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François Postif (Traducteur)
EAN : 9782859405991
256 pages
Phébus (23/10/1999)
4.18/5   443 notes
Résumé :
[NB : "The People of the Abyss" (1903) a été édité sous 2 titres différents : "Le Peuple d'en bas" et "Le Peuple de l'abîme"]
1902. London, déguisé en clochard, se perd pendant trois mois dans les bas-fonds de Londres, et en rapporte ce témoignage terrifiant. Loin des avenues de l'aventure, mais au plus près des réalités d'un siècle qui, décidément, commençait sous de bien sinistres couleurs.
Durant l'été 1902 , jack London descend au cœur des ténèbres... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (68) Voir plus Ajouter une critique
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En 1902, à 26 ans, déjà connu, Jack London, au lieu de s'en aller faire la fête dans les pubs, se donne 90 jours pour mener une enquête sur la pauvreté à l'est de Londres. Dans cette étude, il montre un sacré courage et une grande conscience des problèmes sociaux, politiques et judiciaires de l'époque.
Pour préparer sa "visite", il s'adresse préalablement à l'agence Thomas Cook de Londres (si si elle exixtait en 1902!) mais on le prend pour un fou quand il annonce sa destination et il n'obtient ni renseignement ni adresse. Alors, il lui fauda payer un détective, pour lui trouver un logement pas trop loin de son lieu d'étude, et très cher un cocher pour s'y rendre.
Comme son nom ne l'indique pas, Jack London est américain. Il a déjà pourtant cotôyé des miséreux dans son pays mais, il ne s'attendait pas à rencontrer à Londres une telle misère qui touche autant de monde. Dans la plus puissante nation du monde!
Le logement, le travail. Tout y manque! Avec, comme corollaires, la nourriture et l'hygiène.
A la lumière de ce témoignage plus de cent ans plus tard, on ne peut être que constater et se désoler de retrouver les mêmes conséquences pour les mêmes causes. Jack London dénonce la grande précarité du travailleur et sa mise en concurrence permanente avec un salarié moins cher. Un nivellement vers les bas salaires qui ne peut qu'engendrer une immense précarité.
Cette immersion dans le monde des exclus est une source d'informations de premier choix. Grâce aux nombreux témoignages et aux documents administratifs et judiciaires (ces derniers, tristement répétitifs) qu'il a compilés on peut lire un essai fort complet avec, en plus, la prose, la sensibilité et l'engagement d'un écrivain unique.
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Le peuple d'en bas ( le peuple de l'abîme ) est le témoignage édifiant que livre Jack London sur les conditions de vie miséreuses que connait la population pauvre reléguée dans le quartier de l'East End de Londres. L'immersion est incomplète car il sait qu'il a un point de chute confortable où dormir, manger à sa faim, reprendre des forces et surtout éviter la vermine, qui pullule dans les taudis insalubres, les asiles, et autres garnis,..... une échappatoire inaccessible aux habitants qu'il côtoie.
En se mêlant quelques temps à cette population pauvre, il va mener une enquête qu'il étaye d'extraits de rapports de police, d'articles de journaux, de rapports de parlementaires, d'articles économiques, de statistiques, d'extraits de livres de certains auteurs ayant dénoncé eux aussi, ces conditions de vie dans l'East End.
Dans son témoignage il décrit non seulement ce qu'il voit et les conséquences mais ce qui fait la différence et l'intérêt remarquable de son témoignage, c'est qu'il en analyse les causes.........remettant en question le mode de fonctionnement des asiles ou de l'armée du salut qui conditionne le gîte et le couvert à des journées de travail harassant ou à des séances de prières obligatoires tellement longues qu'il est impossible dans la journée ainsi entamée, d'avoir encore le temps de trouver un travail mieux rémunéré. Il illustre ses réflexions d'exemples concrets comme l'histoire de ce docker autodidacte qui, une fois instruit, s'attache à défendre le droit de ses congénères mais qui finira blacklisté par les patrons, traité comme un paria et finira comme indigent.
La précarité est telle pour les pauvres, qu'une blessure ou une maladie peut faire basculer en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, une personne ou une famille entière, qui était à la limite de la pauvreté, dans la misère la plus noire sans espoir de pouvoir remonter l'échelle sociale, échelle sociale de toute façon inaccessible aux plus faibles (femmes, enfants, personnes âgées)...
Analysant les situations, il les replace dans un contexte plus large - économique avec le modèle capitaliste, social, judiciaire - ou les biens sont plus protégés que les êtres - rendant par là-même, son analyse universelle.
Le peuple d'en bas est un témoignage marquant sur des conditions de vie effroyables et un plaidoyer intelligent contre un système pervers qui écarte toute une population en créant la misère et en l'y maintenant, un témoignage écrit par un jeune homme de vingt-six ans, qui a connu la route et le vagabondage et suffisamment mûr pour retranscrire avec intelligence l'inénarrable.
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De l'air ! On remonte de ce peuple de l'abyme les poumons comprimés et les sens bourdonnant comme après un séjour prolongé dans un bain fétide et révoltant.

