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Critique de Erik35


L'APOCALYPSE COMME SI VOUS Y ÉTIEZ.

Tout a débuté en 2013. le terrifiant été 2013. C'est cet été-là qu'éclata, sans vraiment prévenir, la terrible "peste écarlate". Enfin, sans prévenir... Il y avait bien eu des alertes tout au long du XXème siècle précédent, mais comme l'humanité s'en était toujours tirée en limitant les dégâts, personne ne songeait que le pire pouvait être à venir.

Ce pire, c'est l'un de ses rarissimes survivants qui le raconte soixante longues années plus tard à trois de ses petits enfants. Cet homme, devenu vieillard un peu sénile parlant de choses tellement anciennes qu'elles n'intéressent plus guère de jeunes contemporains de temps si nouveaux, en cette année 2073, c'est l'ex-professeur James Howard Smith. Et ce n'est pas sans mal ni impatience qu'il évoque un monde désormais totalement englouti.

La cause de ce cataclysme mondial fut une simple maladie, mais une maladie tellement rapide, virulente et mortelle qu'elle désorganisa en un tournemain toute la société, tous les rapports entre les survivants devenus de plus en plus clairsemés. Une maladie étrange que l'on nomma "La peste écarlate" en raison de la pigmentation d'un rouge indescriptible que la peau des malades et futures victimes prenaient une fois contaminés, une maladie déroutante puisque pour ainsi dire indolore, une affreuse torpeur où les muscles du corps se paralysait progressivement, jusqu'à l'arrêt du coeur. L'effet de ce supplice presque anodin sur les spectateurs était indubitablement effrayant. Une fois atteint, il ne leur restait plus aux malades qu'à dire adieu aux leurs - s'ils en avaient encore -, et essayer de mourir aussi dignement que leur mentalité le leur permettait.

Bien évidemment, ces premiers temps de fin du monde ne se déroulèrent pas dans la paix et la sérénité, et ce sont des scènes tour à tour émouvantes ou cruelles, insupportables de violence ou au contraire d'une humanité rare que le vieil homme décrit à ses trois petits-fils, essayant de leur faire passer un sommaire message humaniste dont ils semblent se désintéresser à peu près totalement. Puis, le vieil homme, ancien lettré, intellectuel, ayant ce que l'on appelle encore aujourd'hui un certain "verni", conte comment il dut s'adapter très vite au monde nouveau et en devenir, accepter de se joindre à l'une des trois bandes s'étant partagées, avec les rares survivants, les grands espaces désormais quasiment vides de la côte ouest des anciens Etats-Unis d'Amérique - celle des Santa Rosa, après avoir souffert le martyr sous la coupe de l'illettré "Chauffeur" -.
Mais le vieillard se refuse à croire que tout ce qui fut avant cette fin du monde, et c'est patiemment qu'il a reconstitué une sorte d'immense bibliothèque, dotée d'une méthode pour redécouvrir l'alphabet, dans une grotte à l'emplacement tenu secret.
Pour que puisse renaître, dans un avenir incertain, les ferment d'une nouvelle véritable civilisation.

Il est certain que la veine fantastique est aussi méconnue du public français qu'elle occupe pourtant une place importante dans l'ensemble de l'oeuvre de Jack London. Deux romans en sont probablement à la fois les chefs d'oeuvre et, conjointement, plus connus : le Talon de fer et le Vagabond des étoiles. Mais cela serait aussi oublier un peu facile son Avant Adam, une sorte de la Guerre du feu, de Rosny aîné avant la lettre. Il y eut aussi d'autres nouvelles, parmi lesquelles la prophétique L'Invasion sans pareil, qui pressent tout à la fois l'émergence d'un nouveau pays à l'échelon international : la Chine ; ainsi que la mise en oeuvre d'une forme parfaitement inconnue et nouvelle de guerre, à cette époque : la guerre bactériologique, comme moyen de destruction massive des êtres vivants, sans pour autant endommager les moyens de production, indispensables aux envahisseurs !

Bien sur, cela peut surprendre de voir ce cher Jack London, imperturbable matérialiste, athée convaincu et revendiqué, s'adonner au jeu difficile et hasardeux de la prospective politique, scientifique ou métempsychique. Il ne faut cependant pas oublier que s'il ne connu pas son père biologique, William Henry Chaney, astrologue de son état, son souvenir en fut certainement maintenu par sa mère - une mère sans aucune tendresse pour son fils mais avec laquelle il maintint des relations, même distantes, jusqu'à la fin - et qui pratiquait le spiritisme et fut même médium. Avec une telle généalogie, il était difficile au jeune Jack d'être parfaitement étranger à ces matières. Ce qui est en revanche nouveau dans ce très court roman construit sur sept bref chapitres très fluides et vivants - aujourd'hui, on parlerait certainement de "novella" -, c'est qu'il ne laisse à peu près aucune place à la vision socialiste, parfois cachée, d'une immense partie des oeuvres du californien. Certes, ce texte ne fut publié en livre qu'en 1915, un an avant la disparition de l'auteur, mais il fut écrit en 1911, en des temps antérieurs d'avec sa séparation définitive d'avec le parti socialiste américain. Mais cette année est une année de grande dépression morale, de scepticisme, de doutes et même si l'on est pas encore dans cette annus horribilis que fut 1913, London connait certains de ses moments les plus noirs. C'est, en particulier l'année de la publication de son recueil intitulé Quand Dieu ricane, à l'humour plus que désespérément noir.

Dans La peste écarlate, rien de cet humour cynique. En revanche, c'est à un écroulement total de notre civilisation que l'on assiste, certes par cause d'une terrible et fatale maladie, mais le personnage principal de ce petit roman apocalyptique ne le sous-entend même pas : ce malheur était prévisible, tant les alertes précédentes avaient été fréquentes et corrigées de justesse, mais sans vouloir jamais les prendre sérieusement en compte, l'humanité étant tellement arrogante et sûre d'elle. A travers ce personnage pourtant cultivé, dans un monde se croyant à l'abri de toute déchéance, c'est aussi une diatribe souhaitant mettre en garde quant à l'immense fragilité de notre culture, de notre civilisation et de sa capacité à sombrer dans ses travers les plus rétrogrades en un rien de temps. le XXème siècle n'aura malheureusement pas été avare en exemples venant illustrer et confirmer cette hypothèse... Et de constater que le retour à un certain état de nature, cher à notre Jean-Jacques Rousseau par exemple, ne coïncide pas vraiment avec une amélioration de l'être humain, au contraire, puisque c'est ni plus ni moins un retour à la plus primaire barbarie que le vieil homme n'a cessé de contempler, au fil des ans d'après la catastrophe. Demeure ce vieux rêve, cher à un Victor Hugo, entre autres, que la civilisation ne peut toutefois passer que par la culture, par la connaissance savante, la lecture et l'écriture, mais aussi par la connaissance des savoirs antérieurs, destinée à être examinée par les génération futures afin d'éviter la répétition des erreurs. Ainsi notre vieil homme tente-t-il de sauvegarder ce qu'il est encore possible de mettre à l'abri : les livres. Mais de constater aussi, avec ou sans ce "coup de pouce" qu'il est dans la nature humaine de se construire une destinée, cette dernière fut-elle bonne ou mauvaise.

Texte méconnu que celui-ci, c'est vrai, si l'on compare à des Croc-Blanc, L'appel sauvage (L'Appel de la forêt dans sa traduction la plus éhontée) ou encore Martin Eden. Mais un de ces textes exemplaires dans l'oeuvre de l'américain, par la vigueur de son style, son efficacité narrative, la modernité de son traitement. Un régal toujours renouvelé !
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