L'enclave, quartier défavorisé de Providence (USA) où on habite sans que celle-ci ne soit intervenue, jamais, nada, que dalle, queue de chique, peau de b… !
Chômeurs en faim de droits et ouvriers exploités s'entassent dans ce décor de désolation ou la moitié des habitations sont abandonnées, dévastée, ont vécu.
C'est la où vit le jeune narrateur, Hugo, au comportement si provocateur dans son gratuit lycée public qu'il s'en fait expulser pour rejoindre le privé que ses parents financent en se serrant encore plus une ceinture déjà bouclée au dernier cran. Idéalistes malgré leur funeste histoire (ils ont perdu leur petite fille dans un sordide accident de la circulation), ils veulent le meilleur pour lui. Ils n'imaginaient pas que c'est le meilleur de la racaille locale qu'il allait y rencontrer en la personne de Freddy, une petite frappe d'origine ritale que rien ne canalise et qui frappe plus vite qu'il ne respire.
Illumination ! Éblouissement ! Ce sera son exemple, sa fascination, son maître.
Une rencontre décisive pour une admission dans un autre monde, parallèle, idéal, la bande de vauriens, la bande de voyous, la bande à Freddy qui, forte de ses quatre éléments disparates, terrifie l'établissement scolaire du sol au plafond, élèves comme professeurs ou équipe pédagogique.
Cette fascination prendra encore de l'ampleur lorsqu'il sera initié à la moto par des nuits mécaniques à avaler les kilomètres, accroché serré-serré au dos noueux de ce petit taureau qu'est l'ami prodigieux.
La réputation et les exactions de la fumeuse bande voluteront par-dessus l'enceinte du lycée pour faire tache d'huile en ville et dans les environs quand les Jags, la terreur de Carmel, la ville voisine, viendront jouer des poings avec eux, un jeu d'une violence inouïe ou tous les coups sont permis voire conseillés et aucun point compté (on ne fait ni dans la broderie ni dans la dentelle).
Un roman initiatique, un autoportrait au rétroviseur, écrit à la première personne du singulier pour une vie plurielle commencée, seulement, à l'âge de seize ans, avec l'admission dans la bande à Freddy et plus encore, dans le garage du père de Freddy où les deux garçons construiront leurs deux propres motos identiques, leurs brêles, leurs déesses, leurs passeports brillants et bruyants pour une liberté tant fantasmée, un rêve de gosses.
Ma toute première impression ne fut qu'assez peu enthousiaste. le style m'étant étrange, un peu toc (je tique), bancal même qui fait cohabiter le parler franchement familier (escamotant les négations, par exemple) et le langage un peu ampoulé (du dimanche), peu avare du subjonctif. Ce mélange improbable donne au début du livre un côté artificiel propre au gentil intello du gang de bonne extraction (avant) qui veut se la jouer caillera des faubourgs et des bas-fonds: Dans un coin de la tête, J'AVAIS PAS encore écarté la possibilité que tout cela SOIT un piège et que je ME FASSE de nouveau tabasser menu. ( !!!). Diantre, où cours-je me dis-je, pas spontané du tout tout-ceci, un décalage propos/formulation qui me brouille l'écoute et me laisse pantois voire même perplexe quant à la lecture intégrale du bouquin en entier (pléonasme entièrement assumé).
Mais bon, détestant abandonner une lecture entamée, comme d'autres une bière décapsulée, je tiens bon, je me cramponne comme hier une jeune fille sur un casse-gueule de la fête du trône (heu avant-hier). Et je fais bien car la suite se déshabille de ses chichiteries XVIIIème (siècle, pas arrondissement) et se glisse vers le verbiage populo-populeux, le je t'écris comme je jacte, à la façon de Renaud demandant dans une chanson tire-larmes à son Manu pathétique d'aller faire une virée dans la tire à Dédé puis de laisser béton, sa gonzesse ayant mis les bouts.
Ce parti pris stylistique un peu de bric et de broc me braque, il reste à intégrer pour ingérer l'odyssée déjà vue qui va nous être contée menue-menue, convoquant au passage à nouveau les fantômes en noir et blanc d'Elvis, de
James Dean, de Marlon Brando et de
Dick Rivers (heu non, pas
Dick Rivers), évoluant dans les pittoresques décors Kodachromes d''easy rider' et sapés, non pas d'un suaire, mais comme les
ZZ Top (la grange).
