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A chaque fois que je lis un nouveau livre de Jack London, je suis ébahie… Comment diable ai-je pu gâcher tant d'années à ignorer l'oeuvre de ce merveilleux auteur, alors que j'aurais dû passer des nuits blanches à béer d'admiration devant chacun de ses romans ? « Martin Eden » ne fait pas exception et je suis un peu honteuse d'avoir tant tardé à l'ouvrir, alors qu'il trainait depuis plus d'une année sur mon bureau. Un plaisir retardé n'en est pas moins intense et, une fois la première page tournée, le roman m'a littéralement fondu entre les mains. Ce bouquin est absolument brillant ! Si brillant, si complexe, si riche que je ne sais par quel bout l'aborder pour faire partager mon enthousiasme. Histoire de ne pas déroger à une routine bien établie, je débuterai donc par la traditionnelle présentation de l'intrigue, parce que c'est facile et que cela me permet de débroussailler mes idées pour la suite.

Alors, « Martin Eden », de quoi ça parle ? Ou plutôt qui est « Martin Eden » ? Eh bien, Martin est un marin de vingt ans, aux épaules larges et aux bras musclés, un petit dur capable de dérouiller n'importe poivrot en quelques crochets bien ajustés, pas stupide – loin s'en faut – mais complètement ignorant comme la majorité des malheureux de sa classe sociale. Après avoir sauvé un jeune homme de bonne famille d'un pugilat, il est invité à dîner dans la famille de celui-ci. L'épreuve est terrible pour ce jeune colosse, terrifié à l'idée de commettre une maladresse et de ne pas savoir que répondre à ces riches bourgeois bien habillés et cultivés. Mais à l'arrivée chez les Morse, Martin voit une apparition, un éblouissement : Ruth Morse, la fille de la maison ! Aussitôt fou amoureux de la jeune femme, Martin désespère d'être jamais digne d'elle, si belle, si pure et si savante.

Afin de devenir son égal et de la conquérir, Martin se lance à coeur perdu dans l'étude. Doté d'une intelligence, d'une sensibilité et d'une force de volonté hors-du-communs, il se passionne pour tous les champs de la culture, de la poésie à la biologie en passant par la politique, et découvre dans les livres un univers plus vaste et plus magnifique que tout ce qu'il avait pu rêver auparavant. de l'apprentissage, il passe naturellement à la création et se lance sur le terrain périlleux de la littérature, confiant dans son génie et dans son imagination fertile. Ce que Martin ne comprend pas et qu'il ne saisira que trop tard, c'est que ces beaux et riches bourgeois ne sont guère différents des matelots ivrognes et des ouvrières aux mains couturées de cicatrices qu'il souhaite si ardemment laisser derrière lui ; qu'ils sont tout aussi obtus, bornés et refermés sur eux-mêmes. de rêves fous en échecs, d'échecs en cruelles désillusions, Martin Eden fera son apprentissage amer du monde dit « civilisé », jusqu'à que, par miracle, ses yeux se dessillent enfin, mais trop tard, bien trop tard pour sauver son âme et son talent...

Considéré à juste titre comme l'un des chefs d'oeuvre de Jack London, « Martin Eden » s'est révélé pour moi la plus belle expérience de lecture de ces derniers mois. L'écriture de London est d'une force rare et rend captivante l'épopée intellectuelle de ce jeune marin affamé de reconnaissance sociale. On suit les épreuves traversées par Martin Eden, ses nuits à trimer sur quelques vers de poésie, ses journées d'étude et de labeur exténuantes avec autant de passion que l'on en mettrait à lire un récit d'aventures maritimes ou polaires – à ceci près qu'ici le voyage est cérébral, ce qui ne le rend pas moins dangereux et désespéré.

L'analyse de la société américaine de l'époque est brillante, subtile et d'une acidité à retourner l'estomac des âmes trop sensibles. Elle reste d'ailleurs d'une actualité féroce malgré le siècle écoulé depuis la mort de Jack London. Quant à l'analyse des caractères, n'en parlons même pas… Il y a du thriller psychologique dans Martin Eden et d'une très grande qualité, qui plus est ! L'ensemble du livre est sublime, mais j'avoue avoir été particulièrement soufflée par la fin. Les tout derniers paragraphes sont parmi les plus puissants que j'ai eu l'occasion de lire et j'en suis encore un peu sonnée. Un roman semi-autobiographique tristement prophétique quand on pense à la fin tragique de London : glaçant mais superbe !
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L'histoire de Martin Eden commence par l'ouverture d'une porte chez un inconnu. Dès la première page, la portée symbolique est posée : ouvrir une porte vers l'inconnu. (C'est cruellement d'actualité !) Qu'y aura-t-il derrière cette porte ? Si on l'ouvre, c'est qu'on en espère quelque chose. Et si nos attentes s'avèrent déçues, libre à nous de faire marche arrière et de refermer cette porte, non ?