La pauvreté endémique de l'East London du début du siècle dernier avait beau être ce qu'elle est et on a beau le savoir, il faut toute l'empathie et la flamme de Jack London pour en ressentir toute l'abjection et bouillir de fureur à découvrir sous sa plume à quel point cette misère est si cyniquement voulue et organisée pour faire fonctionner la grand machine industrielle naissante et garder ses profits dans les mêmes poches.

Certes, il y a dans le ton un peu de la supériorité de l'Américain qui contemple la vieille Europe ainsi qu'un manque d'objectivité évidente et d'ailleurs pleinement assumée dans le propos, mais je ne connais que London, dont je découvre ici parmi ses multiples facettes le talent de reporter voire de précurseur du new journalism, pour mettre en regard l'une de l'autre l'image de miséreux vêtus de guenilles errant la nuit dans les rues de Londres, restant debout bien que morts de fatigue car interdits de sommeil sur les bancs publics, scène terrible opposée à celle du faste indécent du défilé des élites au couronnement d'Edouard VII.

Ce témoignage courageux et engagé d'un des auteurs les plus fascinants de l'entre deux siècles est une lecture éprouvante, qui ne va pas arranger la subjectivité de mon regard sur Jack London, mon auteur chouchou que j'adore un peu plus à chaque découverte.
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Voici encore une lecture dont on ne sort pas indemne et qui me hantera durant de longues années.

Pourtant, je savais dès le départ que la vie dans l'East End n'avait rien d'une réjouissance et que les pauvres gens qui y vivaient le faisaient dans des conditions misérables et très peu hygiénique.

Mais ce que je pensais, ce que je savais était en deçà de la réalité et il fallait bien l'enquête de Jack London pour nous faire découvrir les choses horribles qui faisaient de l'East End un endroit pire que les abîmes décrites dans la Bible.

Comment est-ce possible autant de misère noire, des gens qui ne mangent pas à leur faim tous les jour, qui ne trouvent pas de travail, alors que l'Angleterre est à son apogée, toute puissante et civilisée ?

Mauvaise gestion, comme toujours… Et Jack London ne se prive pas de nous l'expliquer en fin d »ouvrage, avec chiffres à l'appui, et je vous jure que ça fait froid dans le dos.

Quant aux associations qui, soi-disant, aidaient les gens de l'East End à s'en sortir, elles le faisaient mal, puisqu'elles abordaient les problèmes avec des idées complètement fausses, même si elles étaient sincères car hélas, elles approchaient l'existence de ces malheureux sans la comprendre.

Sans entrer dans les détails, je vous dirai que j'ai lu la misère des pauvres gens qui vivaient entassés à 6 ou 8 dans la même pièce, qui sous-louaient à d'autres une place assise par terre, ou, pire encore, je ne vous parlerai pas du même lit loué à trois personnes différentes, chacune l'occupant à tout de rôle selon son horaire…

Il y a, dans ses situations miséreuses, une sacrée dose l'illogisme et le terrible cercle vicieux de celui ou celle qui se faisait broyer et qui n'avait plus la possibilité de s'en sortir.