C'est pas à Paname, c'est pas à Byzance, c'est à Providence où l'on t'envoie.
Viendrons le pater austère qui torgnole sévère, le surgé vicelard à la chiotte aux chromes rutilants, le dirlo ‘tête de veau' qui fait sa tête de cochon, le mécano rital aux paluches cambouisées, la séquence émotion à la belle étoile au bord du lac étal, la banale baston au brisé bistrot bondé, la bouille en bouillie du frêle trouillard de l'équipe, les nichons folichons de la gisquette gironde et affranchie…soit, sur fond de bannière étoilée, la panoplie stéréotypée des clichés associés aux adulescents étasuniens des sixties/seventies.
Puis la vitesse supérieure sera passée sans transition quand les éclairs d'un bleu alternatif illumineront la façade terne de la tristoune maison familiale. On va changer de crèmerie, les petites crapules à peine pubères vont changer de registre et s'inscrire sur celui de la justice en marche! C'est la courroie de distribution, la chaîne de transmission, le doigt dans l'engrenage, la vertigineuse pente raide et savonneuse vers la maison de correction.
Ça sent la mouise, la loose, la misère sociale, la sueur âcre, la mousse chaude en cannette big size, les petites gens, la vase, l'essence, l'huile de vidange, le ‘numéro un' au shit parade, le joint qui crépite rouge dans la noire nuit sans lune, mais aussi l'amitié, le vent dans les poils, l'espoir, la fraternité, la solidarité, la gomme à mâcher de l'asphalte, les gaz brûlés et…les potes d'échappement !
Parceque, de l'échappement, justement, il va y en avoir chez les potes qui feront le calcul de ne pas prendre la tangente. Côté mathématiques, ce sera plutôt la division ou la multiplication des désillusions quand resteront cloués au sol ceux qui ne se sentent pas pousser les ailes albatrosiennes de la liberté chérie.
La vie est un chemin de choix où laisser choir ses rêves de môme c'est naître à l'âge adulte et se faire une raison où taire celles de la colère.
La bande débande et se disloque. Les rouages ensablés débloquent. Roulez jeunesse. On taille la route. la vie et l'aventure nous appartiennent…quand même.
Il partirent alors deux, mais par un prompt renfort, ils se virent…un peu plus nombreux à avaler les miles, à en découdre sur ce ruban de bitume serpentant à travers des paysages changeants, de marais ou de déserts, ruraux ou urbains, à croiser parfois des personnages cartoonesques, des figures tantôt hospitalières (ha, la truculente vieille Anna), tantôt agressivement hostiles (du tenancier en slip de motel miteux aux flics pas très fufutes (encore un pléonasme revendiqué) en passant par le motard revanchard d'un autre club cyclomotoriste pas franchement fraternel …).
Et c'est la fuite en avant, l'équipée sauvage, la fureur de vivre, la roue libre. On bouffe du macadam, on fout (et prend) des gnons, on tutoie la dope, on tire des coups, on casse des taules et on joue à cache-cache avec les gyrophares aveuglants qui trouent la nuit la plus sombre de leur clignotement caractéristique.
La narration s'ancre dans le futur par rapport à ce qu'elle relate, raconte rétrospectivement, et on devine rapidement (ou on croit deviner) que le moment viendra où dure sera la chute, où dur sera le mur de parpaings qu'on va se prendre en pleine figure et surtout, que rien de dure des moments doux quand survient la sanglante et ultime déflagration!
Un roman c'est une histoire, une intrigue que l'on veut suivre à tous prix, même au bout de la nuit, le style en étant alors le médium, le véhicule qui va nous prendre dès le début, nous transporter, nous emporter pour nous déposer à la fin, fourbus, rompus après un voyage effectué soit dans un certain confort ouaté, cosy, soit, why not, dans un inconfort de tous les diables, mais alors, choisi, voulu murement décidé.
