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Critique de Kirzy


Voilà un roman absolument passionnant qui nous plonge dans une période majeure des Etats-Unis, au mitan du XIXème siècle, porteuse des prémices de la Guerre de Sécession, de la montée des luttes antiesclavagistes et de la mise en place de l'Underground railroad visant à aider les esclaves fuyant les plantations sudistes à atteindre le Nord. Et cette plongée se fait sous le patronage d'Henry David Thoreau à travers le regard d'un esclave en fuite, lui fictionnel.

Forcément, c'est d'une densité folle, exigeante aussi, car l'auteur ne fait montre d'aucune réelle pédagogie pour présenter les personnages réels qui peuplent son roman ( en plus de Thoreau, les intellectuels Ralph Waldo Emerson, Nathaniel Hawthorne ou encore le journaliste William Lloyd Garrison ). C'est évident que ceux qui ont au préalable une connaissance de ces personnages apprécieront toute la subtilité du propos. Ce n'était pas mon cas, mais j'ai été tellement intéressée que je me suis documentée par moi-même, ma lecture en a gagné en profondeur ( ma culture aussi du coup ).

La première réussite de ce roman est d'éclairer le personnalité de Thoreau sous un angle peu connu. On a tendance à dissocier les deux principales facettes de sa vie : l'engagement pro-abolitionniste et sa pratique naturaliste qui en fait un des pionniers de l'écologie. le roman se déroule en 1845-46 à Concord ( Massachussets ) au moment du séjour de Thoreau dans les bois de Walden, souvent présenté comme une robinsonnade alors que c'est avant tout une décision politique : sortir du système économique fondé sur l'esclavage en refusant de payer des taxes à un Etat qui le valide ( il ira d'ailleurs en prison pour cela ). Norman Lock relie ces deux facettes de façon très convaincante, notamment lors de superbes échappées dans la nature à la Jack London.

L'autre très grande réussite réside dans le choix de faire porter la narration par le formidable personnage fictif de Samuel Long, noir lettré inspiré de Frederick Douglas ou Solomon Northup ( celui de Twelve years a slave ). A travers lui, c'est toute la condition d'esclave qui est habilement amené, de façon très subtile après une scène d'ouverture choc qui nous le présente en train de trancher sa main menottée pour s'enfuir puis de cautériser le moignon à la chaux. Cette image ne nous quitte plus alors même que le reste du récit part dans d'autres directions.

Le rapprochement puis l'amitié entre Thoreau et Long transforme ces deux personnages en double de l'autre. Leur couleur de peau et les inégalités de destins sont à la fois un rappel constant de l'appartenance à un autre groupe ethnique différent et un reproche vivant qui crée de la culpabilité. Samuel réfléchit en permanence à son devenir de noir en fuite. Il doit apprendre à vivre avec des Blancs, à ne pas se sentir agresser par leur bonté, à vivre sans vie sans ressentiment. Il doit faire face à sa solitude existentielle, universelle, quelle que soit la couleur de peau.

Un superbe roman, très cérébral et intelligent.
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