Eh bien, d'après moi, c'est là tout l'enjeu du roman. Que se passe-t-il lorsqu'on franchit le seuil d'une porte ? Y a-t-il un retour en arrière possible ? Martin Eden est un rude gaillard de la classe populaire. Un gars qui s'est forgé à la force des poings et à la sueur de son front. Il est né dans une famille qui avait déjà bien d'autres chats à fouetter pour se maintenir à flot que d'offrir au jeune Martin le confort, le savoir ou l'affection.

En pareil cas, certains tombent dans l'alcool, la délinquance ou vivotent en s'érodant la santé pour un misérable salaire de cacahuètes à décortiquer. Martin a connu ça et même un peu plus que ça. Il a versé dans presque tous les travers qui s'offrent aux gens de sa catégorie. En plus, il a baroudé, il a connu des filles, il a commencé d'user sa fringante jeunesse sur les bateaux et dans les ports du Pacifique. Trente-six métiers, trente-six misères, comme on dit…

Mais Martin a soif de vivre ; il aime la vie : il la mord à pleines dents et brûle les journées par les deux bouts. Il sait qu'il est malin et il a foi en lui. Il sait, tout au fond de lui-même, qu'il n'est pas exactement de la même étoffe que celles et ceux qu'il côtoie ordinairement. Il a une volonté de réussir, mais pas de cette volonté vulgaire qui consiste à s'assurer une aisance matérielle, pas de cette réussite ordinaire qui se mesure à l'épaisseur du matelas de dollars sur lequel vous pouvez vous endormir chaque soir.

Non, la réussite qu'il vise, lui, concerne les choses de l'esprit. Il a soif d'apprendre, d'apprendre sur tout et partout, d'apprendre tout le temps, d'apprendre encore. C'est un observateur aigu des choses, du monde et des gens qu'il côtoie. Il en sait déjà très long sur la vie malgré son jeune âge (autour de la vingtaine) mais, au hasard d'une rixe dans la rue (à laquelle il décidera de prendre part, juste pour satisfaire à un noble instinct mais aussi, peut-être, pour la joie, pour la satisfaction intime de pouvoir coller un pain dans la gueule de quelqu'un), une rixe, disais-je, (entre un rupin et un homme de rien), une rixe donc, à l'issue de laquelle Martin Eden ouvrira une porte… une porte sur l'inconnu…

Quand Martin ouvre cette porte, entre chez ce jeune bourgeois ou, plus exactement, chez ses parents, il se sent comme un éléphant dans un magasin de porcelaine. D'un coup, sa langue lui semble aussi épaisse et gluante que celle d'un gros lézard, propre à faire un sort aux insectes mais certainement pas de cueillir les raffinés pétales de l'existence, affreusement inapte à siroter les nectars ou les perles de rosée sur les flûtes en cristal. Lui trébuche, écorche, écorne, éborgne l'anglais à chaque virage quand eux, eux, ces gens éthérés, aux mains si blanches, si fines, si impeccables qu'on pourrait presque voir au travers, tandis qu'eux volent dans les nuages de la syntaxe, utilisent des mots précieux, inconnus de lui, qui brillent en leur bouche comme un chapelet d'étoiles sur le drap noir des nuits immaculées… immaculées…

Immaculée aussi cette jeune femme aux yeux, au teint, aux cheveux, si bleus, si blanc, si blonds, la soeur de celui qu'il a aidé dans la rue. Qu'est-il, lui, Martin Eden ? Lui le sait, lui s'en doute, lui le sent palpiter dans ses veines. Mais eux, eux, qu'en savent-ils ? S'imaginent-ils seulement qu'il puisse avoir une quelconque parcelle d'étoile cachée en lui, ensevelie sous les tonnes de fange qu'ont déjà remuées ses mains et sa langue ?

Il aimerait pourtant tellement le lui dire à elle, le lui faire comprendre, le lui faire vivre, qu'il possède lui aussi des trésors. Elle est si belle, si gracieuse, si distinguée quand elle parle, si cultivée quant aux livres. Les livres ! Les livres ! Bon dieu, oui, c'est cela, les livres ! L'abîme, le fossé, l'escarpe qui existe entre lui et elle est un gouffre empli de livres qu'il lui faudra traverser s'il escompte un jour la rejoindre, sur l'autre rive du savoir et de la culture…

L'écart mais aussi le lien entre elle et lui est un livre. Un livre entre sa main à elle et sa main à lui. Et s'il l'avalait, ce livre ? Il n'y aurait ainsi plus d'écart entre sa main à elle et sa main à lui, n'est-ce pas ? Aïe, aïe, aïe. Bien plus facile à dire qu'à faire cette affaire-là. Mais il en faudrait d'avantage pour l'effrayer notre Martin Eden. S'il lui faut gravir une montagne de livres pour atteindre le sommet, il se fera alpiniste du savoir ; et s'il lui faut franchir des crevasses vertigineuses, il utilisera le piolet de son courage et de sa bouillante énergie.