Illogique dans le sens où les gens qui allaient dormir une nuit à l'asile se devaient de se réaliser des travaux pour cet asile, travaux lourds, sales, qui leur auraient rapporté plus qu'un morceau de pain sec s'ils l'avaient réalisé pour le pire des patrons capitalistes !

Oui, l'exploitation de la misère humaine se faisait sur le dos des plus pauvres et par les institutions qui auraient dû les aider… Et qui au lieu de ça, les faisait plonger toujours un petit peu plus dans l'abîme.

Illogisme aussi dans le fait que les policiers empêchaient les clochards de dormir à la belle étoile, forçant ces pauvres gens à porter la bannière (comme on dit) jusqu'aux petites heures (marcher tout le temps), jusqu'au moment où l'on ouvrait les parcs publics (vers 4 ou 5h du mat') et où tous ces gens, épuisés de leur nuit blanche, allaient s'étaler sur des bancs, choquant ensuite les gens biens pensants qui les trouvaient, à 10h du matin, en train de ronfler sur les pelouses.

Sans parler du sadisme dans le fait que l'argent que certains nantis donnaient aux pauvres, ils l'avaient eux-mêmes arraché aux pauvres via les loyers indécents ou sur le prix des marchandises de première nécessité…

Là, on ne m'apprend rien, je le savais déjà, hélas…

Facile… Certains riches propriétaires louaient des taudis à des prix prohibitifs, amassaient du fric sur le dos des habitants de l'East End, puis, ces messieurs bien-pensants allaient ensuite tranquillement à l'église, se permettant même, en plus, de conseiller les travailleurs sur la meilleure façon d'utiliser l'argent qu'il leur restait, celui que ces riches patrons ou proprios n'avaient pas pris.

Sade, reviens, on a trouvé plus sadique que toi ! Machiavel, c'est de toi ces belles idées ? Non, tu n'avais rien inventé, juste observé l'Homme et ses pires travers.

L'Homme est un loup pour l'Homme, et cette citation ne rend pas hommage aux loups qui sont plus civilisés que certains Humains, riches à foison, et qui veulent devenir encore plus riche, le tout sur le dos des plus pauvres, sinon, c'est pas drôle.

Je pourrais vous en parler durant des heures de ce superbe roman et vous donner à vous aussi, l'envie d'aller vomir sur le genre humain.

Riche idée, en tout cas, qu'à eue Jack London, de se déguiser en clochard pour aller explorer ces quartiers interdits de Londres – cette face cachée, soigneusement cachée, du plus puissant empire de la terre.

Et encore, London avait encore cette chance de n'être là qu'en immersion et d'avoir la chance, ensuite, de rentrer dans son petit logement, de se laver, de se changer, de pouvoir dormir sans risque d'être dérangé, seul dans son lit et de pouvoir manger, alors que les autres étaient condamnés à marcher dans les rues, le regard rivé au sol, se baissant sans cesse pour se nourrir de miettes, de pépins de fruits, de trognons de chou noirs de suie échappés au balai de l'éboueur.

Un roman noir très fort, douloureux, qui ne sombre jamais dans le pathos, se bornant à nous rapporter ce qu'il a vu, entendu ou "testé" lui-même.

Jack London a un talent de conteur, c'est, en plus, un observateur impitoyable et j'aurais aimé lire sa première version, celle dans laquelle il mettait l'accent sur la responsabilité des gens en place et du roi Edouard VII, mais l'éditeur a préféré qu'il mette l'accent sur les faits divers liés à la criminalité.

Dommage… Malgré cette censure qu'on lui demanda, on a toujours une petite pique envers le pouvoir en place.

Il n'en reste pas moins que ce roman est la description d'un Enfer sur terre et que les portraits qu'il nous livre sont fouillés, sordides, touchants, inoubliables.

Un roman qu'on lit mal à l'aise parce que nous, on ne vit pas à 8, ou 10, ou 12 dans une même pièce, sans fenêtres et que tous les jours, on mange au moins plus qu'à notre faim.

