L’oppression de la femme est le résultat de plusieurs milliers d’années : le capitalisme en a hérité plus qu’il ne l’a produite. Le surgissement de la propriété privée a exprimé un déséquilibre entre les sexes qui renvoie au besoin de chaque homme d’exercer son pouvoir sur chaque femme ; un besoin qui est né en même temps que se définissaient les rapports de pouvoir entre les hommes eux-mêmes. Interpréter sur des bases économiques le destin qui a été le nôtre jusqu’à aujourd’hui signifie mettre en cause un mécanisme dont on ignore l’impulsion motrice. Nous savons que l’être humain oriente, de par son caractère, ses instincts selon que ses contacts avec l’autre sexe lui procurent ou non de la satisfaction. Le matérialisme historique méconnaît le facteur émotionnel qui a déterminé le passage à la propriété privée. C’est là qu’il faut remonter pour que tout le monde reconnaisse l’archétype de la propriété – ce que l’homme a, en premier, conçu comme un objet : l’objet sexuel. La femme, en retirant du domaine de l’inconscient masculin la première proie de l’homme, dénoue l’écheveau originel de la pathologie possessive.
L’égalité dont on dispose aujourd’hui n’est pas philosophique mais politique : cela nous satisfait-il, après avoir été ignorées pendant des millénaires, de nous insérer à ce titre dans un monde projeté par d’autres ? Trouvons-nous gratifiant de participer à la grande débâcle de l’homme ?
Les prédictions philosophiques répétées mènent à un univers homologué au nom de la sagesse : c’est ainsi que s’exprime la félicité amère du génie de l’âge. Mais l’homme et la femme ne pourront pas être homologués au même titre, car la sagesse est le paradis masculin de la philosophie.
L’oppression de la femme n’a pas de point de départ dans l’Histoire, elle se cache plutôt dans les ténèbres des origines. L’oppression de la femme ne se résout pas avec l’assassinat de l’homme. Elle ne se résout pas avec l’égalité mais se poursuit dans l’égalité. Elle ne se résout pas avec la révolution mais se poursuit dans la révolution. Le domaine des possibles est la citadelle de la prééminence masculine : la femme n’y a pas sa place.
Nous vivons ce moment et ce moment est exceptionnel. Quant au futur, ce qui nous intéresse, c’est qu’il soit imprévu, plutôt qu’exceptionnel.