Car les espoirs qu'il met en Ruth Morse justifient pour lui tous les efforts, tous les sacrifices. (Je m'arrête quelques secondes pour souligner que Ruth est bien le prénom de la jeune fille et ne fait nullement référence à un quelconque état sexuel qu'éprouverait le jeune homme. Il en va de même du nom de famille qui est à rapprocher de l'inventeur de l'alphabet du même nom, bip - bip - biiiip - bip - bip - biiiip, et non de celui d'un quelconque animal à dents longues, aussi malhabile sur terre ferme que graisseux et dont l'anatomie ne rappelle en rien celle de la jeune fille.)

C'est donc tout cela que nous raconte Jack London dans ce roman très fréquemment autobiographique (à cet égard, la scène de la jeunesse de Martin Eden, obligé de se battre quasi-quotidiennement avec un enfant plus grand que lui, Tête-de-fromage, rappelle à s'y méprendre une scène similaire de Croc-Blanc où le jeune loup se fait rosser de la même façon par Lip-Lip jusqu'à ce qu'il parvienne à le battre). La lutte d'un jeune homme des classes populaires pour se faire une petite place dans un milieu lettré et intellectuel presque exclusivement gardé par les cerbères de la haute bourgeoisie.

Il est vrai qu'il n'a pas choisi le plus simple car en plus d'apprendre à parler correctement, il entend également apprendre à écrire. Il souhaite en effet faire sa route en tant qu'écrivain et même, espoir suprême, vivre dignement, honnêtement de sa plume. À ce prix et à ce prix seulement, pense-t-il, les bras de Ruth lui seront ouverts.

Vous aurez compris que le roman soulève beaucoup de questions : Est-il possible de s'extraire de son monde pour en atteindre un autre dont on ignore tous les codes ? L'amour est-il assez puissant pour surpasser les préjugés de classe ? Peut-on supporter le poids de vivre dans le no man's land situé entre les deux lignes de front constituées par l'ignorance crasse de vos anciens camarades et l'apparente inaccessibilité intellectuelle de ceux que vous aimeriez rallier ? Peut-on supporter l'étrange mélasse d'hypocrisie, d'effet de mode, de calcul, de flagornerie, de bienséance, de stratégies retorses et de sourires convenus dans les mondanités quand on a toujours eu à faire qu'à des gens vrais, aussi francs et généreux qu'un coup de poing dans le groin, aussi directs et naturels qu'un bon gros rot de marin après son verre de rhum ?

Et l'argent ? L'argent, oh, l'argent, l'argent… Tout le monde en veut de l'argent, et Martin Eden le premier. Il est tout prêt à jouer des poings pour lui. Et si les parents Morse ont une dent contre lui (pardonnez encore ce jeu de mots facile) c'est peut-être grandement et uniquement pour cela, l'argent. Car vous conviendrez qu'en terme de retour sur investissement, quand on dresse le bilan comptable de tout ce que l'on a déboursé dans l'élevage bio d'une jeune fille, intérêts et principal, et qu'on voit se pointer à la porte un Martin Eden avec ses gros bras et sa veste crasseuse, on se dit tout de même que c'est bien mince comme à valoir. Bon, imaginons le même Martin Eden, mais avec des billets plein les poches et une rente à vie proportionnée, on pourrait éventuellement se permettre de tolérer ses gros bras et sa veste crasseuse, et même peut-être de l'entendre débiter à longueur de journée des propos communistes, anarchistes, ou toute autre sorte de trucs en "iste" en rapport avec les classes populaires…

Je ne pense pas qu'il soit judicieux que j'en dévoile davantage. En ce qui concerne mon ressenti de lecture, dans l'ensemble, j'ai plutôt bien aimé ce roman de Jack London même si je lui trouve certains défauts. Au premier rang de ceux-ci, je considère qu'hormis le personnage principal, tous sont monolithiques, simplistes voire caricaturaux. Les deux beaux-frères de Martin, par exemples, unilatéralement bêtes et méchants. Maria, sa logeuse portugaise, qui, elle, est bonne et secourable à l'excès, presque toujours de façon univoque.

On voit beaucoup Martin Eden évoluer dans le roman, tant dans sa façon d'être, de s'exprimer que dans sa psychologie. Ceci se comprend facilement en raison de sa jeunesse et des expériences formatrices qu'il vit. En revanche, et bien qu'il côtoie d'autres jeunes personnes, au premier rang desquelles figure bien évidemment Ruth, j'ai le sentiment qu'elles demeurent toujours et invariablement telles qu'elles étaient quand l'auteur nous les a présentées plusieurs années auparavant. Elles ne s'épaississent ni ne se complexifient au fil de la narration.

Martin lui-même est toujours le bon Samaritain, qui vient toujours en aide aux démunis, qui donne même parfois les dollars qu'il n'a pas, tel un agneau sacrificiel alors qu'on nous l'a montré constamment comme un taureau écumant lancé dans l'arène de la vie. Personnellement, j'ai un peu de mal à y croire d'un point de vue psychologique.

J'irai même encore un peu plus loin sur ce volet de psychologie paradoxale du personnage. Tout au long du roman, il passe son temps à considérer pour rien la reconnaissance financière. Et que fait-il, lui, lorsqu'il se donne pour objectif de témoigner son estime à quelqu'un ? Il lui donne de l'argent… Surprenant, non ?

