Un très bon moment de lecture avec ce roman qui allie enquête policière et couleur locale. L'auteur franco-britannique a un vécu conséquent en Chine, en connaît la langue et les mentalités, et ça se sent.
Nous sommes entraînés sur les pas de l'Inspecteur principal Tian Haifeng, la cinquantaine au physique quelconque, du BSP (Bureau de la sécurité publique) de Nankin, qui va être confronté à un drame personnel. Il a récemment noué une relation épanouissante avec une jolie femme de son âge, Bao Yu, rencontrée via un site internet. Mais elle est retrouvée assassinée chez elle. Un temps on soupçonne un jeune collègue de Haifeng, Jin Yun, qui fréquente assidûment ce site, d'autant que d'autres surfeuses du site ont été assassinées. Haifeng va avoir à coeur de résoudre personnellement l'affaire qui le touche si cruellement en cherchant le coupable, tout en innocentant Jin Yun qui l'aide sincèrement. Il doit aussi ferrailler à distance contre son chef Zhao Ming qui a les idées bien arrêtées, ne tenant pas à avoir une affaire compliquée à élucider, ni à faire de vagues, quitte à désigner un coupable.
Le fil conducteur de l'enquête, et c'est une bonne idée je trouve, c'est le journal intime de Bao Yu retrouvé caché chez elle, journal de ses vingt ans. Haifeng va en lisant petit à petit avec nous avancer dans son enquête, émettre des hypothèses, avec l'aide de Chunchun, amie de jeunesse lesbienne de Bao Yu dont il a retrouvé la trace à Pékin. Ce journal nous présente l'entourage de la jeune femme, ses amis rêvant de libertés dans une Chine fraîchement post-maoïste qui semble s'ouvrir fin des années 70-début des années 80. On découvre aussi leur désenchantement, lorsque leurs expériences des petits trafics, de la création artistique contestataire ou de l'homosexualité vont leur causer de gros ennuis. Bao Yu s'en sort mieux que d'autres, grâce à un vieil ami de son père décédé, M. Wang, riche homme d'affaires qui l'embauche comme pièce maîtresse de sa société et s'entiche platoniquement d'elle.
Mais à un moment de l'enquête, double coup de théâtre : il s'avère que le corps retrouvé chez Bao Yu n'était pas le sien, mais celui d'une autre femme, qui a usurpé son identité...alors même que Bao Yu, vivante, est hospitalisée à Shanghaï suite à un accident de la route.
Pour enfin démêler cette histoire, Haifeng, qui a retrouvé successivement les anciens proches de Bao Yu, y compris le désormais vieux Wang, devra profiter de la convalescence de sa chérie à l'hôpital pour mettre la main sur deux pages arrachées de son journal intime, lesquelles, il le devine, le conduiront à résoudre cette enquête...Mais une ultime surprise ne va pas manquer d'intervenir !
N'étant pas grand amateur de polars, je m'abstiendrai de juger de la qualité, de la crédibilité, de la construction de l'intrigue policière. On observera que l'auteur abandonne complètement toute idée d'enquête sur les meurtres en série signalés au début (si ce n'est pour glisser une explication de cinq lignes à la fin), peut-être pour lui simplifier la tâche ? Ce qui est certain, c'est que le scénario tient entièrement sur le journal intime de la supposée victime, et fait remonter l'explication dans son lointain passé. Et ça, c'est très habile pour le modeste sinophile que je suis, car ces allers-retours dans le présent-passé de la Chine, qui s'ajoutent aux quelques réflexions de Haifeng sur l'environnement dans lequel il évolue, nous éclairent énormément, non seulement sur les mentalités, mais aussi sur les bouleversements intervenus ces dernières décennies dans le pays. J'ai aussi apprécié l'utilisation de vocabulaire chinois (accompagné d'un petit glossaire), qui pour autant n'est pas invasif, ce qui ne gêne pas du tout la lecture.
Un grand merci à babelio, à l'excellente maison In octavo (bravo notamment pour la couverture soignée et attrayante !). Vivement l'édition des autres aventures chinoises de l'inspecteur Haifeng !
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Premier tome d'une série qui met en scène l'inspecteur Tian Haifeng, ce roman policier se passe en Chine, de nos jours, entre Nankin, Pékin et Shanghai.
On y fait la connaissance de l'inspecteur Tian Haifeng, père d'un adolescent et qui, après des années de veuvage, vient de retrouver l'amour grâce à un site de rencontre.
Mais sa nouvelle compagne va être assassinée et Tian Haifeng va tout faire pour retrouver son meurtrier, bien qu'il ne soit pas officiellement sur l'affaire.
J'ai aimé découvrir la vie en Chine telle que la décrit l'auteur, qui nous parle de géographie, de politique, de développement économique, de corruption, de gastronomie, de meurs et coutumes, mais aussi de la vie telle qu'elle était il y a 30 ans, quand il était adolescent et jeune adulte, encore plein de rêves.
J'ai beaucoup aimé cette histoire qui se déroule à deux époques différentes, la partie la plus ancienne éclairant la partie plus récente, par le biais des souvenirs de jeunesse des personnages.
L'intrigue est prenante et l'enquête est pleine de surprises.
La vie quotidienne en Chine est extrêmement bien décrite, il faut dire que l'auteur connait parfaitement son sujet.
