« Je ne suis pas un Congolais typique. Ni mon nom ni ma couleur n'indiquent mon identité. Et c'est bien ainsi : comme vous je descends du chimpanzé », commence
Henri Lopes, dans son «
Ma grand mère bantoue et mes ancêtres les gaulois », livre majeur sur la réflexion à l'ordre du jour dit il, en 2003, (et de plus en plus à l'ordre du jour en 2021).
Ses racines, les ancêtres de sa terre natale, on les a appelées négritude, puis sentiment national, puis authenticité, puis identité- disons woke aujourd'hui.
Ces racines constituent une de ses appartenances. Cette appartenance elle –même doit se questionner : le culte prononcé de l'identité, originelle ou religieuse, induit l'obscurantisme, le fondamentalisme et les politiques d'exclusion. Il a produit Amin Dada, il a produit Bokasa.
Ces racines, ce sont aussi sa propre culture, son village, sa grand mère bantoue, qui s'est mariée avec un capitaine et lui disait qu'il ne fallait pas forcément chasser les blancs, mais les tribalistes, les exploiteurs et les tyrans :eux, oui, dehors.
« Ma grand-mère avait raison ! Nous ne sommes plus une tribu mais le monde en métamorphose car la communauté qui se croit pure possède en fait dans son histoire un, deux, plusieurs métissages oubliés. »
La deuxième identité est internationale.
Henri Lopes écoute autant les rumba congolaises que Verdi ou Mozart. Il reconnaît dans ses ancêtres les Bantous et aussi les Gaulois, au sens large :
Homère,
Platon,
Ovide,
Montaigne,
Montesquieu,
Voltaire,
Jean-Jacques Rousseau,
Flaubert,
Goethe, Heine,
Shakespeare,
Rainer Maria Rilke,
Proust, Camus.
Et la troisième identité est personnelle, même si, en période d'indépendance ou de construction nationale, l'individu s'identifie et doit s'identifier à sa communauté. Durant une période, beaucoup d'africains se voyaient incapables de dénoncer les dictatures dissimulées derrière les bannières nationales, ne pouvant pas, en conscience « faire le jeu de l'ancien colonisateur, être aliéné par eux»
« La formulation de la moindre critique, dit Lopes, sur les politiques inacceptables de nos dirigeants comme sur les coutumes et les comportements désuets de nos concitoyens nous rendait passibles de conseil de guerre. »
Henri Lopes revient sur ses ( nos, mes)… voyages entre l'anti-impérialisme, le
Discours sur le colonialisme d'
Aimé Césaire,
les Damnés de la terre de
Frantz Fanon, le FLN, drapeau de la lutte de libération du peuple algérien, et pourtant incapable de contenir une jeunesse en furie trente ans après l ‘Indépendance, le déni qui a fait attribuer les déboires africains aux manipulations venues de l'extérieur, aux malversations du néo-colonialisme, à l'impérialisme , sans prendre conscience que les dirigeants des pays ne venaient pas au pouvoir en vue d'un programme politique crédible, mais en réalité comme regroupements d'individus d'une même région ou même tribu.
Le triomphe de
Nelson Mandela, comme modèle de sortie après trente ans d'apartheid en prison, donne l'exemple, sauf qu'il restera unique en son genre, car « il n'en est pas moins vrai que pour beaucoup de nos concitoyens la vie en Afrique est pire qu'alors, avec ses« bouffons sanglants ».
Or, l'Afrique, comme toutes les civilisations, « a besoin d'imprécateurs pour sortir des ornières dans lesquelles elle s'embourbe. »
Etre à contre courant des bien-pensants, dénoncer, progresser, refuser les pensées tribales excluant les autres. Car la colonisation relève de la préhistoire.
Refuser de penser à un âge d'or où tout aurait été idyllique, même si on peut citer de grands royaumes et empires africains. Et se critiquer, car si après les Indépendances « nous nous sommes crus irréprochables », les guerres civiles internes, et l'absence de mouvements humanitaires africains, sont des tabous gênants, et à la fois doivent se dire. Ce sont nos ancêtres les Gaulois qui peuvent aider les intellectuels à « être prêts à recevoir le crachat en échange de leur lucidité. »
L'Afrique a besoin de Socrate, de
Descartes, de Hegel, de
Rilke, comme elle a besoin de
Confucius et de Gandhi. »
Je ne peux terminer la présentation de ce livre admirable, que tout un chacun devrait lire maintenant, urgemment, sans citer cette longue et magnifique mélopée :
« J'écris pour dépasser ma négritude et élever ma prière à mes ancêtres les Gaulois ; Gaulois de toutes les races s'entend, de toutes les langues, de toutes les cultures. Car c'est pour moi que
Montaigne s'est fait amérindien,
Montesquieu persan et
Rimbaud nègre. C'est pour m'aider à déchiffrer l'Afrique que
Shakespeare a fait jouer ses tragédies, que
Maupassant m'a légué ses nouvelles.
J'écris pour avoir la force de vivre le pays de solitude, le pays métis.
J'écris pour décharger dans les mots mon envie de danser sur la place publique ; j'écris pour toi ; pour t'offrir cette coupe, toi dont la silhouette et les pas de danse me poursuivent dans mon sommeil ….
J'écris dans la bonté. J'écris dans la fureur. J'écris pour ne pas basculer. J'écris dans la folie. J'écris pour revenir dans la folie.
J'écris pour me soigner.
J'écris parce que je ne sais pas, j'écris pour apprendre. ……
J'écris pour étudier.
Jetez le livre qui vous offre des images pieuses, des héros et des certitudes !
Ecrire, c'est s'ouvrir à tous les vents. Ecrire, c'est entreprendre la quête inachevée.
J'écris parce que la vie me déroute, j'écris parce que j'ai peur de la mort. J'écris pour apprendre à penser, pour mieux comprendre autrui, j'écris pour me comprendre.
J'écris pour me racheter. »
La citation est longue, chaque fois que je la lis, je pleure. Je pleure aussi sur ces mauvais combats, dans lesquels nous avons cru, ces tromperies, ces illusions que l'Afrique allait s'en sortir, ces mots d'ordre des années 60.
Alors, le livre d'
Henri Lopes est une réflexion féconde qui fait sortir du pessimisme.