Bref, je vais m'arrêter là. En somme, d'après mes critères, un roman de formation intéressant, une sorte d'Illusions Perdues à la sauce américaine, mais pas un chef-d'oeuvre pour tout un tas de petites incohérences psychologiques dont je n'ai pas l'intention de faire le panorama complet. (J'aurais pu, par exemple, m'étendre sur le tableau à mon goût trop idyllique que l'auteur peint de l'amour de Martin pour Ruth, évoquer les personnages de Lizzie ou Joe le blanchisseur, etc.) Mais le mieux, c'est bien évidemment de vous en faire votre propre opinion par vous-même en le lisant et, si possible, en partageant votre ressenti afin que chacun s'enrichisse de la vision de l'autre.

Tout bien considéré, aurez-vous le coeur d'ouvrir une porte sur ce roman ? Pourrez-vous la refermer tranquillement lorsque vous l'aurez entrouverte ? Telle est la question. Pour le reste, ceci n'est qu'un avis, un de plus, et avait-il lieu d'être, car qu'est-il dans le fond ? Pas grand-chose, par les temps qui courent…

P. S. : Bon sang, 10 ans !… Je n'arrive pas à y croire : voilà aujourd'hui pile dix ans, jour pour jour, que je me suis inscrite sur Babelio… Je ne pensais pas que l'histoire aurait duré aussi longtemps… Depuis tout ce temps, vous avez sans doute constaté que j'ai eu des hauts et des bas — plus ou moins haut ou plus ou moins bas selon l'estime ou l'intérêt qu'on porte à ce que j'écris…

Ainsi, en dix ans, j'ai reçu des tonnes de messages vraiment sympas, vraiment stimulants, vraiment intéressants ; j'ai aussi reçu, comme tout le monde, des monceaux de messages ineptes ou orduriers, méprisants, vomissants, dégoulinants d'on-ne-sait-quoi, en somme, l'exact reflet de ce qu'on croise ailleurs dans le monde, le meilleur comme le pire s'y côtoient en permanence, parfois étroitement imbriqués, parfois à quelques secondes d'intervalle, parfois au même endroit…

Bref, c'est la vie ! (J'aime cette expression typiquement francophone que beaucoup de langues nous envient. Je l'aime parce qu'elle rend bien compte du hasard, de l'absence de sens qu'il y a dans l'enchaînement des faits et des événements, du caractère éminemment contingent de l'existence, de son imprévisibilité, de son insoutenable légèreté, comme aurait écrit quelqu'un…)
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Il fallait que j'aille au bout et je ne cache pas que ce fut long et pénible, comme la vie de Martin Eden, sortie de l'imagination du grand Jack London (1876 – 1916), de son vrai nom John Griffith Chaney, dont je me souviens avoir lu Croc-Blanc, il y a bien longtemps…

C'est le film superbe de Pietro Marcello que j'ai vu dans le cadre du Festival international du Premier film d'Annonay, qui a motivé la lecture du roman. Durant celle-ci, j'ai eu l'image de Luca Marcinelli qui campe un formidable Martin Eden. Mais quelle belle idée d'avoir situé l'histoire en Italie, à Naples, en lieu et place d'Oakland, de l'autre côté de la baie de San Francisco où Jack London a vu le jour et a vécu ! J'aurais adoré que le roman se passe dans ce cadre napolitain qui offre tellement plus de ressources à l'imaginaire et au rêve.
Malgré tout, je reconnais que le tableau de la société californienne du début du XXe siècle, dressé par l'auteur de L'Appel de la forêt, est fort instructif et éloquent. le peuple se débat dans la misère, constituant une classe laborieuse exploitée au maximum alors que la bourgeoisie étale insolemment sa richesse tout en méprisant celles et ceux qui créent cette richesse par leur travail. Ah bon ? Ça n'a pas beaucoup changé ?...
Même si Philippe Jaworski, professeur émérite à l'Université Paris Diderot, qui préface longuement le livre et assure un dossier complet, le conteste, il est certain que Jack London a mis beaucoup de son vécu dans son récit.
Avec une verve incroyable, un débit littéraire abondant, il campe un homme parti de rien, issu des plus basses couches du peuple, qui tente de se faire une place dans la littérature par la seule force de son travail, de l'étude solitaire. Il réussit à écrire, met sa santé en danger, souffre de la faim, se prive de sommeil pour réussir à parvenir au bout de son rêve fou.
Martin Eden était marin, se battait facilement pour se faire respecter mais, pour avoir porté secours à un jeune bourgeois, découvre un autre monde qui le fascine au début et tombe amoureux de Ruth qui l'éblouit et l'émerveille.
Séduit d'abord par les idées socialistes, ses lectures le poussent vers toujours plus d'individualisme. L'argent lui manque terriblement. Il tente de faire publier ses textes dans des magazines mais tous refusent. Malgré tout, il continue, écrit sans cesse, rêve de succès, suit les conseils de Russ Brissenden, un poète social et suicidaire.
Dans Martin Eden, Jack London montre toute la vanité du succès littéraire. Un écrivain de grand talent peut rester méconnu jusqu'au bout si personne ne lui donne sa chance. le succès peut survenir par le plus grand des hasards et un phénomène de mode s'empare alors du public, phénomène que les médias et les réseaux sociaux aujourd'hui tentent toujours d'amplifier.
À ce moment-là, que devient l'homme ? Ici, Jack London se montre très pessimiste. Dès que le succès tant attendu arrive, Martin Eden est incapable d'écrire. Il ne rédige plus une ligne et j'ai trouvé cela la pire chose qui puisse arriver à un homme qui a tout sacrifié à la littérature.

