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EAN : 9782842612023
295 pages
Le Serpent à plumes (14/03/2000)
4.22/5   73 notes
Résumé :
En 1929, au faîte de sa gloire, Albert Londres décide d'entreprendre une grande enquête sur un sujet qu'il connaît mal : les juifs. Au terme d'un périple qui, de Londres à Prague, en passant par les ghettos de Pologne et de Transylvanie, le conduira jusqu'en Palestine, il rentre avec vingt-sept articles qui formeront la matière de ce livre : Le juif errant est arrivé. Dix-huit ans avant la création de l'État hébreux, Albert Londres se montre optimiste sur le sort de... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (10) Voir plus Ajouter une critique
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La critique de Junie m'avait donné envie de relire Albert Londres, journaliste passionné et intrépide. J'en ai lu plusieurs mais ne connaissais "Le Juif errant est arrivé" que de titre. J'ai souri aux nombreuses sautes d'humour de l'auteur, j'ai cheminé et grelotté avec lui dans la neige glacée des montagnes de Transylvanie, j'ai pleuré avec ces femmes décharnées qui n'arrivaient pas à nourrir leurs petits, j'ai retenu ma respiration dans le ghetto de Varsovie, j'ai chanté lorsque nous sommes entrés dans Tel-Aviv, la magnifique, j'ai célébré le courage et la détermination de ces pèlerins qui ont, enfin, trouvé une terre où ils doivent toujours se battre aujourd'hui, 86 ans après les constats d'Albert Londres.
Les courts chapitres sont autant de documentaires sur une époque, certes, révolue mais pas lointaine. Beaucoup de réponses sont données aux interrogations d'aujourd'hui et c'est aussi en cela que réside l'intérêt et la beauté de ce petit ouvrage ayant tout d'un grand.
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Si vous n'avez jamais lu Albert Londres, croyant qu'il s'agit d'un ennuyeux correspondant de presse, ou d'un de ces reporters en quête de sensationnel, hâtez-vous de corriger cette lacune. Car cet homme-là, c'est Tintin, c'est Rouletabille, un mousquetaire de la plume, un Cyrano des rotatives, un lanceur d'alerte, de ceux qui réveillent les consciences satisfaites et les estomacs repus, avec brio, avec humour, avec ténacité.
Il n'écrit que sur ce qu'il connait, et donc il va voir sur place, dans les bagnes, les hôpitaux, au fin fond des ghettos ou dans les quartiers louches du Moyen-Orient, et parle de choses soigneusement ignorées et politiquement très incorrectes. Il s'attaque à des sujets qui sont encore et toujours actuels: le dopage des sportifs, la condition inhumaine des détenus et des fous, le sort des minorités ethniques et religieuses, la discrimination, la misère extrême.
Il en fait des articles, puis des livres, et par la grâce de son style vivant, ironique, sensible, et l'authenticité de ses récits, cette écriture bouleverse les lecteurs. Depuis sa mort en 1932, il reste un modèle pour toute sa profession.
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Ce grand reporter a décidé de suivre le chemin de certains juifs de l'Europe de l'Est à la Palestine. Il livre là un éloge des débuts du sionisme. Il nous montre la misère du petit peuple d'Europe centrale, ce qui explique que la pensée d'une terre promise les revigore. Cependant les plus religieux pensent que l'heure du Messie n'a pas encore sonné là-bas.
Malgré sa partialité, l'analyse d'Albert Londres en 1929 s'avère visionnaire. L'auteur souligne aussi le rôle trouble joué par Balfour et ses compatriotes, les Arabes poussés par des rumeurs à attaquer les juifs de Palestine les plus faibles et non les conquérants sionistes.
Aujourd'hui les rôles se sont inversés et j'ose espérer que le journaliste aurait changé d'opinion.
Au point de vue stylistique, j'ai beaucoup admiré les descriptions des lieux et des êtres humains.
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J'ai déjà lu une bonne dizaine de livres d'Albert Londres, je sais donc à quoi m'attendre avec cet auteur que j'apprécie énormément.

Cet ouvrage ne diffère pas des précédents, et souligne à nouveau la grande lucidité de ce reporter infatigable. Comme on peut le deviner au titre, Albert Londres s'attache ici à faire un reportage sur les Juifs et leurs différents modes de vie en fonction des pays dans lesquels ils se sont installés.

