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Citations sur La vie en sourdine (46)

"Alors c'est bon la retraite ?" a dit Butterworth. Les gens me posent encore cette question lors des réceptions comme si j'avais pris ma retraite il y a quatre mois et non quatre ans. " Très bon ", ai-je répondu, préférant ne pas lui donner la satisfaction de connaître la vérité.
" Et toi, comment ça va ?"
" Affreusement occupé. Tu ne peux pas t'imaginer toute la paperasserie qu'on a à faire maintenant . Tu es parti au bon moment. "
Voilà encore une chose que les anciens collègues ont tendance à dire lors des réceptions, laissant entendre avec aigreur qu'en prenant tôt votre retraite vous vous êtes comporté comme ces généraux qui se font hélitreuiller hors de villes assiégées ou comme des rats quittant le navire.
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Le grand monsieur grisonnant à lunettes , qui se tient en lisière de la foule dans la salle principale de la galerie, et qui se penche tout contre la jeune femme au corsage en soie rouge, baissant la tête et la détournant de son interlocutrice, opinant du chef sagement et émettant un murmure phatique par moments, n'est pas, contrairement à ce que vous pouvez penser, un prêtre hors service qu'elle aurait convaincu d'entendre sa confession au beau milieu de cette assemblée, ni un psychiatre à qui elle aurait extorqué une consultation gratuite ; et lui, il n'a pas adopté cette posture pour mieux regarder dans le décolleté de la jeune femme, bien que ce soit un bonus accidentel qu'il tire de la situation, le seul en fait...
Il est, voyez-vous, " dur d'oreille " , ou " malentendant " ou encore, pour faire simple, sourd - pas sourd comme un pot, mais assez sourd pour rendre la communication imparfaite dans la plupart des situations sociales, voire impossible dans certaines, comme celle-ci... Ils parlent, ou plutôt elle parle, depuis dix minutes maintenant, et il a beau faire, il est incapable d'identifier le sujet de la conversation. S'agit-il des œuvres d'art accrochées aux murs - des photos en couleur représentant en gros plan des terrains vagues ou des fragments de détritus ? Il ne le pense pas, elle ne les regarde pas ni ne les montre du doigt, et l'intonation de son discours, pour ce qu'il peut en saisir, ne correspond pas à ce schéma déclaratif caractéristiques des palabres sur l'art ou de ces couillonneries artistiques comme il dit parfois de manière irrespectueuse pour taquiner sa femme. Elle parle plutôt d'un ton personnel, anecdotique et confidentiel. Il regarde le visage de la jeune femme pour voir s'il trahit quelque chose. Elle le regarde fixement d'un air sérieux avec ses yeux bleus, et marque un temps d'arrêt dans son débit, comme si elle attendait une réponse. " Je vois ", dit-il, ajustant son comportement afin d'exprimer à la fois son acquiescement et une réflexion judicieuse, dans l'espoir que l'une ou l'autre expression semblera adéquate, ou tout du moins pas grotesquement inappropriée à ce qu'elle pouvait bien être en train de dire.Toujours est-il qu'elle semble s'en satisfaire, et elle se remet à parler. Il ne reprend pas son ancienne posture : il ne sert à rien en fait d'orienter son oreillette droite pour capter ce qu'elle dit puisque le babillage de la réception se déverse dans la gauche, et si d'aventure il essayait de couvrir son oreille gauche avec sa main cela ne ferait que déclencher un hurlement en retour dans sa prothèse auditive et lui imposer en même temps une posture qui paraîtrait totalement excentrique. Que faire maintenant ? Que dire lorsqu'elle s'arrêtera de nouveau de parler ? Il est bien trop tard pour avouer : " Écoutez, je suis désolé, je n'ai pas entendu un traître mot de ce que vous m'avez dit depuis dix minutes " ( ça peut faire un quart d'heure maintenant ), " je suis sourd, voyez-vous, je n'entends rien dans ce vacarme. " Elle se demanderait raisonnablement pourquoi il ne l'avait pas dit plus tôt, pourquoi il l'avait laissé continué à parler, hochant la tête et murmurant comme s'il la comprenait. Elle serait contrariée, embarrassée, offensée, et il n'a aucune intention de paraître grossier... Par ailleurs, elle semble plutôt gentille, elle doit avoir entre vingt-cinq et trente ans, elle a des yeux bleus étincelants, un teint pâle et soyeux, des cheveux de lin qui lui tombent sur les épaules mais coupés droit avec une raie au milieu, et une silhouette naturellement gracieuse- à en juger par le petit puits d'ombre entre ses deux seins que l'on discerne par l'ouverture déboutonnée de son corsage, sa poitrine n'est pas maintenue artificiellement par de la silicone, ni tendue ou soutenue par une armature métallique, mais possède la plasticité trémulante de la chair réelle et en liberté, et une légère transparence de peau comme une jolie porcelaine - et il ne veut pas laisser une mauvaise impression à cette jeune femme avenante qui a pris la peine de parler à un vieux chnoque comme lui, même si ce genre de rencontre fortuite a peu de chance de se répéter.
