Lorsque la fin du monde a commencé, début 2020, je me suis dit qu'il était peut-être temps de parfaire ma culture sur le sujet. Malheureusement, on sait ce qu'il en est de ce genre de résolution : la fin du monde, c'est bien gentil mais on a quand même pas mal de trucs plus sérieux à faire avant.
C'est donc avec un an de retard que j'ai découvert
la Peste écarlate, récit dans lequel l'humanité se trouve presque entièrement éradiquée par un virus foudroyant. Accordons à London qu'il ne fait pas les choses à moitié : en deux semaines tout pesé, il ne reste plus un seul survivant à San Francisco (ni d'ailleurs ailleurs), et les ultimes vestiges de l'humanité retournent illico à une barbarie totalement décomplexée.
Si après avoir épuisé tous les Walking Dead et autres To the lake, on espère trouver un page-turner apocalyptique en ouvrant
la Peste écarlate, il est préférable d'aller creuser son bunker plus loin. Car il n'est pas question ici de suspense, ni même vraiment d'action, et cette histoire ne semble avoir eu à aucun moment l'idée qu'elle pouvait s'étirer sur neuf cycles de tétralogies à 500 pages le volume. Grâce soit rendue à
Jack London de cette lucidité qui pourrait inspirer pas mal d'auteurs aujourd'hui.
En fait, on a le sentiment que London ne construit ce bref roman que pour arriver à une conclusion ambivalente, mélange d'espoir idéaliste et de réalisme pessimiste. A la fin, en effet, le narrateur a beau s'être évertué à recueillir les essentiels du savoir humain dans une bibliothèque cachée, les jeunes sauvageons dont il est entouré ne lui laissent à peu près aucun espoir : une fois qu'elle aura recommencé à se multiplier et à se répandre sur la terre, l'humanité renaissante n'aura visiblement pas mieux à faire que se replonger en ses joyeux étripages. L'éternel recommencement de la bêtise humaine, en somme.
C'est cette morale que le lecteur retient. Elle est assez visionnaire pour un livre de 1912, et rien ne nous permet vraiment de la démentir en 2021. Pourtant, l'apocalypse de
Jack London a ceci de très avantageux qu'elle est pliée en quelques jours à peine. Après, au moins, il est permis de passer à autre chose. Tandis que pour nous, c'est fort différent. le covid ne sera bientôt plus qu'une péripétie à dix ou quinze millions de morts, et nous allons reprendre avec enthousiasme notre marche en avant vers l'épuisement des ressources, l'accaparement des richesses, l'ensauvagement climatique et la nouvelle extinction de masse.
Jusqu'à la prochaine fois.
Bien sûr, les prochaines fois ont une fâcheuse tendance à se succéder de plus en plus vite, mais voilà bien ce qui est excessivement énervant avec cette apocalypse de basse intensité : on n'a jamais l'impression d'y être vraiment. Bref, contrairement à
Jack London, nous serons incapables de faire court. Notre fin du monde à nous aura ceci de lassant qu'on va se la traîner un siècle entier.