On embarque rapidement pour Londres, qui résonne encore de la déclaration de Lord Balfour, et qui voit se faire face les Juifs "assimilés", prêts à aider financièrement leurs coreligionnaires qui se préparent à partir pour la Palestine, sans pour autant choisir de faire eux-mêmes le voyage, trop attachés à leur position confortable. Dès les premiers chapitres, l'auteur s'attarde sur le lien qu'entretiennent les Juifs à la Palestine, souvent relatif à leur niveau de vie ou à leur origine.

Albert Londres poursuit ensuite par un portrait de Théodore Herzl et de sa quête auprès des souverains occidentaux pour donner au peuple juif une terre qui lui serait propre ; si sa démarche fait l'admiration de beaucoup, d'autres lui reprochent la rumeur d'acceptation d'une terre en Ouganda, tandis que d'autres remettent en question la géographie véritable de la "terre promise".

Sur ce, notre reporter s'embarque pour Prague et son cimetière, puis poursuit en Bohême et dans des villes à forte population juive, comme par exemple Moukatchevo, aujourd'hui en Ukraine et à l'origine coincée entre Russie soviétique, Hongrie, Tchécoslovaquie et Roumanie. Comme souvent avec Albert Londres, ses récits et ses rencontres se révèlent de véritables anecdotes géopolitiques : l'instauration des frontières empire la pauvreté des communautés jusqu'alors habituées au travail saisonnier dans les régions voisines.

Le voyage se poursuit jusqu'à Jérusalem, où l'auteur, après avoir commenté les pogroms d'Europe de l'Est, assiste impuissant aux tentatives de création de l'État d'Israël, qui se heurtent à la résistance des Arabes, vivant jusque-là en bonne intelligence avec les Juifs "autochtones", mais rétifs à l'immigration très importante venue du monde entier.

Sans porter de jugement strict, l'auteur nous révèle la grande misère dont les Juifs sont l'objet en Europe de l'Est, et les espoirs fous qui les agitent lorsqu'ils pensent à la Palestine, malheureusement déjà "occupée". le Juif errant est arrivé fait partie pour moi des meilleurs reportages de son auteur, même s'il comporte une dimension plus violente que certains autres reportages, bien sûr à l'image de ce dont il a été témoin sur place.

Encore une fois, un vrai plaisir de lecture !
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Relecture d'un ouvrage qui décidément refuse de vieillir car il y a d'une part l'écriture aérienne de Londres : on a juste à suivre les mots et d'autre part une compréhension aisée due à une vulgarisation sans langue de bois diplomatique: de l'actualité presque à vif et une analyse presque à chaud bien amenée par quelqu'un qui n'a pas la langue dans sa poche.

Celui qu'on appelait le « prince des reporters » correspondant de guerre, journaliste d'investigation a parcouru avec sa « peau de cochon » pendant des années l'Europe à la recherche du juif errant. Journaliste intransigeant et fouineur il n' a trouvé que des sédentaires et des communautés plus ou moins figées dans la tradition
A l'ouest, l'élite, « les israélites » plus riches, parfois même très riches, moins soucieux de la spiritualité que de leurs préoccupations financières A l'est sous des régimes tyranniques et archaïques des juifs à papillotes, les purs qui vivent dans des conditions inimaginables. Et parmi eux un troisième type de juif qui veut un pays pour poser ses valises, mener une vie sans baisser la tête et suivre ou non la religion. En fait des besoins et désirs très légitimes

Londres est du bon coté du manche quand même car il fait partie de ceux qui distribuent les cartes Il a donc une attitude quelque peu
condescendante et anthropologique avec ce sujet c'est pour lui un cas d'école il y met pourtant un humour grinçant (du Desproges avant la lettre) mais il le fait avec coeur sans cérébralité: cash dirions nous pour être moderne!

Aujourd'hui une telle attitude serait absolument impossible car d'une part les journalistes qui « en ont » ça n'existe plus et d'autre part on ne fait plus d'investigations, de correspondance de guerre, et de ne reportage signé . Les rédactions arrangent anonymement au mieux, compilations ou autres, des données de l'AFP.