Une véritable immersion, sans fards, sans artifices, sans édulcorants dans la misère la plus noire, une description des lieux et des faits sans concession, une critique acerbe de la société des riches, de la société bien-pensante, une dénonciation de cette abomination et la preuve, noir sur blanc, que ces pauvres gens n'en pouvaient rien et n'auraient jamais pu s'en sortir, pas à cause d'eux, non, mais à cause du système capitaliste, un système pervers qui crée la misère et qui y maintient les gens.

Méditons sur cette phrase "La civilisation a centuplé le pouvoir de production de l'humanité et, par suite d'une mauvaise gestion, les civilisés vivent plus mal que des bêtes".

Lien : https://thecanniballecteur.w..
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Il y a ceux qui croient au ciel, il y a ceux qui choisissent de ne pas y croire, puis il y a ceux qui n'y pensent même pas tant ils sont occupés à survivre et au lieu de vivre. Ces personnes sont les East Enders en 1902 qui espéraient trouver une vie meilleure à Londres mais comme le dit un certain dicton le mieux est l'ennemi du bien.Et ils se retrouvent des centaines d'hommes, de femmes et d'enfants piégés par la ville et l'ère industrielle, ils sont pris dans une boucle infernale où travailler, manger et dormir sont les conditions essentielles à leur survie.
Jack London a eut assez d'hummanité pour s'intéresser à leur sort.Il s'est immergé dans l'East End quelques semaines pour en savoir plus et nous rapporter ce récit. Je me suis retrouvée en apnée le temps de sa lecture qui fut très éprouvante. Nous compatissons souvent aux horreurs de la guerre mais nous devrions aussi penser à la misère et aux souffrances quotidiennes des migrants, des habitants des bidonvilles et des décharges dans certains pays Je m'excuse pour tous les exclus que j'oublie.
C'est une lecture coup de poing car toujours d'actualité que je recommande à tous sauf aux dépressifs.
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Citations et extraits (91) Voir plus Ajouter une citation
Pour vous montrer comment un bon ouvrier peut, en quelques mois, devenir un inapte, et pour vous faire toucher du doigt ce qui est alors son existence, je (Jack London) ne puis résister à l'envie de vous communiquer un extrait annuel du Syndicat, et qui concerne McGarry, âgé de trente-deux ans et pensionnaire de l'asile des pauvres :

"J'étais employé chez Sullivan, à Widnes - cet établissement est plus connu sous le nom de British Alkali Chemical Works. Je travaillais dans un hangar, et je devais traverser une cour. Il était dix heures du soir, et il n'y avait aucune lumière. Comme je traversais la cour, j'ai senti quelque chose s'enrouler autour de ma jambe et me la broyer. J'ai alors perdu connaissance, je suis resté dans le coma pendant un jour ou deux. Dans la nuit du samedi au dimanche suivant, j'ai repris conscience, j'étais à l'hôpital. J'ai demandé à l'infirmière ce qu'il en était de mes jambes, et elle m'a répondu qu'on avait dû les couper toutes les deux.
"Il y avait une manivelle dans la cour, plantée à même le sol, dans un trou de dix-huit pouces de longueur sur quinze de largeur et quinze de profondeur. La manivelle tournait dans ce trou à raison de trois tours par minute. Il n'y avait aucune protection pour entourer ce trou, aucune couverture. Depuis mon accident, on l'a fermé, et on l'a recouvert d'un morceau de ferraille... On m'a donné vingt-cinq livres, non pas comme dédommagement - on m'a dit que c'était une charité qu'on me faisait. J'ai été obligé, sur l'argent qu'on m'avait donné, de payer neuf livres un chariot pour me véhiculer.
" J'ai eu les jambes broyées quand j'étais à mon travail. J'étais payé vingt-quatre shillings la semaine, ce qui est légèrement supérieur à la moyenne des salaires des ouvriers de l'usine, je faisais en effet du boulot à la demande. Quand il y avait de gros travaux, c'est moi qui les faisais. Mr Manton, le chef, est venu plusieurs fois me voir à l'hôpital. Lorsque je suis allé mieux, je lui ai demandé s'il pouvait me redonner du travail. Il m'a assuré que je n'avais pas à m'en faire, car l'usine n'était pas si inhumaine que ça, et que de toute façon je n'aurais pas à m'en plaindre... Il a subitement cessé ses visites. La dernière fois, il m'a dit qu'il avait pensé à demander aux directeurs de me faire parvenir cinquante livres pour me permettre de retourner chez moi, auprès de mes amis, en Irlande."