Ici, dans ce roman résolument sauvage, j'ai bien eu l'histoire qui attache grave comme le cramé au fond de la gamelle, j'ai bien eu l'intrigue espérée qui fait garder les yeux grand ouverts quand les aiguilles se lassent de tourner sur le cadran chiffré de l'horloge, c'est vrai que j'ai voulu m'absorber, me dissoudre dans ce parcours chaotique du pauvre gars happé par une soif inextinguible de liberté absolue, j'ai voulu assembler les pièces bien huilées du puzzle foutraque de sa vie peu ordinaire qui roule vers un fin forcément tragique, j'ai marché dans son lyrisme à deux balles, apprécié les chausse-trapes, les chemins de traverse oxygénés, épingles à cheveux où crissent les pneus.
Mais côté véhicule, ça a un peu calé. Manquait l'étincelle qui met le feu aux vapeurs d'essence, qui provoque l'explosion qui, elle, poussera le piston, et me propulsera dans un récit ébouriffant, les cheveux dans le vent (sky, my brushing). Il y a eu des reprises, des échappées belles, plutôt vers la fin, mais dans l'ensemble le moteur a souvent brouté.
Embêtant pour un ouvrage qui traite majoritairement de pétaradantes bécanes survitaminées, débridées (surtout celle du chinois) et de décibels vrombissants. Comme je l'ai vite pressenti et écrit plus haut, le style m'est resté artificiel, un peu vain, une posture, voire une imposture.
Comme Bohem, le personnage principal, ce narrateur qui se sent illégitime pour tenir le rôle de chef devenu sien, son langage et sa prose m'ont paru factices, bricolés de toutes pièces (de rechange) pour remplir le cuir du motard à la cool roulant des mécaniques, un folklore américain, un cliché arrangé (comme le rhum du même nom), une photo à la Doisneau qui se veut prise sur le vif sur le parvis de l'hôtel de ville mais qui s'avère être soigneusement posée, comme en studio et surmontée ostensiblement ici de son slogan accrocheur : « yes, we jerrican »
J'ai surtout eu l'impression d'un rendez-vous en terrain connu !
Si on dérive de continent, quittant les désertiques et arides terres américaines pour des paysages qui nous sont plus familiers, franco-français, qu'on y transporte et y transforme nos zigotos améres-loques en deux zonards franchouillards pas méchants pour trois ronds mais en rupture totale avec la société, deux poteaux qui pudiquement refusent de parler d'amitié mais sont incapables de se passer l'un de l'autre, deux aventuriers à la petite semaine qui alternent virées sauvages et calmes villégiatures en bord de rivière, qui savent qu'un jour la quête d'absolu se muera en cavale crade, n'avons-nous pas nos deux décontractés du gland imaginé par un Blier inspiré déballant ses ‘valseuses' ?
Voilà, c'est ça, après ‘le gendarme' ou ‘les visiteurs', voici ‘les valseuses en Amérique', un touillage de baston, un retour de kick pour un rode-movie hexagonal lorgnant du côté de chez Sam.
Bon, ne boudons pas notre récréation cependant, j'ai passé un bon moment de lecture quand même, mais je n'ai pas fait rugir les chevaux (mécaniques) du plaisir que j'attendais, que j'espérais !! Je n'ai ni soulevé la poussière ni explosé mes bronches, j'ai aimé, j'ai bien aimé même mais sans faire trembler les murs de Jéricho.
Alors, le pistolet bien en main je remplis docilement mon recevoir (1€56 le litre chez Total Energie), je mets sagement mon clignotant qui tic-tac comme les gaz qui vroum vroum, déboîte prudemment (oeil dans de retro) et prends gentiment ma place dans le trafic, saturant un peu plus le cordon routier qui, je l'espère, va m'emporter tout droit vers une autre oeuvre à dévorer, un autre roman à avaler, tout en sifflotant le nez en l'air, décontracté :
‘I am the passenger and I ride and I ride
I ride through the city′s backsides
I see the stars come out of the sky
Yeah the bright and hollow sky
You know it looks so good tonight'
Merci au passage à Bashung, Cabrel, Renaud,
Iggy Pop, Dave et…Sardou (chercher l'erreur)