Un homme qui dit « L'Afrique est un terrain de football sur lequel joue deux équipes blanches, l'une administrative et l'autre affairiste et le jeu est féroce. Au milieu le nègre est le ballon... » est forcément quelqu'un de bien on comprend tout de suite où il veut en venir et quand c'est dit… Son reportage « en immersion» me paraît très juste pour l'époque surtout pour la population ashkénaze de l'est Les débuts d'Israël sont biens compris et les événements à venir aussi

Du bon, du très bon journalisme. Aujourd'hui on ne voit pas bien qui pourrait en faire autant à part BHL..(notre célèbre Botul )hum hum ! Pujada, pugnace avec les syndicats, Delahousse « business-friendly » intimiste excellent en décoration intérieure, Patrick Poivre d'Arvor grand séducteur devant l'éternel , Lapix bobo de Publicis adepte des choses vues ou Lucet grande découvreuse  de faces cachées  frelatées.

Bref! Çà devient très dur de s'informer sauf pour les billets du stade de France!
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critiques presse (1)
LaTribuneDeGeneve
29 février 2024
Un des textes les plus remarquables, par son écriture concise et musicale, à la fois précise et lyrique […]
Lire la critique sur le site : LaTribuneDeGeneve
Citations et extraits (29) Voir plus Ajouter une citation
III.
Le cœur d’Israël bat toujours

Un rabbin de Galicie à Londres, c’est bien, mais c’est peu. Sans passer inaperçu dans Whitechapel, les autres Juifs le submergeaient. Il semblait une bouée pittoresque sur une mer indifférente.

On ne sait pas exactement combien ils sont dans l’East End. Est-ce plus de cent mille ? En tout cas, ils sont un tas ! Et l’ancre qu’ils ont jetée ici paraît bien enfoncée.

— Savez-vous comment mon grand-père est arrivé à Londres ?
— D’où venait-il ?
— De Lithuanie. Avec deux petites cuillers pour toute fortune. Encore raconte-t-on dans la famille qu’il les avait emportées à l’insu des siens. Je ne le crois pas, il est trop honnête.

La dame qui me parlait ainsi me conduisait à sa maison natale. Nous allions côte à côte, dans Commercial Road. Maintenant, elle habitait l’Ouest, le quartier des gens bien nés. On sait que plus le loyer est cher, plus le locataire est respectable ! Elle m’avait été présentée la veille, toujours dans l’Ouest, chez un avocat en renom, Juif, sujet anglais comme il disait lui-même. Il assurait aussi que les Anglais, sachant la position où il se tenait, avaient pour lui plus de considération que s’il s’était dit anglais de religion israélite.

Le grand-père vivait encore. Maintenant, seul de la famille, il habitait Whitechapel. Ses enfants avaient gagné un meilleur arrondissement. Quant aux enfants de ses enfants, ils s’étaient installés plus haut encore !

— Voilà, fit ma compagne en m’arrêtant devant une vitrine de bijoutier, voilà ce que sont devenues les deux petites cuillers de Lithuanie.

Le grand-père s’appelait Murgraff. Quand on entra dans le magasin, on vit un homme assis, la tête penchée sur un livre de comptes.

— Il y a une erreur d’un shilling, cria sa petite-fille, un shilling, c’est considérable !

Le vieux Murgraff sourit. Quarante années d’Angleterre avaient fait du tort à l’orthodoxie de sa barbe, mais la race était sauve.

La conversation entamée on arriva bientôt à la chose intéressante.

— Il existe aussi un quartier juif à Paris, dit-il, la rue des Roses ?…
— Des Rosiers ! Oui. Ce n’est qu’une miniature à côté de Whitechapel !
— Eh bien ! je pourrais être dans votre rue des Rosiers aussi bien que me voilà à Whitechapel. Quand à vingt-cinq ans je débarquai ici, je n’étais pas certain d’y trouver à manger. Je serais descendu jusqu’à Paris.
— Alors, maintenant, je serais Française au lieu d’être Anglaise, fit la plus belle fleur de la branche Murgraff.
— Ce serait aussi honorable ! répondit le bijoutier, et tu habiterais l’Étoile !

Pourquoi Murgraff avait-il quitté la Lithuanie ? Mais son histoire est celle de chacun, de ceux de Commercial Road comme de ceux de la rue des Rosiers. Elle est la même aujourd’hui qu’elle fut il y a quarante ans. Et voilà quarante ans, elle était la même que quarante années auparavant.