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Martin Eden, un solide marin de 20 ans ayant quitté l'école à 11 pour travailler à l'usine, n'a pas les bonnes manières de Nadine de Rotschild et il en a conscience quand il s'assoit à la table des Morse, une famille bourgeoise de San Francisco.

Nous sommes à peu près au début de 20ème siècle. Et les conditions de travail sont difficiles pour les ouvriers, l'alcool les aide souvent à oublier. D'ailleurs avant de faire la connaissance de la délicate Ruth Morse, Martin Eden n'envisageait pas une bonne soirée sans une bonne bagarre pour terminer son parcours éthylique.

Mais cette rencontre va changer sa vie. Quand le lecteur entre dans le carré de lumière que fait la porte ouverte de Martin Eden, il l'aperçoit, allongé sur son lit couvert de livres ouverts, lisant puis prenant des notes.

Un long et riche cheminement s'en suivra, parsemé de livres, de rencontres et d'obstacles jusqu'aux 50 dernières pages avec un dénouement qui laisse pantois. Mais c'est sublime!

Jack London se réfère souvent à la pensée nietzschéenne de surhumain/surhomme et l' illustre de manière très compréhensible avec le parcours de Martin Eden. Pour mieux la contrer finalement et avec, le schéma très américain de la réussite grâce à l'individualisme.

Pour tirer un enseignement sur un point toujours d'actualité qui m'est cher: alors que l'ascenseur social est en panne, comment ne pas s'interroger pour un meilleur système éducatif. Ce point m'a hanté pendant cette lecture et me hantera encore..

Et avec ceci, c'est un livre qui aborde bien d'autres thèmes: une histoire d'amour entre une belle et une bête, le monde éditorial au début du 20ème, le monde ouvrier et le roulis des épaules de Martin Eden qui entre dans un monde bourgeois où il va tenter de briller, mais à sa manière...

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Martin Eden a 21 ans, l'âge de toutes les audaces. Il est marin, une vie faite d'embarquements et d'escales. En sauvant Arthur Morse d'une rixe il ne se doutait pas de la tournure qu'allait prendre sa vie.
" Martin Eden" est l'histoire d'une métamorphose, celle d'une chenille qui se transforme en papillon pour les beaux yeux de Ruth, une femme enfant issue de la bourgeoisie californienne.
A force de travail Martin va s'élever intellectuellement, son rêve d'écrire et sa reconnaissance artistique vont être sa raison de vivre au grand désespoir de Ruth et de ses proches.
S'ensuit une vie de misère, la faim, le découragement, les refus des maisons d'éditions, mais Martin s'en moque, il en rit même de cette vie de galère.
" Martin Eden" est un roman dense, je dirais un roman à tiroir, d'abord l'écriture est la pièce maitresse de ce roman, la sociologie évolutionniste du philosophe anglais Herbert Spencer, ce fameux fossé des nantis comme la famille Morse et ces miséreux dont Martin est issu. Jack London décrit Martin comme un individualiste rappelant la pensée Nietzschéenne " le monde appartient aux forts."
La fin du roman est surprenante, mais quelle fin ; une sorte de mantra
" J'étais le même ! c'était à cette époque que j'ai écrit ces ouvrages ! et maintenant vous me gavez quand alors vous m'avez laissé mourir de faim, vous m'avez fermé votre maison, vous m'avez renié, tout ça parce que je ne voulais pas chercher une situation."
Surprenant personnage qu'est Martin Eden tantôt plein d' humanité, tantôt imbu de sa personne.
Un merveilleux roman qui va finir sur mon île déserte.
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Parfois il est bon de se plonger dans un classique de la littérature. La rentrée littéraire c'est sympa mais gare à l'overdose. Lire un classique s'apparente donc à une petite bulle surannée fort réconfortante dont on sait qu'on ne sera pas déçus (enfin je parle pour moi qui ai rarement été déçue par ce qu'on dénomme « Classiques »).

Jack London, prolifique auteur américain du début XX, fut ma cible. Comme Croc Blanc et L'appel de la forêt ne m'emballaient guère (je reste citadine c'est mon drame), je me suis rabattue sur un ouvrage unanimement qualifié de chef d'oeuvre, à savoir Martin Eden.

Pour commencer il me faut vous avertir que certains voient en Martin Eden, un alter ego romancé de Jack London mais gardons-nous de tout amalgame et concentrons-nous sur ce personnage haut en couleur pour éviter tout débat.