J'aurais grand plaisir à retrouver cet inspecteur dans d'autres enquêtes.
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L'inspecteur principal Haifeng de la PJ de Nankin n'est pas un menteur et ne peut décidément pas enjoliver son profil pour rechercher l'âme soeur sur un site de rencontres. Son jeune collègue Jin Yun, dragueur insatiable, lui donne alors un petit coup de pouce pour rencontrer la belle Bao Yu.
Mais quelle est cette fugace impression de tristesse qu'Haifeng perçoit parfois dans les yeux de Bao Yu ?
Quelques temps après le début de leur relation, elle doit s'envoler vers Shanghai. Pas de mensonges avait-elle demandé lors de leur première rencontre mais déjà la destination de son voyage en est un puisque son corps est retrouvé dans une maison de Pékin. L'inspecteur doit-il vraiment creuser ce meurtre au risque de découvrir des choses déplaisantes sur celle qu'il a aimé si fugacement ?
Appuyé par son supérieur, Haifeng part sur Pékin où il est accueilli très froidement par l'équipe locale.
Les lieux sont bien détaillés, très suggestifs. J'ai découvert les hutong et leurs maisons à cour carrée, un très agréable dépaysement. Parsemé de termes chinois, le texte nous fait voyager au coeur de ce pays.
Ce petit duo de policiers de Nankin est simple et tout à fait vraisemblable. Haifeng a du mal à chasser ses émotions pour laisser place à son travail d'enquêteur ce qui le rend humain et crédible.
Au-delà de l'enquête et à travers le journal de jeunesse de Bao Yu, c'est tout un contexte politique et social de la fin des années soixante-dix que l'auteur nous présente. C'est la fin de la politique de rééducation et la réouverture des universités.
Le changement s'opère en Chine mais pas aussi vite que les jeunes l'espèrent avec leur soif de liberté. Les dénonciations étaient encore monnaie courante et les jeunes avides d'amour en ont été victimes.
Les pensées de l'inspecteur Haifeng se répètent parfois, l'avancée de l'enquête n'est pas trépidante mais reste très cohérente et suit son cours au milieu des révélations sociales tragiques de ce petit groupe de jeunes. C'est essentiellement l'étude habile et approfondie d'une page de l'histoire récente de Chine qui fait tout l'attrait de cette lecture. Une scène de crime qui nous dévoile cette jeunesse bridée des années quatre-vingt pour laquelle vie et amour ne demandaient qu'à éclater.
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En arrivant en bas, Haifeng retrouva la même explosion de vie au pied de la colline et, bien que cela l’ait ravi, il sut qu’il y avait quelque chose qu’il ne pourrait jamais récupérer. Il s’arrêta pour admirer un vieil homme chauve faisant démonstration de ses talents de calligraphe à l’aide d’un pinceau aussi long et épais que son bras. Après avoir trempé le pinceau dans un seau d’eau, il traça des caractères traditionnels sur les pavés. Ses mouvements étaient assurés et précis, les caractères épais et élégants. Allant d’un caractère à l’autre en suivant le chemin, Haifeng observa qu’ils s’évaporaient rapidement dans l’air aride de Pékin. Quelque chose dans ces déclarations éphémères lui parlait, peut-être était-ce la générosité des traits qui étaient partagés puis perdus. Il fit un pas en arrière pour lire le caractère « amour ». Ce n’etait pas le caractère moderne qui, comble du ridicule, omettait l’élément du cœur, mais le caractère traditionnel comprenant un cœur en son centre surmonté d’un toit protecteur.
- Un amour éphémère, murmura-t-il pour lui-même tandis que le caractère succombait à l'aridité sans merci avant de disparaître.
- Regardez encore, entendit-il.
Le vieil homme s’était arrêté auprès de Haifeng, son pinceau à ses côtés.
- Regardez. Que voyez-vous ?
Haifeng gloussa en compagnie du vieil homme, reconnaissant la part de sagesse dans la situation. Bien qu’il soit à peine perceptible, l’amour était toujours là, la dalle était légèrement plus propre là où l’eau avait été appliquée.
- La trace restera jusqu’à être salie, ajouta l’homme.
Reste loin des Noirs, avait-on dit à Mao Lin dans son unité de travail. Dans cette danwei, on considérait que fraterniser avec le bon type d'étranger pouvait être envisagé si cela permettait un placement stratégique à l'étranger, mais flirter avec un sous-homme était hors de question.
Ne cherche pas la paix en résolvant un problème, car un autre problème suivra inévitablement, lui avait enseigné un maître. Embrasse plutôt le problème et réunis l'énergie naturelle pour t'en occuper. Traite ensuite le problème de la même façon que tu traiterais un ami.
Les années Mao avaient nourri soit le désespoir, soit un fort instinct de survie, ce qui excluait les expressions de tendresse même pour les membres de la famille les plus proches.
On a trouvé trois livres dans son village. Au lieu de les brûler, il en a arraché les pages et les a utilisés pour se torcher. Il se vantait tous les jours d'avoir chié sur les contre-révolutionnaires. Il avait une petite pile de pages dans les chiottes familiales. Je me suis levée tôt un matin et j'ai saupoudré de la chaux vive sur les premières pages. Son cul était si cramé qu'il était plus rouge que le drapeau à cinq étoiles de notre grande nation.