Elle marque à nouveau une pose dans son monologue et le regarde comme si elle attendait quelque chose. " Très intéressant, dit-il. Très intéressant. "Espérant gagner du temps, attendant de voir si cela suffira, il porte le verre de vin à ses lèvres mais pour se rendre compte aussitôt qu'il est vide et qu'il lui faut l'incliner presque à la verticale et le tenir ainsi quelques secondes pour contraindre les dernières gouttes de chardonnay du Chili à descendre dans son gosier. La jeune femme le regarde d'un air curieux comme si elle attendait à ce qu'il réalise un tour de magie, tenir par exemple son verre en équilibre sur son nez. Son verre de vin blanc à elle est presque plein, elle n'en a même pas bu une gorgée depuis qu'elle a commencé à lui parler, de sorte qu'il ne peut proposer d'aller avec elle au bar se resservir, et il serait tout aussi discourtois de partir seul remplir son verre ou de l'inviter à l'accompagner dans sa démarche. Heureusement , elle semble comprendre son embarras - non pas son véritable embarras, à savoir sa totale ignorance de ce qu'elle a dit - mais son besoin de boire un autre verre ; elle sourit et, faisant un geste en direction de son verre vide, dit quelque chose qu'il est presque sûr de pouvoir interpréter comme un encouragement à aller refaire le plein. " je crois que je vais y aller, dit-il. Puis-je vous en rapporter un autre ? " Question stupide, que ferait-elle de deux verres de vin blanc, un dans chaque main ? Et ce n'est manifestement pas le genre de personne à avaler un verre d'un trait pendant que vous allez lui en chercher un autre. Cependant, elle sourit à nouveau ( un joli sourire qui découvre une rangée de petites dents blanches régulières ), décline l'offre en secouant la tête, puis, à son grand désarroi, lui pose une question. Il comprend que c'est une question en raison de l'intonation montante et parce que ses yeux bleus s'élargissent légèrement, ses sourcils se froncent, et cela exige évidemment une réponse. " Oui ", dit-il, en prenant le risque : et, comme cela semble lui faire plaisir, il ajoute vaillamment : " Absolument ". Elle pose une autre question à laquelle il répond également par l'affirmative, et alors, à sa grande surprise, elle lui tend la main. Manifestement, elle va quitter la réception. " Ravi de vous avoir rencontrée ", déclare-t-il en prenant la main et en la serrant. Elle est fraîche et légèrement moite au toucher. " Comment avez-vous dit que vous vous appeliez - avec tout ce bruit, je n'ai pas très bien saisi." Elle prononce de nouveau son nom mais en vain : le prénom sonne vaguement comme " Axe ", ce qui n'est pas plausible, et le nom de famille est totalement inaudible, mais il ne peut se permettre de lui demander de répéter une nouvelle fois. " Ah, oui ", dit-il, hochant la tête, comme s'il était content d'avoir assimilé l'information. " Eh bien, c'était très intéressant de parler avec vous ".
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Elle me dit souvent "chéri", même si ce n'est pas nécessairement une signe d'affection. En fait, je ne connais personne qui puisse prononcer ce mot tendre sur des tons d'hostilité si différents, incluant l'impatience, la désapprobation, la pitié, l'ironie, l'incrédulité, le désespoir et l'ennui.
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Alex Loom est une personne énigmatique.Même son nom est une énigme.Je n'ai pas trouvé "Loom" dans le dictionnaire Penguin des noms de famille.Il se pourrait que ce soit une mutation américaine de quelque nom d'immigré.Allemand ou scandinave peut-être --Elle a le type nordique d'une reine des glaces
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Il y a au moins une chose que nous autres les sourdingues réussissons à faire dans une réception, c'est de déclencher le rire des gens avec nos bourdes, et ils n'ont pas se plaindre de moi en la circonstance
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J'envie la foi des croyants en même temps que je m'en méfie. Certaines études ont montré qu'ils ont de bien meilleures chances d'être heureux que ceux dont les systèmes de croyances sont totalement séculiers - et on comprend pourquoi. La vie de chacun d'entre nous contient sa part de tristesse, de souffrance et de déception, et tout cela est plus aisé à supporter si l'on croit qu'il y a une autre vie à venir dans laquelle les imperfections et les injustices de celle-ci seront compensées ; et cela rend la perspective de la mort beaucoup moins déprimante. C'est la raison pour laquelle j'envie les croyants. Il n'existe bien sûr aucun fondement plausible à leur foi, mais vous n'avez pas le droit de le faire remarquer sous peine de paraître grossier, agressif ou peu respectueux - sous peine d'avoir l'air en fait de vous en prendre à leur droit d'être heureux.
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Fred et moi sommes allés à la première du spectacle de Noël, Peter Pan, au théâtre municipal. La mise en scène était très réussie, avec des détails d'époque méticuleusement choisis, sauf que Peter Pan était noir. Le jeune acteur qui jouait ce rôle était en fait excellent, mais je n'ai pas pu m'empêcher d'être constamment distrait par son caractère exotique dans ce milieu bourgeois edwardien qui n'aurait sans doute pas manqué de susciter les commentaires des enfants de Mrs Darling dans la pièce de Barrie, mais que le texte ne leur permettait pas de remarquer. Je voulais bien accepter ce plaidoyer sociopolitique en faveur d'un casting daltonien, comme on appelle cela paraît-il, à la condition que les adeptes de la cause admettent que cela a souvent un certain coût sur le plan esthétique, mais ils refusent.
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Se peut-il qu'il y ait un instinct de surdité analogue à l'instinct de mort dont parle Freud ? Une appétence inconsciente pour la torpeur, le silence et la solitude qui va à l'encontre de ce besoin naturel, sous-jacent chez tous les êtres humains, de fréquenter d'autres gens et d'échanger avec eux ?
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La surdité est comique, alors que la cécité est tragique. Prenez Œdipe, par exemple : imaginez qu'au lieu de s'arracher les yeux, il se soit crevé les tympans. C'aurait été plus logique, en fait, puisque c'est par les oreilles qu'il a appris l'atroce vérité quant à son passé, mais cela n'aurait pas eu le même effet cathartique.
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- Ca me rappelle ce que disait Borges, ai-je dit. Dans une énigme où la réponse est "échecs", le seul mot interdit est "échecs".
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