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EAN : 9782070715879
112 pages
Gallimard (15/05/2003)
3.89/5   9 notes
Résumé :

Que représente aujourd'hui le mouvement de la négritude ? La réappropriation des "poupées noires", à laquelle appelait le Guyanais Léon Gontran Damas, compagnon de Senghor et de Césaire, est-elle encore à l'ordre du jour? L'héritage culturel, oral, d'une grand-mère bantoue devient-il suranné en ces temps de « mondialisation » et de « globalisation » ? Faut-il, pour féconder sa... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (4) Ajouter une critique
« Je ne suis pas un Congolais typique. Ni mon nom ni ma couleur n'indiquent mon identité. Et c'est bien ainsi : comme vous je descends du chimpanzé », commence Henri Lopes, dans son « Ma grand mère bantoue et mes ancêtres les gaulois », livre majeur sur la réflexion à l'ordre du jour dit il, en 2003, (et de plus en plus à l'ordre du jour en 2021).
Ses racines, les ancêtres de sa terre natale, on les a appelées négritude, puis sentiment national, puis authenticité, puis identité- disons woke aujourd'hui.

Ces racines constituent une de ses appartenances. Cette appartenance elle –même doit se questionner : le culte prononcé de l'identité, originelle ou religieuse, induit l'obscurantisme, le fondamentalisme et les politiques d'exclusion. Il a produit Amin Dada, il a produit Bokasa.
Ces racines, ce sont aussi sa propre culture, son village, sa grand mère bantoue, qui s'est mariée avec un capitaine et lui disait qu'il ne fallait pas forcément chasser les blancs, mais les tribalistes, les exploiteurs et les tyrans :eux, oui, dehors.
« Ma grand-mère avait raison ! Nous ne sommes plus une tribu mais le monde en métamorphose car la communauté qui se croit pure possède en fait dans son histoire un, deux, plusieurs métissages oubliés. »

La deuxième identité est internationale. Henri Lopes écoute autant les rumba congolaises que Verdi ou Mozart. Il reconnaît dans ses ancêtres les Bantous et aussi les Gaulois, au sens large : Homère, Platon, Ovide, Montaigne, Montesquieu, Voltaire, Jean-Jacques Rousseau, Flaubert, Goethe, Heine, Shakespeare, Rainer Maria Rilke, Proust, Camus.

Et la troisième identité est personnelle, même si, en période d'indépendance ou de construction nationale, l'individu s'identifie et doit s'identifier à sa communauté. Durant une période, beaucoup d'africains se voyaient incapables de dénoncer les dictatures dissimulées derrière les bannières nationales, ne pouvant pas, en conscience « faire le jeu de l'ancien colonisateur, être aliéné par eux»
« La formulation de la moindre critique, dit Lopes, sur les politiques inacceptables de nos dirigeants comme sur les coutumes et les comportements désuets de nos concitoyens nous rendait passibles de conseil de guerre. »

Henri Lopes revient sur ses ( nos, mes)… voyages entre l'anti-impérialisme, le Discours sur le colonialisme d'Aimé Césaire, les Damnés de la terre de Frantz Fanon, le FLN, drapeau de la lutte de libération du peuple algérien, et pourtant incapable de contenir une jeunesse en furie trente ans après l ‘Indépendance, le déni qui a fait attribuer les déboires africains aux manipulations venues de l'extérieur, aux malversations du néo-colonialisme, à l'impérialisme , sans prendre conscience que les dirigeants des pays ne venaient pas au pouvoir en vue d'un programme politique crédible, mais en réalité comme regroupements d'individus d'une même région ou même tribu.
Le triomphe de Nelson Mandela, comme modèle de sortie après trente ans d'apartheid en prison, donne l'exemple, sauf qu'il restera unique en son genre, car « il n'en est pas moins vrai que pour beaucoup de nos concitoyens la vie en Afrique est pire qu'alors, avec ses« bouffons sanglants ».

Or, l'Afrique, comme toutes les civilisations, « a besoin d'imprécateurs pour sortir des ornières dans lesquelles elle s'embourbe. »
Etre à contre courant des bien-pensants, dénoncer, progresser, refuser les pensées tribales excluant les autres. Car la colonisation relève de la préhistoire.
Refuser de penser à un âge d'or où tout aurait été idyllique, même si on peut citer de grands royaumes et empires africains. Et se critiquer, car si après les Indépendances « nous nous sommes crus irréprochables », les guerres civiles internes, et l'absence de mouvements humanitaires africains, sont des tabous gênants, et à la fois doivent se dire. Ce sont nos ancêtres les Gaulois qui peuvent aider les intellectuels à « être prêts à recevoir le crachat en échange de leur lucidité. »
L'Afrique a besoin de Socrate, de Descartes, de Hegel, de Rilke, comme elle a besoin de Confucius et de Gandhi. »

