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Critique de kedrik


kedrik
07 septembre 2011
C'est l'été, j'ai donc temporairement délaissé ma relecture de "Schopenhauer : pour une nomenclature de la temporalité" afin de m'intéresser à ce que lisent mes contemporains quand ils sont à la plage. Or un nom revient souvent dans les palmarès de vente : Henri Loevenbruck, le Dan Brown à la française. Attention, spoiler à tous les étages, vous êtes prévenus.

Que nous a appris Dan Brown ? Qu'un bouquin bien calibré devait suivre la formule suivante :
- un héros qui connait sa bille en ésotérisme
- un proche du héros qui crève magistralement en léguant au héros une énigme
- un tueur complètement azimuté qui fait des mises à mort spectaculaires
- une secte secrète qui veut dominer le monde
- une chasse au trésor dans les lieux iconiques de l'Histoire
- une partenaire pour allier romance et aventure
- un ou plusieurs universitaires/spécialistes qui débloquent les étapes du jeu de piste
- une révélation finale basée sur des faits réels
Le tout découpé avec des chapitres courts et nerveux qui vous incitent à aller toujours de l'avant.

Henri Loevenbruck (Daniel Marron de son vrai nom) l'a bien compris et a décidé d'utiliser la même recette. Pas de s'en inspirer, non, non : de la copier trait pour trait.

Or donc le héros (Ari Mackenzie), qui bosse aux RG comme spécialiste des sectes tombe des nues quand son meilleur ami est retrouvé mort, le cerveau liquéfié puis aspiré (oui, oui). Mais avant de décéder, l'ami en question a envoyé au héros la photocopie d'une mystérieuse page qui est le premier indice de la chasse au trésor. Et donc une mystérieuse tueuse complètement dingue commence à tuer des gens. le héros comprend assez vite que tout ça est lié à une organisation secrète nazie (sic) qui dessoude les membres d'une loge secrète de compagnons de France dans l'espoir de mettre la main sur le Gros Secret qui Peut Changer l'Équilibre Mondial. On court donc de lieux historiques en lieux historiques en suivant les indications cryptées glissées dans les pages soi-disant perdues d'un vrai incunable picard. Quand il bloque, le héros demande de l'aide à des spécialistes. Il a plusieurs partenaires féminines, avec lesquelles il a déjà ou va coucher. Puis ça débouche sur la confrontation finale avec les Méchants tandis que nous est révélée la nature même du Grand Secret qui te fait dire "Je le savais, c'est un complot, DSK est aussi innocent que Seznec et Dreyfus réunis, on nous ment, la vérité est ailleurs, salopards d'Illuminés de Bavière."

Mais le hic, c'est que Henri Loevenbruck n'est pas un bon faussaire. Déjà, quand tu annonces que ton héros est un spécialiste en ésotérisme mais qu'il est obligé d'aller voir dans une encyclopédie ce qu'est un astrolabe, tu prends peur sur le CV du bonhomme. Quand il confond francs-maçons et compagnons de France, tu te dis qu'il a eu son diplôme en ésotérisme en lisant Wikipédia en diagonale. Mais surtout, toute l'intrigue repose sur le fait qu'une loge protège un secret qui ne doit surtout pas être révélé sous peine de catastrophe. Ils confient donc une page à chaque membre de la loge. S'il est si important de cacher ce secret, pourquoi ne brûlent-ils pas les feuillets au lieu de se transmettre ça comme une patate chaude en craignant que des gens mal intentionnés ne s'en saisissent ? Ça ne tient pas debout 30 secondes.

Et comble de ridicule, il n'y a pas de révélation finale. Arrivé à 2m du "trésor", le héros se dit "Oh, je reviendrais demain, là je suis crevé" et quand il revient, sa hiérarchie est passée par là et a fait boucher l'entrée du sanctuaire. du coup, le lecteur ne sait rien de rien sur la nature du pourquoi tout ce bordel. Ce n'est pas frustrant, non, c'est carrément de l'arnaque, de la malhonnêteté intellectuelle. Je n'en reviens toujours pas de ce tour de passe-passe débile.

Dan Brown a bien des défauts, mais ils embarquent ses lecteurs dans un truc enlevant et tape-à-l'oeil. Des jésuites vicelards, un Vatican mystérieux, des cardinaux qui crèvent la gueule ouverte. Ça dépote. C'est con, mais l'intrigue a une certaine envergure qui dépayse. C'est énorme, ce n'est pas croyable, mais les lecteurs sont happés. Henri Loevenbruck est lui dans le registre franchouille : difficile de faire rêver le lecteur avec les mystères de Reims, l'ignoble complot des compagnons de France et la sempiternelle résurgence néonazie des dingues de Thullé. On ne peut pas prendre une recette américaine et la transposer sottement à la France. Quand on le fait dans le cinéma en reprenant les principes des superproductions américaines, ça donne invariablement des copies de merde. Là, c'est comme les chansons yé-yé des années 60 qui étaient traduites mot pour mot à la va-vite.

Et il faut lire les soliloques du héros, qui peste sur l'amour impossible, la politique interne des RG ou l'informatique avec un rare sens du lieu commun. Une ode à la platitude. Ah oui, et le héros se voit adjoindre un ancien légionnaire, ce qui permet à l'auteur par deux fois de nous accoucher de scènes de baston particulièrement grossières à coup de grenade (gasp) puis de fusil mitrailleur dans la grande tradition des films de Steven Seagal.

À lire, donc, si vous aimez les complots de niveau Rotary Club de sous-préfecture, des putains de nazis même pas nihilistes, de l'occultisme ch'ti, des tueurs débiles au modus operandi loufoque, des énigmes dignes de la Chouette d'or, des citations de Portishead pour montrer que l'amour c'est la souffrance…

Ce billet ne peut que se terminer en pointant vers le Pendule de Foucault.
Lien : http://hu-mu.blogspot.com/20..
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