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Critique de Antyryia



Devoir un jour faire face à un cambrioleur fait partie de mes plus grandes angoisses.
J'en fais des cauchemars, persuadé que quelqu'un s'est introduit dans mon appartement, peut-être même dans ma chambre, et bien évidemment j'ai beau vouloir réagir je suis totalement paralysé, à la merci de l'intrus.
Même réveillé, lorsque j'entend une latte de plancher grincer, je reste sur le qui-vive et j'écoute avec inquiétude le moindre bruit qui confirmerait une présence étrangère.
Prêt à appeler la police, mais avec l'appréhension que le voleur m'entende chuchoter.
Je m'imagine souvent passer par la cuisine m'armer d'un grand couteau à viande.
Qu'est-ce que j'en ferais ? Je n'en sais rien.
Tout dépend des circonstances.
Je ne crains pas vraiment pour mes quelques biens matériels. Je ne vais pas me mettre en danger pour un téléviseur, quelques billets de banque ou ma collection de romans Bob Morane.
C'est pour ma vie que j'ai peur. Ou tout au moins pour mon intégrité physique.
Je n'appartiens pas à ces amateurs d'arts martiaux capables de désarmer et de maîtriser autrui en deux temps trois mouvements.
En tout cas j'espère ne jamais être confronté à un tel cas de figure.

Mark Francis, oncologue de renom, va prendre son courage à deux mains à la demande de son épouse Julia quand des bruits au rez-de-chaussée les avertiront de la présence d'un cambrioleur.
Les faits se déroulant en Arizona, rien de surprenant à ce que le médecin s'empare d'une arme à feu avant d'aller à la rencontre du criminel.
Il a une famille à protéger. Trois filles, et une femme qui appelle quant à elle les autorités.
Mais la confrontation entre les deux hommes va mal tourner. Un coup de feu, mortel, va accidentellement atteindre l'illustre médecin.
Le meurtrier sera arrêté peu de temps après.
Le désespoir et la soif de vengeance animeront alors la veuve éplorée dans un Etat où la peine capitale par injection létale est toujours pratiquée.
Et comment le lui reprocher ?
Sans l'intrusion de Patrick Jones à leur domicile, tout gentleman cambrioleur soit-il, son mari serait encore en vie.
"Il n'était pas tout blanc, mais il n'était pas un assassin."
Et ses filles auraient encore un père.

Dans les premiers chapitres, l'auteur évoquera également brièvement le monstrueux personnage du procureur Stephen Langford, et les attouchements qu'il fera subir à sa fille, la petite Kenza.
Les deux histoires se rejoindront rapidement.

Et toujours par alternance, il est également question d'un autre cambriolage qui tourne mal, en France cette fois-ci, dans le Val d'Oise.
Le tout jeune Ivan le terrible, du haut de ses quatorze ans, sans famille depuis sa fugue, doit réussir un troisième test pour appartenir au gang des frères de sang : Ramener un joli pactole en dévalisant la maison d'un petit vieux. Mais Raoul Granjean, certes âgé, est un ancien militaire qui ne l'entend pas de cette oreille.
"Plus moyen de dévaliser pépé sans risquer de se faire estourbir."
Là encore, le vol va tourner à la confrontation.
Et même à la torture et à l'humiliation.
La police arrêtera Ivan la même nuit.
L'auteur dresse-t-il un parallèle entre deux vols ayant mal tourné, l'un en France et l'autre aux USA ?
Ou les deux affaires sont-elles liées ?

Difficile en premier lieu de définir le genre du dernier roman de Laurent Loison.
Et je ne pense pas qu'il souhaite être mis dans une case spécifique de toute façon au vu de l'originalité du roman dans le cadre pourtant déjà si vaste du polar moderne.
Mais si je devais me prononcer, je dirais que Coupable ? est à la fois un roman noir, un thriller juridique et ... un essai.
Pourquoi un essai ? Parce que le livre est rempli de réflexions, d'interrogations, mettant fortement le lecteur à contribution.
Il ne s'agit pas juste d'une histoire qu'on lit de la première à la dernière ligne avant de connaître la fin et de le ranger mais d'une source quasiment constante de questionnements qui resteront longtemps à l'esprit.

A commencer par la culpabilité bien sûr.
C'est dans le titre.
Un homme est mort, mais est-ce la faute du cambrioleur qui s'est défendu ? Est-ce celle de Mark qui n'aurait jamais du s'interposer ? Est-ce celle de Julia qui n'aurait jamais du envoyer son mari à la rencontre de l'intrus ?
C'est surtout un concours de circonstances, au sein d'une société dans laquelle se procurer une arme à feu est aussi normal que d'avoir une brosse à dents.
Mais ce ne sont pas non plus des évènements qui ne se produisent que dans les romans.

Et le meurtrier alors, il est certes coupable mais quelle sanction mérite-t-il ?
Ce sera à la justice de trancher en écoutant les arguments du procureur et de l'avocate de la défense.
Quelques années de prison avant d'être remis en liberté conditionnelle seraient logique au vu des faits qui ne nous sont pas cachés.
Mais est-ce que la veuve peut réellement s'en contenter ? Son désir de vengeance est incommensurable, elle est dévorée par la haine mais en même temps tient le coup grâce à celle-ci.
Que ressentiriez-vous pour le chauffard qui a pris la vie de votre femme ? Pour le violeur à cause duquel votre adolescente s'est pendue ? Vous tendriez l'autre joue ? Vous feriez confiance à la justice en estimant que quelques années d'incarcération seront suffisantes ?
Sincèrement ?
"Elle n'avait envie de voir cette souillure que derrière la vitre épaisse de la chambre d'éxécution."