Notre récit débute avec l'arrivée du jeune Martin Eden, matelot au long cours, issu de la classe laborieuse, peu instruit et aux manières fort peu avenantes, dans une demeure classieuse de San Francisco. Il vient de sauver un jeune bourgeois d'une dérouillée sévère qui était parti s'encanailler sur les docks ; pour le remercier ce dernier l'invite à dîner à la table de sa respectueuse famille. L'intrusion dans ce monde raffiné de Martin Eden, naïf mais pourtant loin d'être bête, fait l'effet sur lui d'une révélation quasi divine, effet d'autant plus accentué par l'émoi subi devant la soeur de son hôte dont il tombe irrémédiablement et éperdument amoureux. Dès lors, il n'aura de cesse de s'affranchir de sa condition d'homme peu instruit pour parvenir à séduire sa bien-aimée. Par la seule force de son opiniâtreté à apprendre tout ce qu'il est possible d'apprendre en un temps record, à remédier aux lacunes de son savoir, Martin Eden change radicalement son destin et se mue en assoiffé de connaissance. Son but ultime : devenir écrivain et prouver que rien n'est jamais figé dans la vie dès lors qu'on se bat pour sortir de sa condition et qu'on y croit dur comme fer.

Martin Eden nous raconte cet éveil intellectuel et comment son héros lutte chaque jour pour prouver aux autres et à lui-même qu'il peut devenir quelqu'un. Face aux doutes, aux réserves émis notamment par sa bien-aimée qui ne croit pas en son ambition d'être écrivain et aimerait qu'il embrasse une carrière respectable d'employé de bureau, Martin Eden n'aura de cesse de lutter. Mais peut-on si facilement s'affranchir d'un déterminisme social ? C'est tout l'intérêt de ce roman social et profondément intime où Jack London nous livre les rêves et désillusions d'un jeune homme sensible.

Que l'histoire de Martin Eden soit proche du destin de Jack London n'a que peu d'impact sur la lecture de cette oeuvre puissante au souffle lyrique, romanesque et terrible à la fois de dureté sociale. La plume de Jack London sert merveilleusement bien le destin hors du commun de Martin Eden, doux rêveur qui en devient antipathique tant son ambition dépasse tout et lui fait renier qui il est. Certains passages envers la classe ouvrière tout comme la classe bourgeoise sont impitoyables de cynisme. Jack London n'épargne personne et nous livre un dénouement final qui m'a profondément heurtée.
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Au début du 20ème siècle, Martin Eden est un marin âgé de 20 ans, issu des quartiers défavorisés d'Oakland, Californie. Rustre et peu instruit, costaud et rude à la tâche, il n'hésite pas à sortir les poings pour régler ses comptes. Un jour, il sauve un jeune bourgeois d'une bagarre mal engagée. En remerciement, il est invité à dîner par la famille de celui-ci. Martin découvre alors une belle et grande demeure, une famille charmante et distinguée, un monde de raffinement dans lequel il se sent comme un éléphant dans un magasin de porcelaine. Son embarras s'accroît encore à la vue de Ruth, la fille de la famille, qui termine des études de littérature à l'université. Il tombe sous le charme de la jeune femme, cultivée, bienveillante, éthérée, douce, pure. La belle et la brute, en quelque sorte.

Martin Eden est inculte, mais n'en est pas moins doté de sensibilité et d'une grande intelligence. Au contact de Ruth et de sa famille, il entrevoit un monde, si différent du sien, de culture, de poésie et d'intellect, dont il tombe amoureux autant que de Ruth. Il comprend que pour conquérir celle-ci, il doit conquérir sa place dans celui-là, s'élever à sa hauteur. Il entreprend de lire et d'étudier toutes sortes d'ouvrages qu'il prend au hasard dans les rangées de la bibliothèque municipale. le chemin est ardu pour le jeune homme, autodidacte, qui s'attaque pêle-mêle à toutes les sciences et tous les savoirs et bien souvent à des livres trop difficiles pour lui. Mais il persiste, se constitue une certaine culture générale, se défait de son langage grossier, et se met à l'écriture. Sûr de son talent, il inonde journaux et magazines de textes et de nouvelles, sans aucun succès. Mais il s'acharne. Il connaît alors le manque d'argent, la faim, les privations et la pression de Ruth qui le pousse à trouver une "situation" honnête et confortable. Mais Martin, idéaliste, sûr de lui, ne veut pas de cette vie étriquée conventionnelle, et continue à écrire sans relâche. Et puis un jour, un de ses textes est publié, puis un autre, et un autre... Tout s'emballe, célébrité, succès, gloire, fortune, ceux qui l'ignoraient et le méprisaient l'invitent à dîner et lui font les honneurs, et Ruth est à nouveau conquise...

Mais tout cela arrive trop tard : Martin ne parviendra jamais à comprendre pourquoi le succès change le regard des autres sur lui, alors qu'il est resté le même, qu'il était déjà ce qu'il était, tel qu'il était, avant le succès ("mais j'étais le même...").

