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LE PARTI PRIS DE LA VIE. Sous cette entame aux consonances pongienne se cache l'un des recueils de nouvelles parmi les plus éclectiques, du seul point de vue des trames et des sujets, que Jack London ait écrit. Cette impression est encore renforcée par un second élément, c'est qu'à la réédition - assez rare - de ce recueil paru en février 1913, La Fille de la nuit, ont été joints six autres textes appartenant à une édition posthume en date de 1922, que l'éditeur avait intitulé Courage à la hollandaise mais que les éditions Phébus/Libretto ont préféré diviser en deux tomes, en raison de sujets fort différents. Si les dix nouvelles composants le recueil titre ainsi que le texte ont tous été rédigés entre les années 1909 et 1911, les six derniers sont des débuts de la carrière de l'auteur, à l'exception de la dernière, "Le droit de vivre" qui fut retrouvée dans ses papiers et qui date vraisemblablement de ses dernières années. Éclectique, sans aucun doute : On y côtoie un ancien chercheur d'or revenu à la civilisation, un homme se transformant en véritable bête sauvage à la nuit tombée, des juges corrompus, des révolutionnaires mexicain, un jeune boxeur, lui aussi mexicain, tellement dévoué à la cause qu'il se bat sur le ring, sans rien leur en dire, pour pouvoir offrir des armes aux "Compañeros", un jeune garçon accomplissant un acte quasiment héroïque mais dans la plus grande solitude et pour assurer seulement sa survie et celle des siens, etc. London nous fait ainsi voyager de l'océan déchaîné au désert mexicain, du monde blanc et civilisé au abords sauvages et glacés du Klondike, mais c'est pour mieux en retenir et, éventuellement donner, une leçon qu'il fit sienne à n'en point douter : que la vie n'est pas faite pour n'être vécue qu'à moitié ; qu'il vaut parfois mieux se brûler les ailes plutôt que de moisir dans un pseudo confort et une tranquillité d'esprit aussi vaine que futile. Nul doute que l'auteur de John Barleycorn, cette "autobiographie d'un alcoolique", de cet impressionnant témoignage que fut "Le Peuple d'en bas", du récit très autobiographique de ses premières aventures maritimes, "La Croisière du Dazzler", les récits de guerre en Corée ou au Mexique qu'il couvrit en tant que reporter ou encore de celle digne d'une odyssée contemporaine que fut La Croisière du Snark, montrent et même démontrent combien cet homme, mort épuisé à l'âge de quarante ans, avait dévoré la vie comme peu d'autres individus avant lui et sans aucun doute après lui ! C'est de cette appétit de vivre dont il est question dans chacune de ces nouvelles, souvent très brèves, présentées ici. Et si l'on peut parfois regretter un ensemble quelque peut disparate (certains de ses recueils sont beaucoup plus centrés autour d'un motif principal), on ne peut cependant qu'être enchanté par l'énergie qui en émane, la verve, la foi en la vie - à défaut d'être inexorablement dans l'homme -, la richesse des expériences. La plus troublante, peut-être, sera celle de ce Mexicain, ce jeune socialiste convaincu, se battant la nuit contre la tyrannie dans son pays et le jour contre des adversaire de boxe de l'autre côté de la frontière, le fruit de ces combats, de plus en plus féroces et épuisants au fur et à mesure de son accès à des pugilistes de niveaux supérieurs et de meilleurs gains, permettant aux révolutionnaires totalement désargentés de poursuivre le combat et d'acheter armes et munitions. Tout ou presque est là, dans cette nouvelle éprouvante (pour les nerfs du lecteurs, non pour son plaisir) : l'engagement social, le sens de l'honneur, l'énergie d'en découdre avec les autres mais aussi avec soi-même, une certaine forme de belle naïveté, de candeur, de fraîcheur, un monde d'êtres humains vrais, entiers, qui peuvent être en proie au doute mais jamais au reniements (précisons au passage que ces individus-là que London admire peuvent parfaitement être des femmes. Il en a donné plus d'un exemple dans ses romans). Y manque sans doute de cet humour corrosif que l'on retrouve dans bien d'autres de ses oeuvres. Par ailleurs, cette nouvelle serait-elle la seule à retenir l'attention qu'elle suffirait à se convaincre de se procurer l'ensemble. Or, c'est tout le recueil qui mérite attention et respect qui, sans être le plus connu ni, admettons-le, le meilleur de London, est toutefois une excellente entrée en matière pour un lecteur désireux de découvrir cette oeuvre fascinante, autrement que par son "Martin Eden" ou autre "Le Vagabond des étoiles" (dont nous ne rappellerons jamais assez à quel point ce roman méconnu est un chef d'oeuvre impressionnant). «J'aimerais mieux être braise plutôt que cendre. J'aimerais mieux être un superbe météore, chacun de mes atomes irradiant d'un magnifique éclat, plutôt qu'une planète endormie» affirme-t-il dans "La Route". Nul doute que c'est ainsi qu'il vécut. Que c'est aussi ce qu'il nous donne, sans pause inutile ni temps mort, à lire. + Lire la suite |