EN GERME.
C'est à un étonnant et, en grande part, maritime, récit d'apprentissage que
Jack London, romancier en devenir, nous convie au fil du premier roman qu'il publia en 1902. Il a alors 26 ans, il sait, peu ou prou, qu'il a tout pour devenir écrivain et même si le succès lui tarde encore un peu, ses textes trouvent de plus en plus souvent place dans les journaux de l'époque.
Or, ses souvenirs de jeune marin adolescent et pilleur d'huître au large de San Francisco sont toujours frais dans la mémoire de notre auteur. Et la verve aventurière est forte en lui, très forte. C'est ainsi, et comme souvent chez lui, qu'il puise dans ses souvenirs pour nous offrir les aventures -ramassées sur à peine une semaine- de Joe Bronson, jeune homme de 15 ans, issu d'une famille de la bonne bourgeoisie de l'époque et que les études frustrent tandis que ses lectures, ses rêves, ses désirs le portent tout entier vers le grand large et de rocambolesques expéditions au long cours.
Se sentant incompris de ses proches, à commencer par ses parents et sa tendre soeur, Joe décide de fuguer après un retentissant échec scolaire (une série de contrôles qu'il plante allègrement) et d'affronter la vraie vie - non sans laisser un mot à ses parents dans lequel il promet de revenir "un jour", lorsqu'il pourront enfin être fier de lui.
Hélas, notre jeune et innocent ignorant s'embarque sur un rafiot qui appartient à un mauvais bonhomme répondant au sobriquet de French Pete et qui est rien moins qu'un genre de petit pirate côtier, coutumier de vols en tous genres et de magouilles diverses. Par chance, se trouve à bord de cette coquille de noix un autre jeune matelot -âgé de deux ou trois années de plus que notre héro-, surnommé Frisco Kid.
Ce dernier, sans famille aucune, sans amis, sans réelle éducation autre que celle, sans pitié, de la vie et, enfin, bien que parfaitement autodidacte, est d'une vive intelligence, d'une vraie bonté et d'une empathie certaine pour notre jeune héro. Ainsi va-t-il le prendre sous sa coupe, lui enseignant les rudiment du sévère métier de marin, le protégeant contre les sautes d'humeur du capitaine flibustier, lui confiant, aussi, ses propres rêves.
Comment ces deux nouveaux amis s'en sortiront ? Bien, s'il est permis, mais ce petit ouvrage mérite bien qu'on prenne le temps de le lire pour découvrir leurs périlleuses aventures !
La croisière du Dazzler est, en effet, un roman plutôt bref de
Jack London. Bref et incisif, déjà, comme le seront les quelques deux cent nouvelles ainsi que certains des romans qui le rendront célèbres -c'est le cas de
L'Appel de la forêt -qu'il aura le temps d'écrire au cours de sa courte carrière, interrompue par une mort précoce à 40 ans.
Y sont déjà en germe, le goût de l'aventure, les défis que son immense amour de la liberté imposent à l'homme, surtout lorsque ce dernier ressent aussi, jusqu'au plus profond de ses fibres, l'injustice qu'il peut y avoir entre les individus, de part leur origine, leur classe sociale. le désir de se battre, partant du plus bas, pour arriver à se hisser au-dessus de sa condition -On retrouve sans doute un peu du Jack ancien pilleur d'huîtres chez ce jeune Frisco Kid-. L'idée que rien n'est jamais couru d'avance. L'idée, aussi, que l'éducation, la culture sont les meilleurs moyens pour sortir les classes "inférieures" de leur infériorité et même, de leurs vices. L'idée que le mal n'est pas une fatalité impérieuse et définitive, que tout individu fait, à un moment où l'autre, le choix d'avec le bien, quand bien même cette seconde route serait des plus ardues à suivre, et que tout le monde ne part pas avec les mêmes cartes.
Et puis, comme tout au long de son oeuvre immense comme dans ce premier roman, ces suprêmes idée de l'humain, de ces amitiés indéfectibles dans l'adversité - de ce grand sens de l'amour confraternel.
Et ça marche, même si l'on peut estimer ces "beaux" sentiments d'un autre temps, même si l'on se demande bien qui, à part cet homme d'exception, pu réunir tout cela dans une vie si ramassée. Si lumineuse.