caresser leurs dépouilles. Maria Adelaïde, amour d'enfance de l'idiot et épouse de son frère, la vieille cousine Hortelinda, avec son petit chapeau à voilette et ses giroflées… Curieusement la mère de l'idiot m'est apparue absente du récit…
Et puis brusquement, le paysage penche, bascule dans une dimension qui nous échappe, un destin inexorable emporté dans les ruines du passé.
C'est un monde dévoré par la déchéance et le malheur. La splendeur ancienne des terres est vite oubliée.
Ici j'ai été emporté par la folie des hommes, la hargne des bêtes, la fatalité du paysage.
De temps en temps, on reconnaît parmi toutes ces voix celle fielleuse du grand-père qui ponctue le récit d'un toujours laconique et méprisant : « Idiot », comme s'il cherchait à interrompre le récit de son petit-fils.
Je suis entré dans ce texte hypnotique, sa cadence narrative, comme on plonge en apnée dans le flot chaotique des mots. J'ai cherché à poser ma respiration sur cette polyphonie à l'apparence cacophonique qui ne dit rien d'autre que l'écho d'une voix à l'autre, peut-être que l'écho de sa propre voix, celle de celui qui parle, tente de nous parler, l'idiot justement.
J'ai cherché à rassurer les morceaux éparpillés du puzzle...
Le texte est habité aussi par le gémissement des bêtes, le vacarme des oiseaux, les milans qui s'acharnent sur les chèvres, les crapauds au bord de la lagune, les toucans, les lézards. Il y a ce côté animal du récit qui n'est pas seulement du côté des bêtes.
C'est un texte habité par les vivants et les morts.
Même s'il y a une poésie envoûtante, parfois onirique, c'est un texte terriblement noir, hanté par les secrets de famille et ce terrifiant manque d'amour qui cloue au piloris le moindre espoir qui serait tenté d'émerger.
Ce petit-fils, - dont on finit par se demander de qui il est le fils : de son père, de son grand-père, du contremaître… ? - ce petit-fils nous narre un récit par bribes, tout simplement parce qu'il ne sait pas faire autrement.
Mais, désormais, la splendeur du domaine n'est plus qu'un lointain souvenir. le blé et le maïs ne poussent plus. Les milans s'en prennent aux chèvres. Il suffit de se pencher au bord du puits pour avoir envie de s'y jeter. C'est devenu comme une malédiction.
J'ai eu l'impression de visiter un monde clos dont les individus n'étaient pas libres de s'échapper et dont, à hauteur d'enfant, on ne voyait pas la frontière, à quel endroit ce territoire s'arrêtait, ce qui pouvait y avoir après. À hauteur d'enfant, à hauteur « d'idiot », à hauteur de lecteur… À hauteur d'humanité.
Il y a ici un côté qui semble a priori répétitif, lancinant, donnant le rythme et le ton d'un fado et nous emporte à l'extrême promontoire de ce texte, sur ces rivages où la littérature sait nous entraîner et nous faire échouer avec ravissement.
Il y a un côté addictif dans ces scènes répétitives. Des rideaux qui s'agitent, une horloge sans chiffres, le tremblotement d'une tasse de thé, une lèvre qui tressaute, un cheval qu'on détache de son attèle pour aller à la ville
Et puis il y a cette omniprésence des bêtes, jour et nuit, qui nous rassure et nous effraie à la fois, qui confère au récit une dimension presque fantastique à travers le regard effrayé d'un enfant pas comme les autres.
Il en ressort une écriture puissante qui donne en effet forme au contenu, mais dont le contenu, c'est-à-dire les mots mais surtout le sens des mots s'entrelacent dans cette polyphonie insensée pour finir par nous toucher au coeur.
Je contemple une dernière fois les milans qui décrivent des cercles au-dessus des pages de ce livre avant de le refermer, mais je sais que cela ne les empêchera pas de continuer de tourner dans le ciel.

« le flux les apporta, le reflux les emporte. »
Le Cid, Acte IV, Scène 3, Pierre Corneille.

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Premier roman écrit par cet auteur, après ceux plus ou moins autobiographiques ou relatant son expérience de médecin en Angola. De savoir que cet auteur était psychiatre avant de s'adonner à l'écriture explique sans doute beaucoup de l'atmosphère qu'il nous offre dans ses romans.

A nouveau, le même style hypnotique, narrant ce monde incertain entre la mort et la folie qu'on appelle la vie.

J'ai abordé cet auteur par ses deux derniers romans. Est-ce pour cela ? J'ai trouvé celui-ci, pourtant fort plébiscité par la critique à sa sortie, comme étant moins abouti. Mais toujours cette écriture éblouissante, sans guère de ponctuation, emmêlant les personnages, les souvenirs et le lecteur n'a qu'à s'y retrouver ou se laisser bercer par cette longue mélopée.