Pages 164-165
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"C'est un bel homme, avec d'abondants cheveux noirs, des yeux expressifs, un nez et un menton finement ciselés et une moustache tombante." C'est dans ces termes que le reporter de mon journal décrivait Frank Cavilla, le jour où il a comparu au banc des accusés, ce triste mois de septembre, "vêtu d'un costume gris, très usé, et ne portant pas de faux col."
Frank Cavilla exerçait, à Londres, la profession de décorateur d'appartements. Il a la réputation d'être un bon ouvrier, régulier dans son travail, sobre, et ses voisins sont unanimes à reconnaître qu'il était un gentil mari et un père affectionné.
Sa femme, Hannah Cavilla, était elle aussi grande, belle et n'avait que peu de soucis. Elle veillait à ce que ses enfants arrivent bien propres et bien lavés - tous les voisins ont pu le constater - à l'école primaire communale de la rue Childeric. Et aussi, un tel mari, qu'elle dorlotait, qui avait un travail régulier et ne buvait pas, tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes et l'on mettait souvent les petits plats dans les grands.
C'est alors que le malheur se produisit. Frank Cavalla travaillait pour le compte d'une certain Mr Beck, entrepreneur qui le logeait dans l'une de ses maisons sur la route de Trundley. Mr Beck fut jeté à bas de son cabriolet, et tué sur le coup. La cause de cet accident était un cheval fougueux, et, à cause de la mort de Mr Beck, Cavilla dut chercher un nouvel emploi, et un nouvelle maison.
Cela s'est passé il y a dix-huit mois. Pendant dix-huit mois, il s'est battu comme un pauvre diable. Il avait bien trouvé quelques chambres dans une petite maison sur la route de Batavia, mais n'arrivait pas à joindre les deux bouts. Il ne pouvait pas obtenir de travail régulier, ce qui l'obligeait à prendre un peu tout ce qui se présentait, et il voyait sa femme et ses quatre enfants dépérir sous ses yeux. Lui-même ne mangeait pas à sa faim, il était devenu très maigre, puis tomba malade. C'était il y a trois mois, et ils n'avaient plus rien à manger. Ils ne se plaignaient pourtant pas, ne disaient pas un mot, mais entre pauvres, on se comprend sans parler. Les ménagères de la route de Batavia leur faisaient porter de la nourriture, mais les Cavilla étaient si respectables que tout se passait anonymement, mystérieusement, de façon à ne pas heurter leur fierté.
La catastrophe était arrivée. Il avait combattu, il s'était privé et avait souffert comme un diable ces dix-huit derniers mois. Il s'était réveillé un beau matin de septembre, à l'aube, avait ouvert son grand couteau de poche, et avait froidement tranché la gorge de sa femme, Hannah Cavilla, qui avait trente-trois ans, puis celle de son fils aîné, Frank, âgé de douze ans. Il égorgea ensuite son deuxième fils, Walter, huit ans, puis sa fille Nellie, quatre ans, et, pour terminer, son dernier-né, Ernest, qui n'avait que seize mois. Il passa le reste de la journée à veiller ses morts, jusqu'au soir, lorsque la police arriva. Il leur dit de glisser un penny dans la fente du compteur à gaz, pour qu'ils puissent avoir de la lumière pour voir.
Frank Cavilla se tenait debout devant le tribunal avec son petit costume gris très élimé et sans faux col. C'était un bel homme, à l'abondante chevelure noire, aux yeux expressifs, au nez et au menton délicatement ciselés, et dont la lèvre supérieure s'ornait d'une moustache tombante.