La Pologne, la Roumanie ont succédé à la Russie. Mais la Pologne et la Roumanie ont acheté à la Russie, ses stocks antisémites. Le Juif, là-bas, est toujours un Juif. Peut-être est-il un homme, en tout cas, ce n’est ni un Roumain ni un Polonais. Et s’il est un homme, c’est un homme qu’il faut empêcher de grandir. De toute l’histoire des Juifs, l’Europe orientale n’a retenu que celle de Job. « Périssent le jour où je suis né et la nuit où il a été dit : un homme a été conçu ! » Bien parlé ! répondent nos frères slaves et latins. Aussi trouvent-ils indispensable que les descendants d’Abraham restent assis où l’autre, je veux dire Job, aimait à s’asseoir. Le problème juif est compliqué, mais je crois qu’il se résume en une question d’air. Respirer ou ne pas respirer. Ni plus ni moins.

Murgraff le vieux partageait mon avis. La petite-fille, qui n’avait connu d’autre atmosphère que celle de Londres, comprenait moins bien. Elle n’avait pas sous les yeux l’ensemble du monde juif. Certes, elle ne niait point qu’elle fût juive, mais elle semblait assez près de croire qu’elle était juive en Angleterre comme d’autres sont Galloises ou Écossaises. Temple, église, synagogue, cela était affaire de l’âme. Et quand on ne va pas davantage à la synagogue que ses amies à l’église ou au temple, le chemin que l’on prendrait pour s’y rendre paraît bien indifférent. Aujourd’hui, une femme élégante fréquente moins chez Dieu que chez le couturier. On va plus souvent au cinéma et dans les thés qu’aux offices. Le même toit vous réunit autour du même plaisir…

Voilà ce que « l’assimilée » essayait d’expliquer.

— Enfant, reprit Murgraff le vieux, tu penses comme une femme heureuse qui ne voit pas plus loin que son bonheur !
— Mais vous, lui dis-je, quarante années d’Angleterre ?…
— Dans notre cas à nous Juifs d’Angleterre, de France, de Belgique, d’Occident, il y a deux stades. Je représente l’un de ceux-là, ma petite-fille, l’autre. Moi je suis un arbre transplanté. Ma Sarah est née acclimatée. J’ai pour l’Angleterre la reconnaissance la plus profonde. Ces pays à l’intelligence majeure n’ont voulu voir en nous que des hommes et non je ne sais quels fantômes redoutables. Ils nous ont placés sur le plan de l’égalité. À nous de leur montrer qu’ils ne se sont pas trompés. C’est mon honneur et non ma naissance qui me commande d’aimer l’Angleterre. Elle m’est deux fois chère : une fois pour la lucidité de son esprit qui lui a fait comprendre qu’un Juif n’est pas un diable avec une queue au derrière, une autre fois pour ses bienfaits. Je suis un fidèle sujet anglais. J’ai tressailli de fierté quand mes deux fils sont partis pour la guerre. Le sentiment qui m’a transporté n’était pas la vulgaire satisfaction de payer une dette pour m’en débarrasser, mais de faire ce que l’on doit. La loyauté à l’égard du pays qui m’avait recueilli me sembla légère.
Mais, cher monsieur, je suis un vieux Juif. J’ai tété l’hébreu. Un de mes frères, là-bas, porte encore le caftan et les bottes. Je sens en moi tous les dépôts de ma race. Il ne serait pas plus digne de ma part de renier Israël que d’être ingrat envers l’Angleterre.

Murgraff le vieux, levant la main, me montra, contre son mur, le portrait de Théodore Herzl :
— Vous êtes sioniste ?
— Je suis pour tout ce qui pourra soulager la détresse que j’ai connue dans mon enfance. Quand on a pu remonter de la fosse, il ne faut pas couper les cordes qui en sauveront d’autres.
— En est-il parti beaucoup de Whitechapel pour la Palestine ?
— Deux ou trois familles… Mais elles sont revenues.

Il existe, dans l’ordre intellectuel, deux espèces de sionistes : les purs et les moins purs.

Les purs sont les apôtres qui, emportés par l’idée, ont brûlé leurs vaisseaux. Ils en ont pris immédiatement d’autres qui les ont menés en Palestine.

Les moins purs sont du genre Murgraff. Ce sont des personnes de plus de raison que d’enthousiasme.

Ils aideront ceux qui veulent franchir la Méditerranée. Eux resteront sur le rivage.

Ainsi les candidats à la traversée de l’Atlantique trouvent parfois des commanditaires…

Les purs sont partis de Russie, de Pologne, de Roumanie.

