« Ah ! S'il nous faut des fables, que ces fables soient du moins l'emblème de la vérité ! J'aime les fables des philosophes, je ris de celles des enfants, et je hais celle des imposteurs. »
Voltaire, L'Ingénu (1767)
Une fable est un pont fleuri d'humour, d'ironie, de fantastique, conduisant à la vérité. Elle a le mérite de nous la transmettre de manière efficace et originale. Ce livre «
La tamanoir » est précisément une longue fable dans laquelle l'auteur, David A. Lombard, en gardien de la Mémoire, nous invite à ne jamais oublier, à convoquer l'histoire et les souvenirs pour éviter la mort des civilisations, ne pas réitérer les erreurs :
« L'emprise de la violence qui conduit à la mort d'une civilisation ne peut se faire que dans l'ignorance et l'inertie des consciences. Éclairée, aucune multitude ne peut être soumise. le principal moteur de toute résistance à la sauvagerie est la mémoire. La barbarie se nourrit de l'oubli ».
Un pamphlet dans lequel, certes vous allez vous régaler de churrascos de poulet, de galletto al primo et d'empadas de boeufs, de moêlleux pães de queijo, de moquecas de lotte à la banane plantain, de roulés de mangue au fromage de chèvre, entre autres. Mais ces mets délicieux de la Fédération d'Amazonie passeront mal tant vous rigolerez, jaune, face aux vilainies de son président, j'ai nommé le fabuleux Alessandro Contente. Président populiste aux méthodes véreuses, qui n'hésite pas à se mettre en scène et à se montrer en héros dans des reconstitutions mensongères pathétiques, à recourir aux exécutions sommaires, aux arrestations abusives, aux massacres d'indiens pour mieux déforester l'Amazonie, à abroger les libertés, à nourrir les réseaux de haine pour mieux diviser. A user et abuser de maitresses. A « réduire en lambeaux le tissu social par la crainte et l'aigreur. Engendrer une attitude antipolitique. Fragiliser l'État de droit. La méfiance de l'autre conduit au repli sur soi, à toutes les phobies : xéno, homo, gyno, myrméco et autres lépidophobies, qui ne sont que la peur de l'imprévisible, de l'incontrôlable, de la vie ».
Impossible de ne pas penser immédiatement à un certain président sud-américain, n'est-ce pas ?
Heureusement, pour faire passer tout ça, de fraiches et délicieuses rasades d'humour nous sont servies tout au long du livre :
« Malgré l'heure avancée, il les reçut dans un impeccable costume trois-pièces, duquel ses chairs abondantes tentaient de s'échapper par tous les interstices, produisant une pression diffuse et constante sur les boutons, coutures, bretelles et autres fermetures Éclair, dont la fonction cohésive peinait à s'exercer sur les tissus précieux et délicats qui enveloppaient son vaste corps. Plus que tout, elle vit un signe de soumission dans le fait qu'il les recevait sans le moindre indice de nourriture à portée de main ».
Voire de franches goulées d'ironie :
« Manifestement, le bien-être des salariés était la priorité des dirigeants de l'entreprise. Cette bienveillance caractéristique de la direction des ressources humaines avait conduit les contremaîtres à garantir aux ouvriers qui dormaient sur place des prostituées trois soirs par semaine et de l'alcool tous les samedis soir ».
Le titre, «
La tamanoir » est quelque peu énigmatique, cet animal étant habituellement mis au masculin. Cet animal aux longues griffes, au museau oblong et à la grande langue toute rose se nourrissant de fourmis est l'animal de compagnie vénéré d'Alessandro Contente. Nous découvrons une relation à la fois risible, pathétique et mystique entre les deux. Contente est frileux et craint les insectes, tandis que le placide animal n'aspire qu'à rafraîchir son pelage et à gober des fourmis. le maitre ne sera pas forcément celui que l'on croit de prime abord… le président Alessandro Contente devenant peu à peu Alessandrinho.
La tamanoir n'est pas sans nous faire sourire également :
«
La Tamanoir sursauta, se remit à quatre pattes à contrecoeur, lança un dernier regard humide de plaisir au détective Tuluké et se dirigea vers la chambre à coucher, où son panier reposait au pied du lit king size dans lequel le président recevait ses maîtresses. Heureusement, la télévision était branchée sur la chaîne du Sénat ».
Autres animaux mystiques et fabuleux très présents, les Diamantes, papillons géants vénérés par les Premiers de la forêt (les peuples indigènes). Leurs grandes ailes ont la beauté et la fragilité des fleurs, et la vivacité de celles du colibri, mais l'abdomen des mâles porte un venin plus dangereux que celui du serpent corail. Ces papillons ne peuvent survivre sans le sel des autres animaux, sel présent dans la sueur et les larmes. Leur présence, rare, donne lieu dans cette fable à de magnifiques récits et d'esthétiques scènes…
Ce livre se fait également épopée. Un ensemble de personnages des quatre coins du globe vont se retrouver à la recherche d'une rivière en pleine Amazonie, rivière symbolique et métaphorique de la vie qui se raréfie puis disparait si nous n'y prenons pas garde et n'entretenons pas le devoir de mémoire.
« La rivière devient ruisseau, se perle en flaques. Bientôt, il n'y aura plus rien ici qu'une enfance d'humanité, une grande paralysie de l'Histoire, un gel du lien au passé. le peuple aveugle sera alors guidé par le pouvoir vers sa perte ».
Cette fable, entrelacement d'aventure, d'érudition et de fantastique, est d'une actualité incroyable pour réfléchir aux racines du populisme et modifier le cas échéant le cours effrayant de l'histoire, un message à nous qui avons « entre les mains le ciseau qui grave le marbre des ans ». Un tissage qui nous tient en haleine tout en nous nourrissant, combo cousu d'une écriture fluide et intelligente. Je laisse le soin à l'auteur de conclure en ces temps d'élection :
« Il faut cesser de se demander pourquoi le candidat populiste est assez bon pour tromper son monde. Après tout, il est dans son rôle. La vraie question est pourquoi les électeurs sont assez mauvais pour l'avoir élu. Il y aura toujours des candidats sournois, menteurs, incompétents ou malveillants. Ce qui change vraiment, c'est l'acuité du vote. C'est seulement ainsi que vous trouverez la faille ».
A noter la beauté du livre et la qualité de la maison d'édition, le Poisson volant, qui a pour particularité de proposer des livres traduits du portugais. Sans aucun doute des livres qui sortent des sentiers battus si on en croit ce livre original !