Durant notre séjour prolongé dans le refuge, nous restâmes parfaitement au courant de tout ce qui se passait dans le monde extérieur, ce qui nous permit d’apprécier exactement la force de l’Oligarchie contre laquelle nous étions en guerre. Des flottements de cette époque transitoire, les nouvelles institutions se dégageaient sous des formes plus nettes, avec les caractères et attributs de la permanence. Les Oligarques avaient réussi à inventer une machine gouvernementale aussi compliquée que vaste, mais qui fonctionnait, en dépit de tous nos efforts pour l’entraver et la saboter.
Ce fut une surprise pour beaucoup de révolutionnaires. Ils n’avaient pas conçu une pareille possibilité. Néanmoins, l’activité du pays continuait. Des hommes trimaient aux champs et dans les mines, – naturellement, ce n’étaient que des esclaves. Quant aux industries essentielles, elles prospéraient sur toute la ligne. Les membres des grandes castes ouvrières étaient satisfaits et travaillaient de bon cœur. Pour la première fois de leur vie, ils connaissaient la paix industrielle. Ils ne se tracassaient plus des heures réduites, des grèves, des fermetures d’ateliers, ni des timbres de syndicats. Ils vivaient dans des maisons plus confortables, dans de jolies villes à eux, délicieuses en comparaison des bouges et des ghettos habités jadis. Ils avaient une meilleure nourriture, moins d’heures de travail quotidien, plus de vacances, un choix plus varié de plaisirs et de distractions intellectuelles. Quant à leurs frères et sœurs moins fortunés, les travailleurs non favorisés, le peuple surmené de l’Abîme, ils ne s’en souciaient pas le moins du monde. Une ère d’égoïsme s’annonçait dans l’humanité. Encore ceci n’est-il pas tout à fait juste : car les castes ouvrières fourmillaient d’agents à nous, d’hommes qui percevaient, par delà les besoins du ventre, les radieuses figures de la Liberté et de la Fraternité.
"En jouant, en écrivant Molière & Cie" paru aux Editions du Seuil
« le quatre centième anniversaire de la naissance de Molière a donné lieu à quantité de publications, de représentations, de manifestations diverses pendant un an. J'ai rédigé des préfaces et des notes personnelles, répondu à des journalistes, joué Orgon dans Tartuffe et repris deux mises en scène des Fourberies de Scapin et du Bourgeois gentilhomme. J'appartiens à la Comédie-Française dont Molière est le saint patron, l'emblème et l'apanage. Ma fréquentation de l'oeuvre s'est finalement à peine intensifiée cette année-là en regard des années précédentes, mais la publicité générale que produit une commémoration m'a fait réfléchir, a suscité des questions dont ce livre est le résultat, la collection, le prolongement. Il est fait aussi et surtout du goût, de l'appétit, du besoin presque buccal que j'ai de Molière. »
Denis Podalydès
Denis Podalydès est sociétaire de la Comédie- Française depuis 2000. Il a mis en scène une quinzaine de pièces, parmi lesquelles "Cyrano de Bergerac" (cinq Molières en 2007, dont celui de metteur en scène). Également acteur au cinéma, il lit et enregistre régulièrement des oeuvres littéraires : Proust, Céline, Diderot, Jack London (Grand Prix du livre audio La Plume de Paon pour "Martin Eden" en 2020). Il est l'auteur de "Scènes de la vie d'acteur" (Seuil, 2006), "Voix off" (Mercure de France, Prix Femina essai 2008), "La Peur Matamore" (Seuil/Archimbaud, 2010) et de l'Album Shakespeare (La Pléiade, 2016).
Rencontre animée par Simon Daireaux
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