On a pu en compter quelques-uns venant de Belgique, de Hollande, d’Angleterre.

Il n’y a pas eu de « purs » en France.

— Alors, dis-je à mon Juif, le cœur d’Israël ne bat plus à Whitechapel ?
— Comment ?
— Si deux ou trois familles seulement…
— Ah ! le cœur d’Israël ne bat plus à Whitechapel ?

Murgraff décrocha son chapeau, se coiffa, donna des ordres à ses employés :
— C’est moi qui vais vous conduire, dit-il. Et l’on sortit.

On se retrouva dans Commercial Road et puis je ne sais plus où. La nuit était venue. Nous passions entre deux haies de noms juifs. Plus nous allions, plus il y en avait. Ils défilaient devant mes yeux avec la rapidité de ces images qui dansaient sous le pouce au temps des cinématographes de poche. La course s’acheva Redmans street.

Il était près de six heures du soir. La rue était économiquement éclairée. Des enfants, par centaines, y arrivaient par les deux bouts. Les enfants, ici, allaient donc à l’école à l’heure où, partout, les autres la quittaient ? Nous marchions au milieu d’un grouillement de mômes. Ils sautaient, ils couraient et disparaissaient tous dans un même gouffre. C’étaient les petits Juifs qui, sortant de l’école anglaise, se hâtaient vers la Talmul-Thora[1].

— Israël ! fit le vieux bijoutier avec orgueil.

Ainsi ayant passé la journée à apprendre ce que les petits Anglais apprennent, ils se précipitaient, chaque soir, dans ce couloir, afin de bien se mettre dans la tête qu’ils étaient de petits Juifs.

L’aspect de l’établissement me saisit. Des rabbins en calotte et à barbe, les pans du caftan volant, circulaient au milieu de cette marmaille, elle, en casquette de jockey. Dès le seuil on foulait la terre sainte. Alors, au diable les manières anglaises, plus de têtes découvertes. Bonsoir George V et vive Dieu, roi d’Israël !

Ils étaient six cents dans l’immeuble. Des garçons, bien entendu, les filles du peuple élu n’ayant aucun droit aux connaissances.

Les classes commençaient. Dans le fond de chaque pièce, derrière le pupitre du maître, l’armoire à Thora.

La Thora est la loi des Juifs. Cette loi est faite des cinq livres de Moïse. Elle raconte ce qui s’est passé depuis la création du monde jusqu’à l’an 2552 et demi avant Jésus-Christ. La fidélité des Juifs à cette loi ne s’est jamais démentie. C’est leur drapeau national, leur hymne patriotique, leur soldat inconnu. Ils n’ont pas que du respect pour la sainte Thora, mais un perpétuel élan du cœur. Et parmi tous les beaux noms qu’ils lui donnent, l’un respire le Bel Amour : la Fiancée couronnée.

Comme objet, une Thora est un long parchemin terminé à chaque bout par une baguette. On l’enroule autour de ces baguettes, aussi se tient-elle toute droite dans son armoire. Quant aux écrivains de Thora, aux calligraphes de la Loi, aux merveilleux séphorim, l’instant n’est pas venu de vous les présenter.
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p.167/Nous marchions dans Marszalskowska, direction du Bacchus, qui est un fameux restaurant de Varsovie. Ben acheta un journal yiddisch et le parcourut.
- En quelle année croyez-vous être ? me demanda-t-il.
- En 1929.
- Nous sommes en 5690.
Et il me montra le chiffre sur la manchette.
- Pour les lecteurs de ce journal, le monde commence avec Adam. C'est juste, mais je vous prie de prêter attention à la chose. C'est peut-être l'éclair déchirant tant d'obscurité. Aux Marmaroches, en Bessarabie, en Bukovine, en Galicie, dans Nalewki, hier à Goura-Kalvarya, nous étions en l'année 5690. Et dans quinze jours, quand vous débarquerez en Palestine, vous serez en l'an X du sionisme. Ne perdez pas de vue ces deux points.
Un pied sur Adam, un autre sur lord Balfour, quel écart ! Je sentis immédiatement le besoin de reprendre équilibre. Nous arrivions fort bien à la porte du Bacchus. Les deux hommes qui avaient perdu leur millésime la poussèrent. Peut-être y retrouveraient-ils l'année 1929 au fond d'une bouteille - ou, s'il le fallait, d'un tonneau !
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Ce n’étaient pas des israélites, mais des Juifs. Je répète cela parce qu’il faut bien comprendre. Les assimilés français, anglais, allemands, hollandais, hongrois, etc., ont renoncé depuis plus ou moins de temps à la vie purement juive. Chez eux, beaucoup plus d’Occident que d’Orient. Les pays qu’ils ont adoptés et loyalement servis les ont baignés de leur génie. Et maintenant, ils sont Français israélites, à peu près comme on est protestant ou catholique français. À notre génie ils ajoutent le leur. C’est tout ce que l’on peut dire.