Je ne peux terminer la présentation de ce livre admirable, que tout un chacun devrait lire maintenant, urgemment, sans citer cette longue et magnifique mélopée :
« J'écris pour dépasser ma négritude et élever ma prière à mes ancêtres les Gaulois ; Gaulois de toutes les races s'entend, de toutes les langues, de toutes les cultures. Car c'est pour moi que Montaigne s'est fait amérindien, Montesquieu persan et Rimbaud nègre. C'est pour m'aider à déchiffrer l'Afrique que Shakespeare a fait jouer ses tragédies, que Maupassant m'a légué ses nouvelles.
J'écris pour avoir la force de vivre le pays de solitude, le pays métis.
J'écris pour décharger dans les mots mon envie de danser sur la place publique ; j'écris pour toi ; pour t'offrir cette coupe, toi dont la silhouette et les pas de danse me poursuivent dans mon sommeil ….
J'écris dans la bonté. J'écris dans la fureur. J'écris pour ne pas basculer. J'écris dans la folie. J'écris pour revenir dans la folie.
J'écris pour me soigner.
J'écris parce que je ne sais pas, j'écris pour apprendre. ……
J'écris pour étudier.
Jetez le livre qui vous offre des images pieuses, des héros et des certitudes !
Ecrire, c'est s'ouvrir à tous les vents. Ecrire, c'est entreprendre la quête inachevée.
J'écris parce que la vie me déroute, j'écris parce que j'ai peur de la mort. J'écris pour apprendre à penser, pour mieux comprendre autrui, j'écris pour me comprendre.
J'écris pour me racheter. »

La citation est longue, chaque fois que je la lis, je pleure. Je pleure aussi sur ces mauvais combats, dans lesquels nous avons cru, ces tromperies, ces illusions que l'Afrique allait s'en sortir, ces mots d'ordre des années 60.
Alors, le livre d'Henri Lopes est une réflexion féconde qui fait sortir du pessimisme.
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« L'Afrique – qui fit – refit- et qui fera. » Michel LEIRIS

Les premiers livres publiés dans cette collection bénéficiaient d'une présentation de Jean Noël Schifano directeur de la collection. J'en extrait deux phrases emblématiques « Nous parions, ici, sur les Africains d'Afrique et d'ailleurs, de langue française et de toute langue écrite, parlée et sans doute pas écrite encore, nous parions sur l'écriture des continents noirs pour dégeler l'esprit romanesque et la langue française du nouveau siècle. Nous parions sur les fétiches en papier qui prennent le relais de fétiches en bois. ». le frontispice des premières parutions a disparu mais l'orientation éditoriale demeure.

C'est après avoir lu de nombreux auteurs, africains, antillais, publiés dans cette collection (et chez d'autres éditeurs), que j'ai souhaité, dans une note aux dimensions modestes, faire partager des plaisirs de lecture et peut-être vous entraîner dans ces espaces si proches et si peu connus. En ces temps d'éphémères, je choisis de puiser dans les premiers ouvrages publiés.

Laissez vous guider par les titres et leurs résonances, passez la porte des jaquettes tachées et entrez dans ces continents, vous y trouverez des écrivain-e-s passionné-e-s et passionnants.

Vous avez peur de l'inconnu, vous chercher des repères, pourquoi ne pas commencer par les deux livres de Boniface MONGO MBOUSSA « Désirs d'Afrique » et « L'indocilité » qui présentent un large panorama d'auteurs, odeurs classiques, fragrances modernes, ténèbres rwandaises, flamboyances congolaises, diaspora et casques coloniaux.

L'écriture des un-e-s vous enchantera, celle d'autres vous fera rire, leurs rêves vous sembleront proches et d'autres si lointain. Contes, récits épiques, aventures, livres accrochés à la vie.

Quelques idées, pour vous mettre l'eau à la bouche, espérances de lectures à venir.

Plongez vous dans la langue savoureuse de Abdourahman WABERI « Transit » qui de Roissy à Djibouti évoque la guerre et l'exil ou « Rift, routes, rails » variations au passé et au présent sur les déserts, les océans et les mythes. Choisissez la langue brutale de la martiniquaise Fabienne KANOR qui dans « D'eaux douces » raconte l'aliénation d'une femme au prise avec les questions identitaires.

Peut-être serez vous attiré par le titre « Ma grand-mère bantoue et mes ancêtres les Gaulois » de Henri LOPES qui revient sur le mouvement de la négritude et s'interroge sur la création, la francophonie, le métissage à l'heure de la globalisation .

Choisissez l'un des romans de Ananda DEVI, originaire de l'île Maurice, par exemple « Soupir » et son premier paragraphe « La terre est enflée comme une langue qui n'a pas bu depuis longtemps. le sable coule aux pores. Les horizons et les regards sont scellés. Au dessus de nous, le ciel semble ouvert. Mais il n'y a rien d'ouvert, ici. Nous sommes nés enfermés. »

Suivez la quête d'amour de Maya, héroïne de Nathacha APPANAH-MOURIQUAND.

Vous n'aimez pas le foot, que cela ne vous rebute pas d'entrer dans « La divine colère » du camerounais Eugène EBODE, pour y partager sa critique de la compétition et des passions « transformant les stades en crachoir et en cratère de tous les exutoires ».