De la grande littérature assurément.
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"-Qu'est-ce que vous attendez pour avancer avec moi?
comme si quiconque ayant deux doigts de jugeote pouvait avoir envie d'avancer vers la mort vu que c'est bien là et nulle part ailleurs que vous conduisent les heures..."
La mort. Il est souvent question de mort dans ce roman (que je qualifierai de chaotique): La nébuleuse de l'insomnie de l'auteur portugais Antonio Lobo Antunes. de mort et de folie, une dislocation du moi du personnage principal (fort bien rendue par la longue logorrhée close à chaque fin de chapitre juste fragmentée par des injonctions, interrogations ou bouts de pensées) d'où mon qualificatif de chaotique.
L'histoire narrée par un enfant dit "autiste", par les infirmiers lors de son internement ou "idiot" par son grand-père humiliant, un enfant que je verrais plutôt schizophrène en catatonie (on retrouve la folie de le tambour de Günter Grass mais pas de cri), revient sur des souvenirs et la vie aisée dans le domaine familial de Trafaria près de Lisbonne.
Des animaux aux pattes cassées (dont le narrateur a été témoin), un oiseau aux ailes coupées (dont il a été l'instigateur, on pense au sadisme de la fillette de Poing mort de Nina Bouraoui), incendie, meurtres,transgression des tabous (la belle-fille obéit aux injonctions "Toi" du grand-père à "la fringale de canari" se jetant sur tous les jupons qui passent à sa portée).
Mais ce "Toi" balancé anonymement à qui s'adresse-t-il? A elle, sa mère, aux petites bonnes ou à lui dont le prénom est tu?
"Qui suis-je?" interroge le narrateur perdu.
Ce roman est dur car violent, mais émouvant vu le manque d'amour, les rapports de domination et l'isolement du personnage principal déstructuré, mais j'avoue que le style haché, étouffant (tout comme L'empreinte à Crusoé de Patrick Chamoiseau) m'a perturbée.
La nébuleuse de l'insomnie ne m'a pas vraiment plu (de par son manque de fluidité) car, difficilement compatible avec ma propre méthode de lecture, il m'a semblé que je me heurtais continuellement à des murs.
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Lecture difficile et laborieuse. Des flash de pensées interrompues, hachées dans un cerveau en morceaux. Je n'ai pas tout compris. Des tragédies, des meurtres (ont-ils vraiment eu lieu ?) ou des envies de meurtres, des infidélités, des viols dans une famille désunie ou l'amour et l'affection sont chose rare.
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Que lire au Portugal ? La nébuleuse des songes. Onirique, bouleversant, ce long poème entre lagunes et montagnes se lit comme une marée.

La nébuleuse de l'insomnie est un livre difficile à lire. Il ne dépeint pas un Portugal idyllique, mais ratisse sans concessions ses champs, la dureté et la sauvagerie d'un monde rural suspendu à la récolte de ses blés.

L'histoire nous est contée par le biais du monologue délirant de Jaime, un gamin mutique, un « batard » (qui est son père ?) qui finira interné à l'asile. Rien d'étonnant lorsqu'on sait que l'auteur, António Lobo Antunes est avant tout psychiatre.