Que de finesse psychologique dans ce roman ! Martin Eden m'a agacée par son côté si sûr de lui et imbu de sa personne, mais il force l'admiration par sa ténacité, sa capacité de travail et surtout sa loyauté envers lui-même, qui refuse d'entrer dans le jeu du monde de l'édition et cesse d'écrire lorsque arrive le succès, qui refuse d'entrer dans les cases dans lesquelles Ruth veut l'attirer, celles d'une bourgeoisie conformiste, bornée, superficielle et sans horizons, finalement pas très éloignée de son propre milieu, l'argent en plus. Martin Eden, le marin au long cours, ne veut pas se laisser enfermer, ne veut pas se perdre lui-même. Mais la désillusion est terrible : l'amour n'était qu'une apparence, le succès est vain et la mode un phénomène aussi soudain que creux.

Malgré beaucoup de longueurs, l'analyse de la société américaine de l'époque et du milieu littéraire est fascinante. Un livre pessimiste et un grand roman.
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« Ce que j'ai lu était épatant. C'était lumineux, brillant et ça m'a traversé, ça m'a chauffé comme le soleil et éclairé comme un projecteur. Voilà l'effet que ça m'a fait… Mais il se peut bien que je ne connaisse pas grand-chose. »
Ainsi se présente Martin Eden, marin, à l'âme vagabonde et bagarreuse, sensible à la beauté, au début de son aventure. Une aventure où il va découvrir la joie d'apprendre, de se fondre dans l'art, la poésie, la philosophie.

Au bout de son voyage, Martin Eden, toujours le même, n'est pourtant plus autant émerveillé par le monde qui l'entoure. Il a perdu sa naïveté et sa joie de vivre. Comme s'il s'était encombré d'un savoir trop lourd, d'un regard sur les hommes, bourgeois ou ouvriers, trop appuyé, trop incisif. Moins sauvage, moins insouciant, il en devient plus vulnérable, désabusé. le vernis a craqué sous le poids de la vérité.

La beauté qu'il désirait tant écrire devient fange lorsqu'elle ne représente plus qu'un moyen de gagner de l'argent, de devenir célèbre, sans qu'on reconnaisse pour autant sa juste valeur. La beauté « se prostitue ».

Il ne cherchait pas le succès, il vouait juste aimer, comprendre, savoir. La culture lui en donnait les moyens.
Mais il savait déjà tout cela. Il pouvait déjà l'exprimer dans ses mots d'argot qui dessinaient si bien la beauté sauvage, sans la disséquer. Son talent était de s'exprimer avec la puissance qui lui était propre : « d'attraper des papillons à coups de massue ». L'éducation lui a permis d'affirmer son intelligence, d'accomplir ses rêves. Trop tard sans doute.


Il y a tout cela et bien plus encore dans ce roman d'apprentissage. Une satire de la bourgeoisie du début du XXe siècle, une vision accablante de l'état de pauvreté et d'avilissement de la classe ouvrière, l'hypocrisie du monde littéraire qui n'a pas toujours les outils pour découvrir les talents véritables. L'argent qui fait la loi, avilissant la beauté, l'art et les hommes. L'éducation qui n'est pas toujours synonyme d'intelligence. La culture que l'on porte comme une étiquette, sans en être digne.

Vers la fin, j'ai eu l'impression que le personnage se confondait avec celui de Charlie dans : « Des fleurs pour Algernon ». Un peu arrogant, ne trouvant plus sa place parmi les hommes, prônant la loi du plus fort.
Pourtant Martin n'est pas un simple d'esprit, loin s'en faut, et il ne pourra plus faire marche arrière. Il gardera son bagage. Mais, ayant découvert le monde des livres, il a aussi découvert la bêtise, là où il croyait voir des étoiles. Ses pas l'ont emmené vers un autre rivage, fait de solitude et de désolation. Les cordes de sa harpe ne font plus vibrer la mélodie de ses souvenirs simples et heureux. Le vagabond a perdu son étoile.

« Il n'avait plus le cœur assez simple pour vivre pleinement une existence aussi primitive. » .
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Martin, tu rêvais d'un autre monde.
Avec Ruth tu rêvais réalité, ta réalité.
Une terre moins terre à terre.
Restera-t-elle un mystère ?
Ruth t'as trouvé bien futile.
Tu voulais tout foutre en l'air…
« Téléphone » a mieux résumé ce chef d'oeuvre que je ne l'aurais fait.

Pauvre de moi, qui ne m'étais cantonné qu'à la lecture de « Croc-Blanc » quarante-cinq ans plus tôt croyant à tort qu'à l'instar de Jules Verne, Jack London se lisait à quinze ans ! Grossière erreur mon capitaine ! Ce purgatoire achevé, j'ai pu rejoindre l'Eden (facile).