Pages 215-216
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Il y eut une époque où les nations d'Europe enfermaient les Juifs indésirables dans les ghettos. Aujourd'hui, la classe dominante, celle qui détient l'argent, par des méthodes moins arbitraires mais tout aussi rigoureuses, a confiné les travailleurs indésirables, mais cependant indispensables, dans d'immenses ghettos d'une pauvreté incommensurable. L'est de Londres est un ghetto où n'habitent ni les riches ni les puissants de ce monde, et où le touriste ne met jamais les pieds – mais où deux millions de travailleurs s'y entassent, y procréent et y meurent.
(...)
Cette ville n'est pas composée que de taudis, comme certains le pensent, mais elle n'est qu'un gigantesque taudis. Du simple point de vue de la décence et de la propreté, qu'on serait en droit d'attendre dans ce grand rassemblement d'hommes et de femmes, chaque rue, parmi toutes les rues, n'est qu'un taudis en elle-même. L'endroit où les spectacles indécents et les jurons abondent, spectacles et jurons que ni vous ni moi n'aimerions faire voir ou entendre à nos enfants, est un endroit où les enfants des hommes ne devraient vivre, ni regarder, ni écouter. Et là même où vous ne voudriez pas (ni moi non plus d'ailleurs) que vos épouses demeurent, la femme de n'importe quel autre individu ne devrait pas avoir à y vivre. Car ici les obscénités et la vulgarité brutale de la vie s'étalent de tous côtés. Il est impossible d'avoir d'intimité – le mauvais corrompt le bon, et tout se pourrit par osmose. L'enfant innocent est gentil et tout plein de beauté ; mais dans l'est de Londres, l'innocence est chose fugitive, et il vaut mieux rattraper le nouveau-né avant qu'il ne quitte son berceau, en rampant, ou vous risquez fort de découvrir qu'il en sait déjà, malheureusement, autant que vous.

L'application pure et simple de la règle d'or fait que l'est de Londres est un endroit impropre à la vie. L'endroit où vous ne voudriez même pas que votre propre enfant vive, grandisse, et ramasse tout seul la connaissance des choses de la vie, n'est pas un endroit décent pour d'autres hommes. Cette règle d'or est fort simple, ainsi que tout ce qu'elle implique. L'économie politique et la survivance de ceux qui sont mieux adaptés ne valent rien, si l'on s'exprime autrement. Ce qui n'est pas bon pour vous ne peut être bon pour les autres, un point c'est tout. (chap. XIX)
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Le gosse qui vole quelques poires à une très florissante compagnie de chemin de fer constitue une bien plus grande menace contre la société que la jeune brute, qui sans aucune raison, se livre à des voies de faits contre un vieillard de soixante-dix ans.

Tribunal de simple police de Glasgow :
- A comparu devant le bailli Dunlop Edward Morrison, un jeune garçon reconnu coupable d'avoir volé quinze poires dans un camion stationné devant la gare. Huit jours de prison.

Sessions du tribunal de la ville de Salisbury :
- Devant le maire, MMs C Hoskins, G. Fullord, E. Alexander, a comparu James Moore, accusé d'avoir volé une paire de bottes à l'extérieur d'une boutique. Trois semaines de prison.

Tribunal de simple police de Worsop :
- Devant le révérend Massinberg, le révérend Graham et Mr Lucas Calcraft a comparu George Brackenbury, un jeune travailleur, accusé de ce que les juges ont caractérisé comme "voies de fait brutales et sans provocation" sur la personne de James Sargent Foster, un vieillard de plus de soixante-dix ans. Condamné à 1 livre d'amende, plus cinq shillings et six pence de frais.
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Le 16 octobre 1916 - un mois et six jours avant sa mort - Jack London écrivait à un admirateur curieux de connaître ses livres préférés.
"Je crois avoir mis mon coeur dans "Le peuple de l'abîme" plus que dans n'importe lequel de mes livres".
Lorsqu'en octobre 1903, "Le peuple de l'abîme" paraît chez Macmillan à New-York, Jack London a vingt-sept ans.
Depuis quelques mois "L'appel de la forêt" l'a rendu célèbre.
Chantre de l'aventure et de la vie dangereuse, apôtre de l'énergie et de l'effort récompensé, il est considéré - flatteuse compensation ! - comme le Kipling du Froid.
Image de marque que "Le peuple de l'abîme" va dégrafer pour faire apparaître celle, moins rassurante, de l'écrivain révolutionnaire...
(extrait de l'introduction "Prélude au "Talon de fer")
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