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Critique de Bouvy


Werner, soldat allemand rescapé de la première guerre mondial, erre en Indochine avec sa cicatrice située au niveau du coeur. Il doit la vie à un frère d'arme, Georg qui s'est sacrifié et a pris la balle mortelle à sa place. Werner se sent coupable de la mort de son camarade et ami, qui était père de famille. Il pense qu'il a une dette envers lui et se met en demeure de fonder une famille. Il est tâcheron, vit de petits boulots mais les colons français le déteste. Il s'arrête alors dans une petite ville du Laos quand il trouve enfin une embauche dans une usine appartenant à une riche et puissante famille chinoise. La manufacture ressemble étrangement à une forteresse et les hommes qui y oeuvrent semblent avoir perdu leur humanité, vidés de leurs sentiments, devenu des outils, des mécaniques. Dans la ville, tout le monde craint la famille que l'on dit maudite. Les patrons auraient une fille frappée d'un mal étrange. Elle ne pourrait vivre que la nuit, les rayons du soleil lui seraient mortels. Werner, ne logeant pas dans le dortoir des ouvriers mais dans un petit pavillon situé dans le jardin de ses employeurs, aperçoit la jeune femme au bord de l'eau et tombe sous le charme. Il s'approche d'elle, devient son amant dans la clandestinité. Quand un autre Européen, un Hongrois, rejoint à son tour le personnel de l'usine…

Entre onirisme et mysticisme, les auteurs nous emmènent dans un étrange voyage où la beauté et l'horreur se côtoient. Werner vit avec sa conscience qui a pris l'apparence de Georg, avec qui il converse. Il partage ses doutes, ses espoirs, ses peines et ses joies. Il est atteint psychologiquement, la guerre, ça ne laisse pas les esprits ni les corps intacts. Désespéré de trouver l'amour, c'est alors que la jeune femme, la fille de ses maîtres, lui apparaît comme un songe. Rêve t'il ou est-il dans la réalité. Il rencontre enfin l'amour, la paix mais il lui est impossible de le vivre au grand jour. L'usine est comme une barrière, les murs sont des tabous, dressés contre l'amour, la mixité des origines, des sexes, et s'érigent en des barrières sociales, protégeant le monde des exploiteurs des misères ouvrières. Les auteurs nous comptent tout le poids de la rancune, de la haine, du racisme, de l'intolérance. Ils nous montrent aussi la déshumanisation d'une société asservie à l'esclavage de l'ultra capitalisme. le conte se veut à la fois moderne, social, romantique et emprunt de tradition. le trait ressemble aux estampes japonaises, revisitées à la sauce contemporaine, panachées entre l'Asie et l'Europe. Les tons sont pastels, lumineux quand ils expriment le bonheur, sombres quand ils expriment le pessimisme. La beauté donne naissance à l'horreur, le bonheur au malheur. Tout est équilibre. du désespoir naît l'espoir et réciproquement. le récit est profond, hautement symbolique et ésotérique. Il m'a touché, m'a ouvert à la réflexion. Je pense que je vais devoir le lire à nouveau car il ouvre la porte à beaucoup d'interprétation, un peu comme le petit prince de Saint-Exupéry dont la perception se mue en fonction de votre âge, de votre expérience, de votre état d'esprit. Complet et complexe, le livre terminé, même fermé, reste ouvert, comme une blessure de guerre, cicatrisée mais avec ses douleurs fantômes, ses traumatismes. Il y a de la haine, de l'amour, avec une pointe d'érotisme. Même ce dernier est ésotérique, symbolique. Ce livre traduit la tradition en modernité, avec comme levier l'humanisme et comme point d'appui notre passé, notre histoire, avec ce qu'elle compte de plus sordide. Avec cette ouvrage, nous effleurons le chef-d'oeuvre. Je suis touché et ému de l'avoir lu. Un roman graphique qui vous ouvre le coeur et l'esprit.
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