Le roman évoque également la peine de mort bien sûr, toujours d'actualité dans trente états américains.
Depuis 1973, plus de 150 prisonniers attendant dans le couloir de la mort ont été innocentés à temps. Combien ont fini gazés ou sur la chaise électrique alors qu'ils l'étaient tout autant ?
La peine capitale, on peut être pour ou contre, là n'est pas la question. Mais les erreurs policières et judiciaires existent, ce qu'il faut toujours garder à l'esprit.
"Personne n'a encore requis la peine de mort dans mon prétoire."

L'incarcération est également un sujet phare du roman.
Un point commun que partageront le terrible Ivan et Patrick Jones.
"Mais qui sortait réellement de cette bouche de l'enfer ? Des êtres traumatisés qui ont appris à leurs dépens que la violence fait loi."
"Comment se réinsérer après une telle épreuve."
Les prisons non plus ne sont pas une solution idéale pour remettre des criminels, quels qu'ils soient, dans le droit chemin.
Je ne pense pas qu'il faille en faire des hôtels 4 étoiles. Mais il n'en n'est pas moins vrai que la violence engendre la violence. Rares sont les prisonniers qui sont accueillis à bras ouverts après avoir purgé leur peine, et nombreux sont les récidivistes.
A quel moment considérer dans un tel système qu'ils ont enfin purgé leur peine et qu'ils ont le droit de repartir de zéro ?
Peut-on un jour leur accorder l'absolution ?

Le pardon est également un des thèmes récurrents dans Coupable ?
Même si parfois, il est impossible.
Comme quand un père nous a totalement bousillé pendant notre enfance en nous tripotant alors que son rôle était de nous protéger.
"Espérer que sa fille lui pardonne relevait de l'utopie, mais cela ne l'empêchait pas d'essayer. La rédemption était-elle seulement possible ?"
Davantage que le pardon d'ailleurs, c'est le besoin d'être pardonné qui est évoqué ici. Un besoin vital afin de repartir réellement de zéro avec un poids de culpabilité un peu moins lourd.
En prison, Ivan prendra conscience du mal qu'il a fait en torturant une personne âgée.
Il était jeune. Il était bête. Il n'a pas réalisé la barbarie de ses actes.
Alors il souhaite exprimer ses sincères regrets à sa victime. Un seul mot de son interlocuteur et ses fautes pourraient, si ce n'est être expiées, être considérablement allégées.

Le livre se dévore chapitre après chapitre ( à l'exception du cinquante-troisième qui a curieusement disparu ), jusqu'à une fin que je ne concevais pas différente avec en cadeau bonus un superbe uppercut aux dernières lignes.
Certaines parties sont très émouvantes.
Il offre en début de livre la possibilité d'éprouver de l'empathie pour la majorité des personnages, de se mettre dans leur tête, de réfléchir à tous ces points de vue différents qui se croisent et de comprendre chacun d'entre eux, aussi opposés soient-ils.
Et j'aurais en quelque sorte continué à vouloir me faire ma propre opinion.

Mais Laurent Loison ne m'en n'a pas laissé l'opportunité. Son roman prend rapidement une dimension manichéenne et à l'exception de quelques personnages demeurant nuancés, on a vraiment les gentils et les méchants.
Et devant des exactions absolument infâmes, c'est comme si je me retrouvais obligé de penser comme les gentils. Je n'avais plus le choix. Et ce choix j'aurais souhaité continuer à l'avoir tout au long de ma lecture sans qu'il me soit imposé.
Qu'on me donne des axes de réflexions sans me dire pour autant ce qu'il fallait penser.

Autre petit bémol, la romance pourtant inspirée de faits rééls qui naît entre deux des protagonistes. Elle m'a parue cousue de fils blancs. Nécessaire à l'intrigue, elle dessert au final le roman à mon sens en lui donnant un aspect un peu mièvre alors qu'il aurait gagné à rester d'une noirceur glaçante.
"L'amour, il n'y a que cela de vrai."

* * *

Après avoir entendu le plaidoyer du procureur et de l'avocat de la défense, les membres du jury s'absentent longuement pour délibérer.
Quelques heures plus tard, le président du jury remet au greffier leur décision, qui la transmet lui-même au juge.
- Au chef d'accusation "Laurent Loison a-t-il écrit un page-turner d'une redoutable efficacité", l'accusé est déclaré coupable.
- Au chef d'accusation "Laurent Loison a-t-il amené ses lecteurs à réfléchir sur la vengeance, le pardon, l'équité de la justice, l'incarcération ou la peine capitale", l'accusé est déclaré coupable.
- Au chef d'accusation "Laurent Loison a-t-il écrit un roman dénué de tout espoir sans jamais prendre parti", l'accusé est déclaré non coupable.
En conséquence, je condamne le prévenu à publier dès 2021 un roman encore meilleur.
La séance est levée.
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