Ceux de Moravie, de Pologne, de Russie, nos Juifs des Carpathes ne sont pas des israélites, mais des Hébreux. Ils sont Hébreux plus que Déroulède ne fut Français. Et c’est leur vie d’Hébreux qu’ils sont venus cacher dans ces montagnes, la même – la même avec des amendements en accentuant encore le caractère – que leurs ancêtres menèrent dès leur sortie d’Égypte, l’an 1500 avant Jésus-Christ.

Où donc se sont-ils préservés de la contagion européenne ? Dans le ghetto.

C’était leur refuge. Là, ils oubliaient les injures, là se calmaient les brûlures des coups de cravache. Là, ils n’essuyaient plus d’affronts, de moqueries, de crachats. Les rois du jour n’avaient fait que les barricader chez eux. Depuis le XVIe siècle ils n’en sont pas sortis. Ainsi reconstituèrent-ils en milliers de fragments la patrie perdue au temps où notre ère n’avait pas cent ans.

De quoi et comment vécurent-ils dans ces ghettos ? Ils vécurent de rêves. Vous n’avez qu’à les regarder si vous croyez que je vous trompe. Ils ne sont pas maigres, ils sont creux. Joues pâles, estomacs défoncés. Sous un coup de doigt, ils résonneraient comme la caisse d’un violon. C’est que leurs rêves ne sont guère entourés que de maïs, de fruits sauvages, de légumes séchés et de débris d’abattoirs, des poumons aux tripailles.

Leurs métiers ? Ils n’en avaient pas. Vous savez que le moyen âge conduit par l’Église ne leur en avait permis aucun, sauf celui que les chrétiens n’auraient pu exercer sans déchéance : trafiquants d’or.
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I.
Un personnage extravagant

Les bateaux qui vont de Calais à Douvres s’appellent des malles. Au début de cette année, la dix-neuf cent vingt-neuvième de l’ère chrétienne, j’étais dans l’une de ces malles.

Elle semblait assez bien faite, l’ordre y régnait. Dans le compartiment le plus bas, des voyageurs, passeport au bout des doigts et formant une longue file, attendaient de se présenter devant la police. D’autres, au coup de cinq heures, se rendaient pieusement au rendez-vous rituel de la théière. L’escalier était bourré de cœurs inquiets. Qu’allait faire la mer ? Descendrait-on au fond de la malle ? S’installerait-on sur son couvercle ? Le couvercle l’emporta, la foule gagna le pont.

Là, c’était la grande parade des valises !

Le bateau, jusqu’ici muet, se mit alors à parler. Par la magie de leurs étiquettes, les valises racontaient leur voyage. Shéhérazade eût été moins éloquente. Une vue du Parthénon disait que celle-ci venait d’Athènes. Elle s’était arrêtée dans un palace à Rome, puis dans un « albergo » à Florence. Cette autre devait être une indécise : n’avait-elle pas changé trois fois d’hôtel au Caire ? Une toute petite venait de Brisbane avec escale à Colombo. Plusieurs arrivaient de l’Inde. Les images des hôtels de Bombay étaient plus jolies que les images des hôtels de Calcutta. Dans un coin, une malheureuse regrettait Biskra, un palmier collé à son flanc. Menton, Saint-Raphaël en renvoyaient une vingtaine. La Suisse aussi. Sur du beau cuir de vache, la neige et le soleil des autres pays traversaient mélancoliquement le détroit.

Soudain, tandis que je pensais à tous ces smokings pliés et ambulants qui rentraient en Angleterre, un personnage extravagant surgit parmi ces bagages.