De basse extraction sociale, Martin, acharné, pugnace devra gravir toutes les marches de la connaissance pour se hisser à un niveau de culture nécessaire et obligatoire pour communiquer sans faillir avec son adorée-du-premier-jour-qu'il-la-rencontra.
« Tu oses aimer une adorable femme qui vit à cent mille lieues de toi, parmi les étoiles. »
Les gouffres sociaux sont plus difficiles à combler par des livres que les failles des montagnes à franchir par la force. Ruth est une bourgeoise.
Cet amour qu'il pense impossible prend tournure ; un bras entoure une épaule, une mèche de cheveux frôle une joue, un baiser. Ruth est amoureuse.
Critique sociale où, Jack London se sert de Martin comme trublion d'une société bourgeoise suffisante de sa position et de ses acquis. En hissant Martin à leur niveau de connaissance, il prouve que la société prolétaire peut-être aussi cultivée et aussi pertinente.
Martin écrit, écrit jour et nuit. Tous les textes qu'il produit sont refusés par les éditeurs et les magazines.
Il reste pauvre parmi les pauvres.
Jack London en profite pour nous livrer une critique sans concession de la presse et de l'édition. Les rédacteurs et les éditeurs ne sont que des écrivains ratés.
Quel talent et quel crédit ont-ils pour juger des écrits qui leur avaient été refusés à eux-mêmes ?!
All change ! Son génie est reconnu. Trop tard, Ruth la bourgeoise a rompu, l'argent afflue, la notoriété…
Martin ne comprend pas, n'accepte pas; il est toujours le même. « Paradoxe ridicule, quand il avait faim, personne ne lui donnait à manger : à présent qu'il pouvait se gaver, les dîners affluaient de toute part. »
Égaré pour les uns, perdu pour les autres : « Il avait voyagé loin, trop loin, au pays de l'intelligence. »
« de même que la bière lui semblait râpeuse, leur société lui semblait grossière. »
Quand on est plus de nulle part… « Trop de livres ouverts les séparaient. »
Et pour moi… Ce livre fermé maintenant, m'a rapproché de vous, Martin et Jack.
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Cher Mr London,
Je vous dois des excuses pour vous avoir jusqu'à présent cantonné au rayon littérature jeunesse d'aventure. J'étais restée, vous concernant, au Croc Blanc de mon enfance. Ignare que j'étais, comme si cet unique ouvrage résumait votre prolifique oeuvre...

C'est ainsi que tout récemment, je vous redécouvris avec Martin Eden, grâce au livre le gang des rêves de Luca di Fulvio où le jeune Christmas le lit et établit des parallèles entre lui et votre destinée, tous deux obnubilés par une jeune beauté prénommée Ruth. Comme quoi tous les chemins mènent à d'autres lectures...

Pour revenir à Martin Eden, qui est, selon les spécialistes, votre roman le plus autobiographique, je suis tout simplement restée époustouflée dès les premières pages. C'est l'histoire d'un jeune gars du peuple, impécunieux mais plein de ressources et qui ne renâcle pas à la tâche, bourlingueur, puissant et facilement bagarreur, brave type dans l'âme. Étant venu en aide à un étudiant qui se faisait molester, celui-ci invite son sauveur à déjeuner chez lui pour le remercier. On sent Martin tellement mal à l'aise dans cette demeure bourgeoise emplie de bibelots fragiles, tableaux et meubles de prix qu'on se prend d'empathie irrémédiablement pour lui. Lui qui craint d'occuper trop d'espace et de commettre quelque maladresse avec sa carrure d'athlète gagnée aux rudes tâches sur les bateaux. Et là, comme une perle fine dans un écrin somptueux, il découvre Ruth, la soeur pâle et merveilleusement belle de son obligée. Comme foudroyé, Martin s'engage à ce moment sur un chemin visant à combler le gouffre qui le sépare de cette créature vénérée.

Comme pour le travail physique, Martin met à s'instruire une volonté et un acharnement qui feraient envie à nombre de professeurs habitués à des étudiants mollassons. J'ai suivi avec passion l'évolution de Martin Eden. Ses nouveaux acquis, ses recherches et ses réflexions qui rapidement dépassent son modèle.
Cet apprentissage marque aussi une frontière avec autrui. Pour la bourgeoisie, il reste un populo de par ses origines. Pour des anciens camarades, il diffère par ses livres et sa quête d'absolue beauté. Martin ouvre les yeux sur sa famille, ses proches, voit l'écart qui se creuse et voit la vulgarité et les bas appétits qu'il rejette désormais. Mais cela ne peut se faire sans souffrance ni questionnement. Les introspections du héros se révèlent souvent troublantes et m'ont souvent ébranlée. Impression que vous me placiez parfois de force un miroir où regarder la vérité en face.

Ainsi est Martin Eden, frère d'âme du Jude de Thomas Hardy. Bien plus que le récit d'une éducation, on rentre dans les profondeurs psychologiques du personnage. Vous avez écrit là un texte extrêmement fort et marquant dont chaque phrase ou presque mériterait d'être reporté pieusement dans un carnet tant vous les avez ciselées avec le talent d'un orfèvre des mots.

Je ne peux que chaudement recommander la lecture de ce magnifique roman où la beauté s'accompagne d'amertume. La dernière partie me poursuivra longtemps et offre matière à réfléchir tant sur vous-même que sur soi et les rapports sociaux en général.
Revenue de mon erreur quant à votre plume, je vais derechef continuer ma découverte de votre oeuvre. Ainsi vous dis-je à bientôt, dans le Grand Nord ou sous les alizées des mers du Sud.
Bien à vous,
Kuroineko
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