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Critique de StCyr


StCyr
01 novembre 2013
Le cabaret de la dernière chance est un petit saloon, inauguré en 1883, tout de bois vêtu, et qui, comme le laisse à penser son enseigne, était, à l'époque, le dernier endroit où se procurer de l'alcool avant de nombreux kilomètres dans la vaste Californie. Ce lieu est toujours debout, imprégné de la présence de Jack London et cultivant, à sa manière, son culte et sa mémoire (il est appelé aussi Jack London's rendezvous). John Barleycorn (Jean Grain d'Orge) est la figure principale de ce texte. C'est une périphrase originale pour désigner l'alcool sous une de ces formes la plus répandue, le whisky. le cabaret de la dernière chance est le témoignage de London sur l'addiction qui causa sa perte et sa contribution à la cause de la prohibition; ce texte fit date en participant grandement à l'interdiction de l'alcool aux USA en 1919

En manière de préambule l'auteur raconte, interpellé qu'il fut par sa femme, l'incitant à transmettre son histoire pour l'édification des générations futures, qu'il décida d'écrire son témoignage après avoir voté, sous l'emprise de l'alcool, en faveur des droits civiques des femmes; ces femmes, qui, dans son esprit, seraient les seules à avoir le courage de voter en faveur de la prohibition. Son propos est de décrire l'effet de l'alcool sur un individu moyen et normal, comme il se définit, buvant avec discernement, lui qui de son aveu n'a jamais eu besoin de quiconque pour se mettre au lit et n'a jamais titubé en état d'ivresse (ce que son récit démentira d'ailleurs au fil des pages…). Il débute par son enfance avec deux épisodes d'ivrognerie très précoces qui n'ont pas subi en leur temps, hormis de la part de sa mère abstinente, de censure,cela passant plutôt comme des épisodes coquasses dont on se souvient avec le sourire. Il évoque les pièges et séductions de l'alcool, synonyme de virilité, tribut à la camaraderie des gens de mer, sa grande disponibilité dans des endroits autorisés, omniprésents à chaque coin de rue, saloons et cabarets, offrant leur chaleur l'hiver et l'ombre et la fraîcheur l'été. Ces endroits où tout est possible, rixes ou descentes de police, sont des lieux romanesques où le merveilleux ou la tragédie guettent, riches d'une vie mouvementée tranchant avec la monotonie de la vie ouvrière. Et puis la bière coûtait moins cher que le ginger-ale! Pour Jack London, qui n'avait pas d'appétence de prime abord pour la dive bouteille, l'alcool était plutôt le support à la vie sociale, aux rencontres, à l'amitié virile. Toujours soucieux de ne pas être en reste et fort satisfait de sa robuste constitution physique, il mettait un point d'honneur à boire autant sinon plus que ses amis de rencontre. Puis vient l'accoutumance par un phénomène de tolérance physique, l'alcool devient un stimulant, on boit seul, régulièrement, en cachette, il devient un besoin impérieux pour pouvoir se produire en public et affronter la vanité de l'existence et la médiocrité de relations mondaines. On réalise que l'écrivain, malgré sa confession, semble toujours dans le déni, ne se jugeant pas alcoolique, conforté dans son opinion par certaines périodes d'abstinences. Par ailleurs ce texte autobiographique apporte un éclairage précieux dans l'oeuvre romanesque de London; on y découvre un homme aux milles vies, précoce, robuste et inlassable travailleur, multipliant les métiers : crieur de journaux, ramasseur de quille de bowling, ouvrier dans une usine de fabrique de conserve, pilleur d'huître, embarqué comme rameur sur une goélette pour le Japon et la chasse aux phoques, employé dans une usine de jute, esclave à remuer du charbon dans une centrale électrique, ouvrier dans une blanchisserie, protagoniste de la première ruée vers l'or dans le Klondike, nouvelliste, feuilletoniste, correspondant de guerre en extrême-orient et, enfin, écrivain à succès. Il est à noter la présence récurrente et prémonitoire (cet écrit paru trois années avant sa mort) de l'idée du suicide.

Je ne partage pas la conviction intime de l'auteur, que pour supprimer l'ivrognerie, il faut empêcher de boire. On connaît d'ailleurs les effets désastreux qu'a eu la prohibition sur le développement de la criminalité au USA. J'ai par ailleurs trouvé un Jack London assez complaisant envers lui-même quand il s'agit d'évoquer sa forte constitution physique, sa situation enviée, sa gloire, sa richesse. J'ai aussi été légèrement lassé par l'emploi trop récurent de la périphrase John Barleycorn. Il n'en demeure pas moins que la confession est courageuse et à valeur d'oeuvre utile et d'avertissement aux générations à venir. J'ai particulièrement aimé le chapitre 35 ayant trait à la vie, à l'erreur consubstantielle à celle-ci et nécessaire à son maintien. Ce texte ravira les inconditionnels de Jack London.
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