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Critique de Malaura


Août 1986. Tatiana, une jeune mexicaine, participe à un voyage d'étudiants et est particulièrement saisie par l'ambiance de Berlin. Un soir où elle assiste à une manifestation de protestation contre le mur qui scinde la ville en deux, elle sent l'ombre d'un passé de terreur s'étendre sur les lieux, en voyant Hitler dans les traits d'une vieille femme assise dans le métro…
Trois ans plus tard, le mur tombe. Tatiana grandit…et plus de vingt ans plus tard, c'est justement à Berlin qu'elle s'est installée après avoir obtenu une bourse d'études.

Août 2007. Depuis cinq ans, Tatiana se perd dans la grande ville où elle n'a jamais noué d'attaches solides, vivotant de petits boulots alimentaires, égrenant les jours quelquefois avec un compagnon, le plus souvent seule.
C'est alors qu'elle fait la connaissance d'une vague relation de ses parents, le Docteur Weiss. Celui-ci cherche une secrétaire pour retranscrire sur papier des centaines d'heures de pensées et de réflexion enregistrées sur des cassettes audio.
Ce nouveau travail aux côtés du Docteur Weiss lui offre l'occasion de connaître Jonas Krantz, un météorologue, originaire de Berlin-Est avec qui le courant semble bien passer…
Mais l'écoute des théories du professeur, fait aussi resurgir l'impression particulière qu'elle avait ressentie au contact de la ville durant son voyage d'adolescente… Car Weiss est intimement persuadé que « les lieux adhèrent à leur passé » et que ce passé terrible de Berlin résonne encore dans les choses et les objets, au détour d'une place ou d'une rue, dans les sous-sols ou dans certaines habitations. Selon lui, l'horreur est gravée à jamais dans la pierre et dans l'atmosphère même de la ville.
Imaginative et sensible, Tatiana est de plus en plus perturbée par cette résonnance d'autrefois dont elle perçoit les mystérieuses vibrations.

Jeune illustratrice belge installée à Berlin, Fabienne Loodts a conçu l'adaptation graphique du premier roman de l'auteur mexicaine Chloé Aridjis, « le livre des nuages », salué par la critique et récompensé par le Prix du Premier Roman Etranger en 2009.
Au gré de ces belles planches illustrées, à la fois sombres et lumineuses, on ne peut que vérifier avec quelle force l'univers pictural de Fabienne Loodts colle parfaitement à la nature, tout en atmosphère et ambiance, tout en climat et turbulence, du récit de la romancière.
L'intensité qui se dégage de ce très beau roman graphique relève d'ailleurs largement des superbes illustrations de la jeune dessinatrice, car l'histoire en elle-même s'inscrit dans un fil narratif un peu trop décousu et elliptique pour se contenter de sa seule participation.
Non, ce qui est magnifique dans cet album, ce sont véritablement les dessins, déclinés en noir, gris et blanc et qui vous plongent aussitôt dans l'ambiance de Berlin, avec ces hauts immeubles, ses graffitis sur les murs, ses fantômes du passé qui semblent hanter irrévocablement les lieux et s'être collés dans toutes les zones de la cité comme de la suie sur le conduit d'une cheminée.

Fabienne Loods utilise une technique qu'elle apprécie particulièrement et qui est la marque première de son talent ; c'est la technique du monotype, un dessin sur lequel on passe une couche d'encre, puis qu'on retourne ; le dessin qui apparaît alors, imprimé par contact avec l'encre, offre un rendu cendré surprenant qu'il suffit juste de retoucher ça et là pour obtenir ces magnifiques illustrations qui ornent l'ouvrage du « Livre des nuages ».
Ailleurs, l'artiste s'est attachée à se servir tout simplement d'un crayon à papier, à la mine plus ou moins fine ou grasse selon l'effet voulu.
Et c'est un vrai moment de plaisir que d'admirer ces ombres qui s'étirent, ces visages expressifs animés par un petit côté naïf qui se transforment en oiseaux dans l'imaginaire de Tatiana, et surtout cette ville de Berlin, qui vit, qui respire et dans l'enceinte de laquelle on sent, comme un souffle glacial sur la nuque, tout un passé d'horreur, du nazisme à la guerre froide.
Et puis, il y a les nuages…la plus belle réussite de la dessinatrice ! Avoir l'impression d'être dans un ciel, brumeux, venteux, orageux ou clair, voilà ce que nous permet Fabienne Loodts avec ces camaïeux de gris pleins de poésie et de sensibilité.
L'effet de matière est donc le grand argument de ce beau roman graphique qui réussit à allier l'errance poétique au passé et à l'Histoire de la ville.
Il faudra bien sûr aimer le gris et les tons sombres pour apprécier pleinement cette oeuvre délicate qui joue davantage sur les sens que sur l'esprit. Mais quand même, c'est fou tout ce qu'on peut faire avec un crayon à papier !!
Lu dans le cadre de l'opération Masse Critique spécial BD, merci à Babelio pour, cette fois encore, avoir permis la découverte de cette jeune artiste au potentiel énorme. A suivre donc…
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