Il n’avait de blanc que ses chaussettes ; le reste de lui-même était tout noir. Son chapeau, au temps du bel âge de son feutre, avait dû être dur ; maintenant, il était plutôt mou. Ce galurin représentait cependant l’unique objet européen de cette garde-robe. Une longue lévite déboutonnée et remplissant l’office de pardessus laissait entrevoir une seconde lévite un peu verte que serrait à la taille un cordon fatigué. L’individu portait une folle barbe, mais le clou, c’était deux papillotes de cheveux qui, s’échappant de son fameux chapeau, pendaient, soigneusement frisées, à la hauteur de ses oreilles.

Les Anglais, en champions du rasoir, le regardaient avec effarement. Lui, allait, venait, bien au-dessus de la mêlée.

C’était un Juif.

D’où venait-il ? D’un ghetto. Il faisait partie de ces millions d’êtres humains qui vivent encore sous la Constitution dictée par Moïse du haut du Sinaï. Pour plus de clarté, il convient d’ajouter qu’à l’heure présente ils vivent aussi en Galicie, en Bukovine, en Bessarabie, en Transylvanie, en Ukraine et dans les montagnes des Marmaroches. Autrement dit, sans cesser d’appartenir uniquement à Dieu, ils sont, par la malice des hommes, sujets polonais, roumains, russes, hongrois et tchécoslovaques.

L’accoutrement de celui-ci aurait pu lui servir de passeport. Il arrivait probablement de Galicie, sans doute était-il rabbi, et quant au but de son voyage, pour peu que l’on connût quelques traits de la vie de ces Juifs, on le pouvait aisément fixer : le rabbi se rendait à Londres recueillir des haloukah (aumônes).

La malle ne tarda pas à déverser son contenu sur le quai de Douvres. Je m’attachai aux pas du saint homme. Une valise de bois ciré à la main, il suivait la foule. Un policeman coiffé à la Minerve sourit à sa vue. Lui, passa. On fut bientôt devant la banquette de la douane. Il y posa sa caisse. À cet instant et pour la première fois de ma vie, mon âme éprouva des tressaillements de douanier. Qu’attendait-on pour lui faire déballer sa marchandise ? Enfin, on l’en pria. La caisse livra son secret. Elle contenait un châle blanc rayé noir et frangé, une paire de chaussettes, deux petites boîtes un peu plus longues que nos boîtes d’allumettes, épaisses deux fois comme elles et fixées à une lanière de cuir, deux gros livres qui, de très loin, sentaient le Talmud, et quelques journaux imprimés en caractères bizarres.

D’anciennes incursions dans les synagogues d’Europe orientale me permirent de reconnaître que le châle était un châle de prière, un taliss, et que les deux petites boîtes représentaient les téfilin que tout Juif pieux lie à son front et à son poignet gauche les jours de grande conversation avec le Seigneur.

Un douanier protestant était en droit d’ignorer la sainteté de tels objets ; aussi les traita-t-il comme il eût fait de boîtes à poudre ou d’un châle espagnol.

La visite achevée, le rabbi gagna le quai de la gare.

Il laissa partir le pullman et prit, dix minutes après, le train des gens raisonnables.

Naturellement, je m’installai en face de lui.

Ma conduite ne m’était pas dictée par un caprice. Cet homme tombait à point dans ma vie. Je partais cette fois, non pour le tour du monde, mais pour le tour des Juifs, et j’allais d’abord tirer mon chapeau à Whitechapel.

Je verrais Prague, Mukacevo, Oradea Mare, Kichinev, Cernauti, Lemberg, Cracovie, Varsovie, Vilno, Lodz, l’Égypte et la Palestine, le passé et l’avenir, allant des Carpathes au mont des Oliviers, de la Vistule au lac de Tibériade, des rabbins sorciers au maire de Tel-Aviv, des trente-six degrés sous zéro, que des journaux sans pitié annonçaient déjà chez les Tchèques, au soleil qui, chaque année en mai, attend les grimpeurs des Échelles du Levant.

Mais je devais commencer par Londres.

Pourquoi ?

Parce que l’Angleterre, voici onze ans, tint aux Juifs le même langage que Dieu, quelque temps auparavant, fit entendre à Moïse sur la montagne d’Horeb. Dieu avait dit à Moïse : « J’ai résolu de vous tirer de l’oppression de l’Égypte et de vous faire passer au pays des Chananéens, des Héthéens, des Amorrhéens, des Phérézéens, des Hévéens et des Jébuséens, en une terre où coulent des ruisseaux de lait et de miel. »

Lord Balfour s’était exprimé avec moins de poésie. Il avait dit : « Juifs, l’Angleterre, touchée par votre détresse, soucieuse de ne pas laisser une autre grande nation s’établir sur l’un des côtés du canal de Suez, a décidé de vous envoyer en Palestine, en une terre qui, grâce à vous, lui reviendra. »

L’Angleterre défendait ses intérêts mieux que Dieu les siens. Dieu avait donné d’un coup la Palestine et la Transjordanie.

