AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de tamara29


Je remercie Babelio et les éditions Payot-Rivages pour l'essai d'Arthur Lochmann « La vie solide : La charpente comme éthique du faire. »
L'ouvrage d'Arthur Lochmann est une ode au travail manuel, à la transmission du faire tout autant que du savoir-faire. Délaissant des études de droit et de philosophie, il entreprend un CAP de charpentier et c'est cet apprentissage qu'il nous raconte. Apprentissage d'un travail en groupe, où le « bien faire » est le leitmotiv parce que ça ne pardonne pas : la charpente doit résister pendant des générations, bien au-delà de la carrière professionnelle de l'artisan. Des gestes, une éthique, une posture corporelle, un travail en communauté qui auront des répercussions pour l'auteur sur la manière presque inconsciente de penser le monde, ce qui l'entoure et même ce qu'il est et comment il se représente. Comme un parallèle avec ces gestes qu'on apprend, qu'on acquière et que la main et le corps finissent par faire « instinctivement ».
En ouvrant cet essai, je m'attendais à y lire une approche plus philosophique du travail manuel comparativement au travail dit intellectuel. Et j'avoue avoir été un peu décontenancée par les premiers chapitres, détaillant techniques de la charpenterie, énumérant les outils spécifiques, décrivant la gestuelle, les essences de bois à utiliser selon les chantiers, les charpentes à bâtir ou restaurer. Sûrement autant décontenancée qu'un jeune en apprentissage apprenant tous les termes, les procédés et habitudes de ce milieu artisanal.
Mais comme sur un même tempo, à mesure qu'il prenait de l'assurance, acquise par les gestes appris, répétitifs, par le contact avec le bois et les outils, à mesure qu'il assimilait les outils, de leur nom à leur utilisation, aidé par les échanges avec ses collègues et chefs et par les nouveaux chantiers, je suis entrée dans son récit, dans cette initiation, avec une curiosité de plus en plus exacerbée et plaisante.
Je suppose que cet intérêt et plaisir plus vifs s'expliquent par le fait qu'il ne s'est pas contenté de d'écrire le quotidien d'un charpentier. Tout au long de son récit, comme celui d'un compagnon qui apprend, s'instruit, découvre des savoir-faire, Lochmann appuie ses réflexions par des références sociologiques, philosophiques, historiques et même linguistiques sur le travail manuel, le travail en équipe avec la transmission (de génération en génération) et la confiance qui sont intrinsèques à ce métier, mais aussi sur la conscience du corps, de la posture, de la main qui crée, tient, cloue, lime, scie, touche, caresse, bâtit.
J'ai trouvé qu'il y avait une humanité dans ce récit, dans ce monde artisan qu'est la charpenterie. C'est un vrai microcosme avec ces codes, son langage et ses expressions (apprenant entre autre, que « dans le jargon des compagnons, l'apprenti, qui court partout pour aller chercher ce qu'on lui demande, s'appelle ‘'le lapin'' ») et bien entendu la transmission des savoirs et son éthique du faire.
Malgré parfois des passages un peu trop techniques pour la béotienne que je suis, j'ai pris du plaisir à lire cet ouvrage (vous aurez bien entendu noté la plus que subtile insertion du terme « ouvrage » qui signifie à la fois « texte écrit » mais aussi, selon le Larousse, « un produit du travail de l'artisan ou de l'artiste »).
Son écriture est claire, agréable, parfois drôle lorsqu'il raconte certaines anecdotes de chantier. J'ai apprécié son caractère franc et humble aussi parce qu'il ne cache pas les difficultés d'apprentissage, les plantages -les mauvaises coupes et les faces de contact se plaquant mal les unes aux autres (bref lorsque cela ne « biche » pas)-.
Cela rappelle l'importance de la formation et de la patience. L'importance du temps, de la prise de conscience de ce temps mais aussi de l'espace, en sentant nos pieds bien ancrés sur terre, comme sur un échafaudage. II faut observer les autres, accepter de se tromper, recommencer encore, s'améliorer.
Plaisir de lecture lié aussi à ce sentiment d'avoir appris un peu plus sur une profession, sur l'humain, découvert l'habitus de ce corps de métier. Tout au long de ce récit-essai, Lochmann montre ainsi les valeurs et l'éthique de ce métier et de ces hommes artisans (parfois très proches des artistes).
Cela m'a confortée dans cette conviction de l'importance de la création par ses propres mimines. Faire, créer, bref le processus de création donne du sens (rassérénant pour le coup) et apporte aussi une petite satisfaction dans une ère du tout à la va-vite, de plus en plus vite, une ère du prémâché au supermarché (quel plaisir de préparer un bon repas et oublier les plats cuisinés industriels ; faire pousser ses carottes plutôt que de les acheter au supermarché ; tricoter même de ridicules moufles ou encore donner à ses meubles une seconde vie).
Lochmann montre son plaisir à travailler le bois, d'être souvent en extérieur à pouvoir respirer, contempler la nature, entouré d'hommes qui ont la même foi et le même amour de leur métier et c'est bien là un agréable « bouquet final* ».

(*tradition où l'on installe une branche fleurie au sommet de la « belle » charpente terminée).
Commenter  J’apprécie          406



Ont apprécié cette critique (33)voir plus




{* *}