Troublant, ce roman sur la folie humaine nous ramène à notre propre intimité familiale, et aux spectres qui la rongent. Névroses trop tues, non-dits qui obscurcissent les portraits de famille et qui explosent dans une écriture ininterrompue à la Claude Simon, sans ponctuation, comme les pensées qui traversent nos âmes.
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critiques presse (1)
Telerama
09 mai 2012
Déchiquetée, disloquée, perdue entre le passé et le présent, amputée de verbes, privée de liens de cause à effet, la langue d'António Lobo Antunes cherche à capturer le sens d'une vie piétinée.
Lire la critique sur le site : Telerama
Citations et extraits (15) Voir plus Ajouter une citation
 Ils me rendent visite un dimanche par mois dans ce qui a été un jardin avec une fontaine en pierre sans eau, des grilles autour faisant mine de ne pas être des grilles, après les grilles, un mur (servant à quoi ? )
La fenêtre de la chambre où je dors des grilles également et voilà mon père, ma mère avec toutes ses épingles à cheveux et ses boucles d’oreilles bien droites, mon frère, mon grand-père, ils restent avec moi à parler de tout et de rien une heure ou deux (plus tard j’expliquerai mieux)
Puis ils repartent j’imagine par le même chemin que celui emprunté par les hommes qui m’ont amené ici, semblables à ceux qui servent le dîner dans le réfectoire en retirant les assiettes d’un chariot en aluminium tordu par les années, une route qui ne passe ni par la lagune ni par la frontière, je leur ai demandé
- vous croyez qu’il y’a des grenouilles plus grandes que nous ?
Et eux muets, c'est-à-dire l’un des hommes m’a donné une tape sur l’épaule
- Te tracasse pas avec les grenouilles va
- Et pourtant j’aurais juré que j’en distinguais le bruit…
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ma mère abandonnant le réfrigérateur pour s'enfermer dans sa chambre, on a entendu le lit parce que le bois n'est plus tout jeune et les clous non plus, quelle entreprise de démolition le temps, regardez ma grand-mère
- Jaïme
et après le lit je ne sais quoi contre l'oreiller, des sanglots qui montaient du fond de la gorge et lui secouaient le corps, le crayon s'est interrompu un instant pour considérer les larmes puis a recommencé à tapoter
- Il a essayé de s'enfuir avant hier ?
un milan dans les genêts qui coiffaient un éperon rocheux scrutant par-dessus la montagne ce qui était hors de notre portée, des baies, des golfes, des kiosques à musique, le crayon s'est mis à l'horizontale sur le bureau
- Il a essayé de s'enfuir avant-hier
dans une espèce de rêve dont il a tardé à revenir pendant que je m'interrogeais à quoi pensait-il et ce qui me venait alors à l'esprit c'était un enfant attrapant des mouches entre la tenture et l'embrasure de la fenêtre, refermant sa main sur elles et sentant les chatouilles de leurs ailes ou une femme sur un canapé vers qui le crayon s'inclinait desserrant la cravate avec une lente férocité
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qu'elles sont longues les nuits quand le corps renonce et les meubles visibles malgré l'obscurité, le contour de chaque objet, la moindre brèche au plafond et tout si loin de nous, ce que nous avons vécu, ce que nous avons été, ce qui nous a fait envie un jour, les gens qui nous parlent à travers une paroi de verre et peu importe ce qu'ils disent car même si on comprend ce n'est pas à nous qu'ils s'adressent, c'est à ce que nous avons cessé d'être, des phrases qui se replient sur elles-mêmes sans nous atteindre
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… quand il perdait une dent de lait il la mettait sous le traversin et le lendemain, à la place de la dent, une pièce qu’une petite souris complice avait déposée ou alors on attachait la dent avec du fil à coudre à la poignée de la porte, on claquait la porte et un trou juste à l’avant de la bouche que la langue n’arrivait pas à abandonner, comment une dent si petite au bout d’un fil occupait-elle des kilomètres de gencive entravant la parole et puisqu’on évoque le sujet pour quel motif une autre dent dessous dont on pouvait palper les crénelures, combien de dents puis-je avoir se tenant cachées et désirant pousser, si la femme du canapé demandait à cet instant
– Un problème mon nounours ?
je lui désignerais mes molaires, quand je serai seul j’attacherai un fil à la poignée et je claquerai la porte du cabinet pour voir ce qui se passe, peut-être pas seulement la dent, moi tout entier suspendu à la porte, certains matins, je vous assure, je soulève le traversin à la recherche des pièces et la déception qu’aucune ne soit là à m’attendre, un espace interminable entre la taie et le drap, comme l’existence perd toute saveur quand on cesse d’avoir peur du noir, le crayon avait un mal de chien à éloigner l’enfance…
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Je ne partirai pas demain, ce sont eux qui m'emmèneront, des hommes venus de je ne sais où me désignant à mon père
- C'est celui-ci ?
les grenouilles du marais s'inquiètent tellement que je n'entends plus les gens, j'entends les bestioles qui m'assourdissent et m'empêchent de mourir, quelqu'un que je ne distingue pas à qui j'inspire de la compassion
- Ce n'est pas la peine de l'attacher
ma mère tentant un sourire et ses yeux qui coulent le long de son visage, chaque larme un oeil qui coule sur ses joues
(pourquoi des larmes ?)
les bonnes de la cuisine
- Le pauvre
et pour quelle raison
- Le pauvre
si moi pas malade, intrigué j'ai interrogé ma mère
- Où avez-vous trouvé tous ces yeux ?
ne vous tourmentez pas pour moi mère, il me suffit d'avoir la certitude que vous n'êtes pas partie et un jour peut-être me remarquerez-vous en train de vous attendre sans vous parler étant donné que je n'ai pas besoin de parler, le parfum des malles suffit et vous savoir dans cette maison pour que j'attende que vous m'accordiez un peu d'attention un jour, sûr que vous m'accorderez un peu d'attention même si c'est par pitié
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