Que dire de « L'ivrogne dans la brousse » du nigérian Amos TUTUOLA, qui fait figure d'ancêtre de ces littératures. La traduction de Raymond QUENEAU est un régal.

Allez à « Lisahohé » capitale imaginaire mais si réelle du togolais Théo ANANISSAH pour suivre et vous perdre dans une enquête où le narrateur même ne semble pas si innocent.

Rejoignez la tendresse de la gabonaise Justine MINTSA dans « L'histoire d'Awu » à moins que vous ne vouliez suivre le chemin du journaliste qui vous entraînera sur les traces de Lidia do Carmo Ferrerira poétesse dans « La saison des fous » de l'angolais José Eduardo AGUALUSA.

Mais peut-être serez vous plus sensible à la confrontation entre modernité et privilèges ancestraux dans « La révolte du Komo » du malien Aly DIALLO, au récit du congolais Mambou Aimée GNALI et son « Beto na beto, le poids de la tribu » ou au destin de l'aveugle Doumé dans le roman « le cri que tu pousses ne réveillera personne » du camerounais Gaston-Paul EFFA .

Admirez le portrait dressé de l'île Maurice par Amal SEWTOHUL dans « Histoire d'Ashok et d'autres personnages de moindre importance », ou parcourez l'effacement de la société traditionnelle dans le système colonial de Donato NDONGO dans « Les ténèbres de ta mémoire ».

Je ne veux ni vous lasser si substituer mes propres découvertes à vos possibles lectures.

J'ai gardé pour la fin la mosaïque de Sylvie KANDE « Lagon, Lagunes » et la petite postface si belle de Edouard GLISSANT qui se termine par cette invitation « Je voulais seulement, à cette place, partager avec vous l'insondable et l'imprévisible. Écrire est une divination. Lire ce qui fut écrit, c'est déchiffrer l'énigme. »
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Henri Lopes a été le Premier ministre de la République du Congo de 1973 à 1975. Il a été ambassadeur de son pays en France de 1998 à 2015,

Dans ce petit recueil il nous présente de "simples discours", d'une petite dizaine de pages chacun en moyenne. L'intérêt de ces discours est de nous faire réfléchir sur le développement et la culture : "Aucune culture ne peut servir de levain à un peuple s'il se recroqueville sur lui-même et se fige dans la contemplation et l'adoration de son passé."

Historiquement, "l'idée du nègre barbare est une invention européenne". La notion de négritude promue par Senghor et Césaire porte en elle ses propres limites : il faut désormais "penser le monde non plus en termes de races, mais d'individus, de droits et de valeurs universels".

La francophonie est présente selon Henri Lopes dans 35 pays dont 24 sont situés en Afrique. Son aura dépendra de plus en plus des Africains qui parlent notre langue puisque l'on estime qu'en 2050, environ 85% des francophones vivront en Afrique.

le ton mesuré de ces discours, l'autorité de leur auteur (lui-même écrivain) et son regard sur les bénéfices du métissage culturel font de ce livre une référence utile pour tous, ne serait-ce qu'en constatant que toute "communauté qui se croit pure" est en réalité le produit de "plusieurs métissages oubliés". À bon entendeur, salut !
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Un ouvrage très intéressant de ce grand écrivain.
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Citations et extraits (10) Voir plus Ajouter une citation
Au lieu de restituer le passé dans sa réalité où des zones d’ombre côtoyaient celles de lumière, elles le peignent comme un âge d’or vers lequel revenir. Il n’y a pas de paradis perdu, il est à conquérir, à édifier….
Nous avions des héros, des sages, mais aussi des esprits retors, vils et peu reluisants. Sans la complicité de certains de nos ancêtres, la traite négrière n’aurait jamais fait d’aussi gros profits.
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Un poème de Langston Hugues, dont le titre "I too sing America" exprime avec force cette dialectique du particulier et de l'universel, dit de manière appropriée que le combat de libération des noirs américains, victimes de la ségrégation, n'est pas un combat contre la race blanche, mais un combat en faveur des deux communautés. Une lutte pour libérer les uns de l'injustice, les autres de l'inhumanité qui les habite.
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Je suis né dans une ville en forme d'orange. A l'époque, ses maîtres, pour mieux en presser le jus, l'avaient coupée en deux. D'un coté la partie blanche, de l'autre la noire
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Je ne suis pas un Congolais typique. Ni mon nom ni ma couleur n'indiquent mon identité. Et c'est bien ainsi, comme vous je descends du chimpanzé.
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J'écris pour assumer ma négritude, pour recouvrer mes ''poupées noires"
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Videos de Henri Lopes (6) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Henri Lopes
Décès d’Henri Lopes, écrivain et ancien Premier ministre du Congo (Real News du 03 novembre 2023)
>Littérature des langues romanes. Littéraure française>Littératures des langues romanes. Littérature française>Littérature française : 1900- (214)
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