Lord Balfour gardait la Transjordanie.

Entre les deux époques, il est vrai, Mahomet avait eu un mot à dire.
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C’est ainsi que le lendemain matin, à neuf heures, dans le ghetto de Varsovie, entre les numéros 41 et 45, ulica Gesia un homme se bottait le derrière pour se tenir éveillé.
L’homme qui s’humiliait de la sorte, vous l’avez reconnu, c’est ce martyr de grand chemin, ce pauvre voyageur qu’on ne laisse plus dormir son saoul et que les directeurs de journaux mettent sur les routes par 36° de froid comme s’il était un Esquimau !
Ce matin, il ne faisait plus que – 7°. On en frétillait de contentement. J’allais et venais martialement entre ce 41 et ce 45. J’avais l’air d’une sentinelle désarmée montant une garde farouche. Qu’une telle attitude n’eût pas déjà jeté l’émoi dans ulica Gesia, vous ne le croiriez pas.
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Videos de Albert Londres (33) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Albert Londres
Par Delphine Minoui, grand reporter, lauréate du Prix Albert Londres 2006 Tout public, à partir de 10 ans
« Lumières pour enfants », c'était le titre donné par Walter Benjamin aux émissions de radio destinées à la jeunesse qu'il assura avant la montée du nazisme. Ce titre, Gilberte Tsaï l'a repris pour les Petites conférences qu'elle programme depuis 2001 dans différents établissements culturels. Elles reposent sur le pari que ni les grandes questions, ni les espaces du savoir, ne sont étrangères au monde des enfants et qu'au contraire elles font partie de leur souci, formant un monde d'interrogations restant trop souvent sans réponses. La règle du jeu en est la suivante : un spécialiste d'une matière ou d'un domaine accepte de s'adresser à un public composé d'enfants mais aussi d'adultes, et de répondre à leurs questions. À chaque fois, il n'est question que d'éclairer, d'éveiller : en prenant les sujets au sérieux et en les traitant de façon vivante, hors des sentiers battus.
Programme de la Petite conférence #2 – « Raconter la guerre, dessiner la paix, 25 ans de reportages au Moyen-Orient » par Delphine Minoui :
Rien ne prédestinait l'enfant timide, née à Paris d'une mère française et d'un père iranien, à devenir reporter de guerre. Quand elle s'envole pour Téhéran, en 1997, c'est avec l'envie d'y raconter le quotidien des jeunes de son âge, épris d'ouverture. Mais l'après 11-septembre 2001 chamboule tout. Elle se retrouve en Afghanistan, puis en Irak, pour suivre l'invasion américaine et ses conséquences sur la région. Depuis, les soubresauts s'enchaînent : révolutions du printemps arabe, attentats de Daech, crise des réfugiés syriens, putsch raté en Turquie, retour des Taliban à Kaboul. Mais Delphine ne perd jamais espoir. Sensible à l'humain au milieu du chaos, elle navigue entre ses articles et ses livres pour faire parler la paix, encore et toujours, en racontant le combat des héros anonymes croisés sur son chemin.
Entre anecdotes et confidences, la conférence donnera à voir les coulisses du reportage, où le journaliste n'est ni un super héros ni un agent du « fake news » au service d'un grand complot, mais un témoin d'exception, porteur de lumière, même au coeur de l'obscurité.
Le terrain est la colonne vertébrale de son écriture. Correspondante au Moyen-Orient pour France Inter et France Info dès 1999 puis pour Le Figaro depuis 2002, Delphine Minoui a consacré la moitié de sa vie à cette partie du monde synonyme de révolutions, coups d'État et conflits.
À lire – « Les petites conférences » sont devenues une collection aux éditions Bayard. Delphine Minoui, L'alphabet du silence, l'Iconoclaste, 2023 Les Passeurs de livres de Daraya, Seuil, 2017 Je vous écris de Téhéran, Seuil, 2015
Conception et programmation : Gilberte Tsaï – Production : l'Équipée.
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