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Critique de Nastasia-B


L'Appel de la forêt (ou L'Appel sauvage dans sa plus récente traduction) est chronologiquement le premier roman de Jack London ayant pour personnage principal un chien. Il y aura ensuite Croc-Blanc ; Jerry, chien des îles et enfin Michael, chien de cirque. Ce premier ouvrage est resté probablement le plus célèbre (quoique talonné de fort près par Croc-Blanc).

L'Appel de la forêt raconte comment, après moult péripéties, un chien californien, arraché à ses maîtres, finira par redevenir sauvage dans les montagnes arctiques d'Alaska à l'époque de la ruée vers l'or, au tout, tout début du XXème siècle.

À de très multiples égards, Croc-Blanc est un symétrique inversé de cet Appel de la forêt : la situation finale de l'un étant le début de l'autre et réciproquement. J'imagine que suite au succès rencontré par le premier (et donc aux rentrées d'argent subséquentes), grande était la tentation pour Jack London — qui entendait vivre de sa plume —, de resservir le couvert sur un thème équivalent. C'est ce qu'il fit avec Croc-Blanc et il le fit très bien car, selon moi, il a su gommer dans le deuxième roman bon nombre des petites maladresses qui émaillaient ce premier opus.

En premier lieu, le côté « super héros » du héros. Ici, le héros se prénomme Buck, c'est un croisé saint-bernard et berger écossais, qui vit paisiblement dans une sorte de grande hacienda californienne, jusqu'au jour où… sa vie bascule. Et là, de rudoiement en périple, d'odyssée en calvaire, Buck va s'avérer, dans le grand nord américain situé entre Alaska et Canada, être un super athlète du genre canin, un colosse d'airain, plus intelligent, plus puissant, plus endurant, plus résistant, plus menaçant, plus je-ne-sais-quoi encore en « ant » que tous les autres, huskies et loups compris. Bref, tellement plus « plus » que cela en devient peu crédible, et c'est selon moi un défaut que l'auteur corrigera quelque peu avec son héros dans Croc-Blanc.

En second lieu, la succession un peu artificielle des différents propriétaires de Buck. Car Buck, il faut bien le reconnaître, en ces contrées hostiles du Klondike, où la découverte de l'or faisait tourner les têtes au tournant du XXème siècle, comme tous les autres chiens de traîneau, était ravalé au statut de marchandise, et, en qualité de marchandise, avait non pas un maître mais un propriétaire. Et on peut tout de même considérer que de propriétaires, Buck en a eu beaucoup : j'en ai dénombré au moins six sans compter l'infâme Manuel, l'assistant jardinier, par l'entremise duquel tout arrive. Ça fait peut-être un peu trop, six propriétaires dans une vie de chien, sachant que sa vie est encore loin d'être terminée en fin d'ouvrage. On a l'impression que dès que l'auteur n'a plus besoin d'un personnage, il le jette et s'empresse de redonner un nouveau maître à Buck. Jack London se limitera à trois pour Croc-Blanc.

En troisième lieu, j'ai tendance à être assez mitigée, voire très, lorsqu'à plusieurs reprises l'auteur nous fait état d'un supposé atavisme, à mi-chemin entre le chamanisme et la génétique, qui ferait que Buck « ressentirait » au fond de son être une disposition primitive et aurait comme « en mémoire » une représentation de l'homme préhistorique et de ses attributs, ce qui faciliterait son retour à la vie sauvage. Ça ne correspond ni à ce dont j'avais l'intuition auparavant, ni à ce que dit la recherche actuelle après vérification, c'est même tout le contraire : les chiens sont de plus en plus adaptés à la sphère anthropique et plus loin que jamais de leur ancêtre sauvage, le loup. Des compétences nouvelles apparaissent (comme suivre le pointage du doigt d'un humain) et d'anciennes disparaissent (comme se déplacer dans une même direction sur des centaines de kilomètres) : on est sur la voie d'une spéciation. le portrait comportemental de Croc-Blanc me semble beaucoup plus réaliste sur ce point : même à la fin, il demeure « handicapé » des attributs propres au chien.

Ma quatrième remarque, quelque peu en lien avec la troisième, a trait à une espèce de destinée qui transparaît en fil conducteur tout au long de la narration et qui ferait état d'une manière de prédestination de Buck à la vie sauvage. En fait, ce qui me pousse à croire qu'il s'agit d'une maladresse, c'est que cela n'est présent que pour étayer la symbolique et le message que souhaite distiller Jack London : faire l'éloge du côté brut de la nature, du retour à la force originelle, loin de l'affaiblissement généralisé de la vie civilisée. Buck est fort et il a le caractère franc, il fait les choses par conviction et non par intérêt ; bref, tout le contraire de l'image que se faisait London du citadin moyen. Donc le roman sonne à mes oreilles comme un message à l'adresse des humains, où l'animal n'est que le moyen de véhiculer ce message. C'est tout à fait différent dans Croc-Blanc et surtout dans les deux derniers romans sur les chiens où la relation homme-chien est réellement au coeur des ouvrages et me semble tellement plus pertinente.

J'imagine qu'il n'est pas utile de continuer plus longuement ce bilan « à charge » de L'Appel de la forêt comparativement aux autres romans de l'auteur dédiés aux chiens. Cela avait juste pour objectif (et non pour prétention) de comparer et peut-être de rééquilibrer les « valeurs » supposées des uns et des autres pour des lecteurs qui n'auraient lu aucun de ceux-là. L'Appel de la forêt est extrêmement célèbre, les deux derniers comparativement beaucoup moins alors que leurs qualités respectives ne m'apparaissent pas significativement inférieures, c'est même, à mes yeux, tout le contraire.

Pour le reste, c'est tout de même un roman très agréable à lire, même s'il est un tout petit peu téléphoné par moments, on ne s'y ennuie guère. Toutefois et ce sera mon dernier mot, si vous n'aviez qu'un seul roman de cet auteur à choisir concernant les chiens, et en dépit de sa popularité, j'aurais tendance à ne pas vous conseiller celui-ci. Mais comme d'habitude, vous savez à présent que ceci n'est que mon avis, qu'il n'engage absolument que moi (et encore) et surtout que comme chacun de nous possède un avis différent, celui-ci, à lui tout seul ne signifie pas grand-chose.
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